Grâce au rescrit fiscal (« tax ruling »), le Luxembourg a réduit à presque rien les impôts dus par 340 multinationales depuis 2002, en toute légalité, grâce à 548 accords secrets passés en dix ans entre les entreprises concernées et son gouvernement. C’est la révélation d’une grande enquête surnommée Luxleaks : elle va révolutionner la finance mondiale.
Le consortium américain ICIJ (International Consortium of Inverstigate Journalists) a mené pendant six mois, avec quarante grands médias internationaux, dont le Monde, The Guardian et la Süddeutsche Zeitung, une enquête mondiale sur les pratiques fiscales du Luxembourg. Elle a été baptisée Luxleaks – par référence au Wikileaks qui a bouleversé l’univers du renseignement. Elle menace de révolutionner, elle, celui de la finance mondiale. En effet, parmi les 340 multinationales bénéficiaires de la chose, on trouve tout le gratin, les géants du net et de l’informatique, Google, Apple, Amazon, mais aussi de l’alimentaire et de la distribution, Coca, Ikea, et les grandes banques et assurances, pour la France, Axa, Crédit Agricole, BNP Paribas, ou encore les grands fonds financiers. Deuxième derrière les Etats-Unis, le Luxembourg brasse 2.400 milliards de fonds. Selon le Monde, les 28.000 dossiers examinés établissent que des milliards d’euros de recettes fiscales sont ainsi parties en fumée.
Comment 340 multinationales ont empoché des milliards d’impôt
Comment cela se passe-t-il ? Il suffit que l’entreprise s’abouche avec le gouvernement du Luxembourg et passe accord avec lui. Le Grand-Duché lui délivre alors un rescrit fiscal (Tax ruling) certifiant que les opérations qu’elle envisage sont légales. Les investigateurs en ont relevé trois types. Tantôt un grand groupe industriel et financier veut réduire sa base de revenus imposables : on peut alors lui proposer, par exemple, par un jeu de prêts, de rapatrier des intérêts défiscalisés au Luxembourg. Tantôt des sociétés et fonds opaques entendent faire sortir leurs profits d’Europe sans impôts : on installe alors une holding qui, par un jeu de dettes, expédie les profits dans un paradis fiscal exotique. Tantôt enfin, des multinationales américaines souhaitent éviter la taxation aux Etats-Unis, et l’on fonde une société hybride qui aura la double caractéristique d’être invisible pour le fisc américain et exonérée d’impôt au Luxembourg. La liste de ces stratagèmes n’est bien sûr pas exhaustive, et la créativité des spécialistes de l’évasion fiscale est en général plus prompte que les réformes du fisc international et des divers fiscs nationaux.
58 des 548 accords secrets passés par le Luxembourg l’ont été avec des gros groupes français. On comprend donc que le Luxleaks soit dans le collimateur de Bercy. En temps de crise et de trous budgétaires, le patriotisme fiscal et la justice sociale sont volontiers agités pour réduire l’évasion fiscale. Le phénomène n’est pas propre à la France.
Le Luxembourg et Juncker dans le collimateur
Le ministre allemand des finances, Wolfgang Schaüble, regrette que le Luxembourg ait « encore beaucoup à faire » pour mettre de l’ordre dans sa fiscalité. Des considérations de politique politicienne internationale viennent se greffer là-dessus. Il n’a échappé à personne que Jean-Claude Juncker, qui vient de prendre la tête de la Commission européenne, était premier ministre du Luxembourg pendant toute la période sur laquelle porte le Luxleaks. Aujourd’hui, l’une des porte-parole de ladite commission Margaritis Schinas, annonce l’ouverture d’une enquête européenne, ajoutant : « S’il y a une décision négative, le Luxembourg devra assumer et prendre des actions pour corriger ». Interrogé à ce sujet, Jean-Claude Juncker estime qu’il ne « serait pas décent » qu’il suive lui-même l’enquête, il laisse donc faire « en toute indépendance » la commissaire chargée de la concurrence. Mais Marine Le Pen lui a déjà demandé de « démissionner », et la verte Eva Joly donné le choix entre « agir et partir ».
