Louis XIV, un roi catholique ?

Louis XIV roi catholique
 
Le tricentenaire de la mort de Louis XIV, au château de Versailles, le 1er septembre 1715, a été l’occasion d’évoquer sa figure et son règne (1643-1715). Louis XIV est probablement le dernier grand roi légitime de la France. On ne doutera pas des bonnes intentions générales ou des capacités intellectuelles de Louis XV (1715-1774), Louis XVI (1774-1793), ou Charles X (1824-1830), mais il leur a manqué constance, ferme volonté politique (surtout aux heures des épreuves), qui, chez Louis XIV, ont été des qualités fondamentales. Quant à Louis XVIII (1814-1824), s’il possédait beaucoup de qualités, dont une intelligence rare et une certaine habileté tactique, son peu de piété et son inspiration philosophique et politique maçonniques, malgré un respect formel de la religion, ne font guère de doute.
 
Ce tricentenaire a été l’occasion d’expositions et de publications nombreuses. La mort de Louis XIV, entouré de tout un cérémonial catholique, appartient à un monde désormais difficilement compréhensible, faute, depuis 1830, de monarchie légitime en France. Les rituels liturgiques eux-mêmes ont été appauvris par les réformes liturgiques de Paul VI (1963-1978), avec le nouvel ordo de 1969, dans le sillage du concile pastoral de Vatican II (1962-1965).
 
Louis XIV a mené bien des guerres – dont les raisons sont d’ailleurs insaisissables à la mentalité moderne – à tel point qu’il est plus facile d’indiquer les années de paix que de guerre sous son règne : 1659-1672, 1679-1688, 1697-1701, 1714-1715. La guerre était alors l’état habituel de l’Europe. En cette matière, Louis XIV n’a sans doute pas été meilleur que ses alliées et ennemis, mais certainement pas pire. Au final, il a ajouté au territoire français Perpignan, Besançon, Strasbourg, Lille – ce qui n’est pas rien !
 
Louis XIV est également connu pour son soutien aux Arts et aux Lettres, avec ce legs exceptionnel de Versailles à la France. Rapporté au budget total de l’Etat, la dépense n’était pas déraisonnable.
 
Pourtant, domine encore dans les médias une légende noire, forgée dans les années 1670 par les adversaires hollandais du Roi Soleil, dans le cadre d’une guerre de Hollande (1672-1679), devenue très vite européenne. La propagande, dénigrant massivement l’adversaire, reprise et aggravée lors du conflit suivant de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), est toujours répétée plus de trois siècles plus tard. Mais ce que la propagande de La Haye, puis de Londres a développé, n’est-ce pas aussi et surtout une haine fondamentale de Louis XIV comme roi catholique ? Cet aspect fondamental est aujourd’hui oublié, nié ou caricaturé, mais jamais resitué dans son contexte et dans une perspective historique.
 

Une pratique catholique constante, malgré de grosses faiblesses humaines

 
La jeunesse de Louis XIV (né en 1638, monté sur le trône en 1643) a été marquée par une sensualité peu discrète. On ne refera pas ici la liste des « maîtresses » du roi, tradition déplorable remontant à Charles VII, sinon aux Mérovingiens, et de ses dizaines de bâtards – dont un tiers atteindront l’âge adulte. La faute, devenue adultère après son mariage en 1659 avec l’Infante espagnole Marie-Thérèse, s’est aggravée de son caractère public. Le péché a été particulièrement grave avec Mme de Montespan, elle aussi mariée, et jeune mère de famille, avec laquelle il entretiendra une longue liaison.
 
Si Louis XIV a ainsi donné un mauvais exemple à ses sujets, il ne faut pas conclure de ces scandales une indifférence religieuse de sa part. Le roi assiste tous les jours au Saint Sacrifice de la Messe, de façon digne et recueillie. Tous les ans, il a voulu se réconcilier avec Dieu et faire ses Pâques, plongeant les confesseurs royaux dans la perplexité, le ferme propos royal étant longtemps demeuré douteux. Certaines années, l’absolution lui a ainsi été refusée, et le roi n’a pas communié. Prêtres et évêques, dont Bossuet, n’ont pas hésité à lui rappeler, publiquement et en chaire, la morale chrétienne, sans être jamais été inquiétés pour avoir fait passer leur devoir avant tout respect humain.
 
Une véritable conversion intérieure a accompagné Louis XIV dans sa démarche d’un mariage enfin stable, et conforme à la morale chrétienne. Le mariage secret et morganatique avec Madame de Maintenon (1683) a ouvert des décennies de vie conforme aux exigences de l’Eglise. Le « secret » a respecté les normes canoniques de présence de témoins ; il a été conservé pour des raisons de prestige, le premier souverain d’Europe ne pouvant afficher une mésalliance, surtout condamnée à rester sans enfants, du fait de l’âge de l’épouse. Cette conversion aurait pu être plus précoce, mais il n’y a pas lieu de douter de sa sincérité. L’âge a pu jouer un léger rôle, mais bien des hommes de pouvoir, au fil des siècles, sont devenus de tristes vieillards libidineux, ce que n’a pas été Louis XIV.
 
