La loi sur l’immigration annoncée à son de trompe par Emmanuel Macron, et menée tambour battant dans un premier temps par le ministère de l’intérieur Gérald Darmanin finit piteusement. Au terme d’un véritable gymkhana parlementaire, elle a fait l’objet de marchandages qui rappellent le pire de la quatrième République. Sous le regard goguenard du Rassemblement national, le Premier ministre Elisabeth Borne a tenté de rallier au texte la majorité macronienne et l’opposition molle Les Républicains, tandis que la gauche déposait finalement une motion de rejet. Cela prouve qu’on ne peut pas combattre l’immigration avec fermeté et-en-même-temps la promouvoir : c’est l’écroulement symbolique du projet chèvre-chou que mène Emmanuel Macron depuis 2017.
L’étrange chemin parlementaire de la loi immigration
L’attention des médias et des politiciens s’est d’abord portée sur le chemin parlementaire inhabituel qu’a suivi la loi, avec cette commission mixte paritaire composée de sept membres de l’Assemblée et sept membres du Sénat pour tenter de résoudre le problème, sur les difficultés de cette commission et l’intervention permanente du gouvernement alors que ses travaux doivent être menés à huis clos. Ou encore sur le fait que, de manière rare sous la cinquième République, c’est au Sénat, dont la majorité n’est pas celle du président, qu’est revenu l’origine du nouveau texte en débat. Mais l’origine de la crise est en fait l’adoption d’une motion de rejet sur le premier texte proposé par Gérald Darmanin : toutes les oppositions l’ont votée car le texte gouvernemental n’en satisfaisait aucune, à cause de ses contradictions de fond.
La réalité, et la majorité des élus, contre le et-en-même-temps
Il se voulait « humain » et « ferme », prétendant protéger les Français de l’immigration excessive en cours et-en-même-temps permettre de régulariser plus d’immigrés. Mais ce projet, beau comme une dissertation d’éducation civique sur le papier, s’est écroulé dès qu’il s’est agi de le traduire en dispositions concrètes, dont toutes à des degrés divers disconvenaient tantôt aux uns tantôt aux autres, et dont certaines (par exemples des aides sociales dépendant ou non de la nationalité ou du degré d’intégration en France) fait l’objet de négociations passionnées. Et l’on vit bien que le risque était, si l’aile gauche du centre gauche se couchait trop devant l’aile droite du centre droit, que l’aile gauche du centre gauche rallie la gauche.
Sur l’immigration, la triche n’est plus possible
Bref, l’omelette coupée aux deux bouts, le rêve de la quatrième République incarné par Emmanuel Macron, le centre gouvernant en rejetant droite et gauche, prenait l’eau. C’est que l’immigration est un sujet capital, qui conditionne l’avenir du pays et focalise l’attention du peuple. On peut tricher sur un budget en recourant à l’emprunt et en augmentant la dette tout en prétendant le contraire, on peut mener une politique scolaire absurde, c’est délétère mais les effets en sont repoussés dans le temps : quant à l’excès d’immigration, les Français en ressentent immédiatement les excès et sont à bout de patience. Les politiciens le savent. Ils n’ont plus guère de marge de manœuvre.
L’écroulement de la Baliverna
C’est pourquoi ils se livrent à ces magouilles de Bas-Empire. Certains commentateurs ont comparé la situation à une cohabitation. C’est inadéquat. Le président ne gouverne pas avec une majorité élue qui lui serait hostile. Le gouvernement n’a pas de majorité et s’appuie sur des coalitions de circonstance qui changent au gré des projets. Il tire des bords tant que c’est possible, mais ce n’est pas possible sur l’immigration. Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, notait Alfred de Musset. Tout le problème est là. Les députés et les ministres jouent avec le feu. Il n’y aurait de solution honnête qu’une dissolution de l’Assemblée et un retour aux élections législatives. Mais le pouvoir, et bien des élus s’y opposent de peur de perdre leur place. Dino Buzzati a écrit une nouvelle dont le titre était L’écroulement de la Baliverna. L’esquif lancé triomphalement par Emmanuel Macron en 2017 est en train de sombrer.