Pour l’instant, ces attitudes relèvent de la comédie politique, car l’actuel premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel a beau jeu de rappeler que le « tax ruling », et les autres pratiques fiscales du Luxembourg, sont « conformes aux lois internationales » : pardi, puisqu’il s’agit précisément « d’optimiser » les impôts des super-riches le plus légalement du monde, pour le profit des bénéficiaires, et du Luxembourg qui en tire un revenu substantiel ; ce n’est pas une révélation. Le ministre luxembourgeois des finances, Pierre Gramegna, a rappelé aussi, dans une interview au Monde, que : « De nombreux pays pratiquent les rulings, pas seulement l’Irlande, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, mais aussi la France et l’Allemagne. Si l’on pense que ces règles ne correspondent plus aux besoins du monde global et qu’il faut en changer, cela doit se faire dans le cadre d’un grand débat international ».
Derrière la révélation de Luxleaks, un projet grandiose
Il pose ici la vraie question : qu’est-ce qui est au bout de ce scandale mondial, déclenché, il faut le noter car c’est tout à fait exceptionnel, par une enquête mené par un consortium international de grands journaux ? Réponse, un système fiscal correspondant aux besoins du monde global, c’est-à-dire, au terme du grand débat international demandé, un Nouvel Ordre Mondial. Les lecteurs de réinformation.tv se souviennent que le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, le même qui est en pointe sur Luxleaks, réclamait voilà quelque jours une « taxe mondiale » : le scandale d’aujourd’hui est de nature à la faire avancer. On voit se dessiner un mouvement politique planétaire pour taxer et limiter les profits de ce que l’on appelle souvent la Haute Finance internationale. Or, cette finance mondiale, par qui est-elle détenue dans les faits ? Par les Américains, les Britanniques, les juifs, les Occidentaux. On a remarqué depuis quelques mois les initiatives financières de la Chine, de l’Inde, des Brics, pour partager le gâteau et le pouvoir, avec l’appui de la Russie de Vladimir Poutine, qui réclamait pas plus tard qu’hier des concessions financières des Etats-Unis et un rôle accru pour le FMI.
Le mouvement général est clair : mise au pas de la finance mondiale, taxe universelle, accroissement du pouvoir de institutions internationales, dont le FMI, le volet financier du processus menant à la gouvernance globale s’affiche sans mystère. Il devient encore plus aveuglant si l’on prend garde du récent accord passé entre 120 pays contre la fraude fiscale et le partage des données qui la rendrait plus efficaces (il faut toujours lutter pour un monde meilleur, plus juste). Un point de cet accord n’a peut-être pas suffisamment été souligné : il vise particulièrement les trustees anglo-saxons. Rappelons que ces fidéicommissaires, comme on les nomme en français, sont des sortes d’hommes de paille qui gèrent les fonds qui leur sont confiés sans que jamais ne puisse apparaître – pour l’instant- le nom de la commanditaire. Autrement dit, ce sont des machines à faire disparaître la fortune des très grands riches, Rothschild, Rockefeller, etc. Quand les lois de transparence seront prises, ces trustees ne joueront plus leur rôle de paravents. On saura enfin qui possède quoi, et les vrais propriétaires seront forcés de payer des impôts sur des actifs formidables au sens propre – c’est-à-dire que leur masse fait peur. Le système actuel va disparaître. La fortune anonyme et vagabonde ne sera plus tout à fait anonyme.
La finance mondiale se taxe elle-même pour promouvoir la gouvernance globale
Il y a là un grand paradoxe : ces mêmes super-riches sont à la source du mouvement qui mène à la gouvernance globale, ils y contribuent présentement par les médias qu’ils contrôlent, par les associations qui pilotent l’écologisme, par les institutions internationales qu’ils ont noyautées, par des think tanks tel le Council for Foreign Relations, des clubs comme le Siècle ou le Bilderberg, les rencontres comme Davos. Or l’avancée de la gouvernance globale qu’ils ont provoquée va nuire à la finance mondiale qu’ils représentent, elle va les toucher au portefeuille. Pour l’admettre, il faut comprendre qu’à ce niveau-là, l’argent ne compte plus que comme moyen : leur véritable appétit porte sur le pouvoir. Le pouvoir universel. Cela vaut bien de payer quelques dollars de plus. La révolution universelle nécessite un petit sacrifice fiscal. Et s’il venait à quelque membre de ces 200 familles mondiales de se rebiffer dans un réflexe de grippe-sou, de patriotisme familial, on saurait l’en dissuader. Le milieu de la finance mondiale n’est pas plus tendre que le milieu tout court, il suit des règles diablement dures : Amschel Rothschild, qui s’est « suicidé » en 1996, ou le fils Rockefeller, qui a eu un « accident » en juin 2014, en portent témoignage.