Le roi a toujours tenu à être le chef d’un Etat catholique, favorisant la religion sur toute l’étendue de son royaume, et, ce qui est peu connu, tenant compte des impératifs du catholicisme dans sa politique extérieure.
 

La politique religieuse de Louis XIV : orthodoxie et conversion

 
Louis XIV a mené avec un soin constant une politique religieuse intérieure, visant à préserver l’unité et l’orthodoxie catholique, et à amener les protestants à se convertir.
 
L’unité catholique souffre, durant son règne, de diverses crises, et notamment du jansénisme, né peu avant 1643, répandu par l’Augustinus (1640) de Jansenius. Les idées jansénistes sont dans le principe une approche ultra-rigoureuse du christianisme. Ecole de reconversion intérieure, le jansénisme entend éloigner le catholique de l’esprit du monde, et d’une doctrine prétendument corrompue sous l’influence des Jésuites. Ces idées sont diffusées par l’abbé de Saint-Cyran, le milieu de Port-Royal, et de grands esprits, sincèrement catholiques, comme Pascal.
 
Mais l’outrance finit par frôler l’hérésie, voire y sombrer. Louis XIV a évolué jusqu’au tout début du XVIIIe siècle entre la plus grande fermeté face au jansénisme, et une tolérance de fait, espérant maintenir les plus modérés dans l’Eglise catholique et laisser les exaltés s’isoler d’eux-mêmes. Ces exaltés tendent alors à développer des approches nettement protestantisantes, traduisant les textes de la messe en français, raréfiant à ce point l’approche des sacrements que leur pratique confinait à une abolition de fait, organisant à l’occasion une participation active des femmes à la liturgie, etc. Il est intéressant de relever à quel point ces éléments sont repris dans les formes liturgiques en usage en France après 1969.
 
A partir de 1700, Louis XIV entend, en collaboration avec la papauté, éradiquer le jansénisme, en appliquant strictement les bulles Vineam Domini (1705) et Unigenitus (1713). Cette dernière causera après la mort du roi de grandes difficultés, beaucoup d’ecclésiastiques ou de parlementaires – juges à cette époque – en refusant l’application au nom d’un gallicanisme excessif. Louis XIV avait lui-même adhéré lors d’une crise au gallicanisme, à la défense des libertés traditionnelles de l’Eglise de France, avec la fameuse Déclaration des Quatre Articles (1682). Cette crise éphémère fut le fruit d’une mésentente entre les caractères forts de Louis XIV et d’Innocent XI. Elle a produit des conséquences sur le long terme en France, malgré un indiscutable retour de Louis XIV à une politique normale d’entente, et de soumission pour le spirituel, avec Rome. Le néo-jansénisme du XVIIIe siècle est en effet une des origines trop oubliées de la Révolution Française et des convulsions secouent l’Eglise.
 
Quant aux protestants, autour d’un million dans la France de 1660, le roi a voulu favoriser leur conversion au catholicisme. Le premier souci a été celui du salut des protestants, jugé compromis par le schisme et l’hérésie selon la doctrine catholique. Après la mort de Mazarin en 1661, Louis XIV mène donc une politique favorable à leur conversion, consistant en l’application la plus restrictive possible de l’Edit de Grâce d’Alès (1629), qui restreignait déjà l’Edit de Nantes (1598). Les lieux de cultes expressément autorisés en 1629 sont seuls maintenus, les autres étant détruits. A compétences égales, les postes administratifs ou militaires sont donnés en priorité aux catholiques.
 
Cette politique, déjà mise en place par Henri IV, de conversion progressive des protestants a malheureusement basculé du fait d’un zèle outrancier, à l’origine de méthodes moralement contestables et contreproductives, de 1680 à 1710, avant donc comme après la suppression officielle du culte public protestant par l’Edit de Fontainebleau de 1685. La suppression même de ce culte public n’obligeait d’ailleurs pas à contraindre les protestants à une conversion forcée. Sagement, un peu avant 1710, Louis XIV revient d’ailleurs à une politique plus prudente, souhaitant une conversion réelle, volontaire des foyers de résistance protestante, notamment dans les Cévennes, et renonçant à un zèle maladroit ayant conduit aux dragonnades et autres méthodes de conversions forcées. La population protestante convaincue sera tout de même diminuée de moitié au final, du fait notamment d’une émigration très significative. En définitive, la conversion au catholicisme a été plus entravée que favorisée par les débordements de ces années 1680-1700.
 

La politique étrangère : un certain souci de la chrétienté

 
Les conséquences économiques et diplomatiques de cette politique anti-protestante ont été réelles, même si elles ont été exagérées par des contemporains comme Vauban ou a fortiori des historiens militants postérieurs. Ce bilan extérieur est contrasté, puisque si Louis XIV est détesté à La Haye, Londres, Berlin, Stockholm, sa popularité a fortement remonté dans les pays catholiques, à l’extérieur comme dans les provinces nouvellement conquises de Flandre ou de Franche-Comté, favorisant leur intégration dans le royaume. La succession espagnole de 1700, au duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV et prince français, a été très favorisée sinon permise, par ce zèle anti-protestant.
De façon générale, Louis XIV n’a pas été saint Louis, qui voyait d’abord la Chrétienté, la communauté des Etats chrétiens, essentiellement en Europe, puis la France – ce qui ne signifiait pas négliger la France. Louis XIV a été de son époque, comme tous les souverains contemporains, catholiques ou protestants, et a cherché avant tout l’intérêt de son pays, mais il n’a pas été indifférent au sort de la Chrétienté.
 
Il existe encore toute une lecture dominante de la politique extérieure des rois de France, de François Ier à Louis XVI, forgée par les historiens militants positivistes ou républicains du XIXe siècle, louant ces souverains d’avoir osé mené des politiques pures de tout « préjugé » religieux catholique, pratiqué des alliances « protestantes », et même « musulmanes », c’est-à-dire selon le vocabulaire de l’époque « turques ». L’Empire Ottoman est alors une des principales puissances mondiales, occupant tout le sud-est de l’Europe, jusqu’à la Hongrie incluse, ainsi que l’essentiel de l’Afrique du Nord, de l’Egypte à l’Algérie, et du Proche-Orient. Il a pour base nationale les Turcs, tous musulmans, mais s’appuie largement sur des musulmans non-turcs, Bosniaques, Albanais, Arabes, renégats – très nombreux parmi les cadres militaires. Le XVIIe siècle français prend le terme « Turc » pour synonyme de « musulman », usage abusif de l’époque. Il y a en tout cela un fond de vérité : les relations diplomatiques et commerciales suivies, avec Berlin, Istanbul, La Haye ; mais évoquer une alliance durable contre des puissances catholiques comme l’Espagne et l’Autriche, sans aucun souci du catholicisme, cela est faux.
 
Louis XIV a toujours pris au sérieux son titre de « très Chrétien ». Un corps expéditionnaire français a sauvé l’Autriche, pourtant adversaire de la France, en 1664, avec une participation importante sinon décisive à la bataille du Saint-Gothard. Quant au siège de Vienne par les Turcs en 1683, l’absence d’aide française s’explique parce qu’elle a été refusée en amont par l’Etat autrichien.
 
Les cyniques rétrospectifs reprochent à Louis XIV de ne pas avoir envahi l’ouest de l’Allemagne en 1683 ; il n’y aurait certainement pas eu la résistance rencontrée en 1688-89, l’Autriche ayant entretemps repoussé les Turcs jusqu’à Belgrade. Or, précisément, à défaut d’apporter son aide à la Chrétienté, Louis XIV n’a pas voulu profiter de la situation, et favoriser indirectement la pénétration turque en Europe en obligeant les Autrichiens à lutter sur deux fronts.
 
Louis XIV a aussi constamment lutté contre les Barbaresques, pirates musulmans basés dans les ports d’Afrique du Nord et des îles grecques, capturant des chrétiens en mer ou sur les côtes, et les réduisant en esclavage. Il a ordonné les bombardements des ports en question, d’Alger à Chio. Les projets de débarquements massifs à Alger ou Tunis, avec une prise de contrôle de ces territoires, n’ont pas été menés à bien, du fait de guerres trop fréquentes menées sur d’autres fronts, et de l’échec de l’expédition de Gigeri (1664) en Barbarie, précédent exploratoire fâcheux.
 

Louis XIV, un roi catholique

 
Malgré certaines faiblesses durant sa jeunesse, Louis XIV s’est donc conduit en roi catholique. Cet aspect du Roi Soleil est trop peu évoqué, voire occulté. Il se repère en creux dans l’acharnement des adversaires de la France chrétienne contre Louis XIV. Vouloir par exemple absolument souiller Versailles, son grand legs à la France, par de l’Anti-Art contemporain absolument obscène participe de cet état d’esprit maçonnique.
 

Octave Thibault

 
Pour approfondir : lire la biographie de Louis XIV par François Bluche, à ce jour encore la meilleure (Fayard).