La Maesta ou Majesté, est un chef d’œuvre du peintre Duccio à Sienne. Ce retable, malheureusement démonté et dispersé, comportait deux séries de panneaux : ceux de la Vierge, faisant face aux fidèles, et ceux de la Passion du Christ, à l’origine face au fond de la cathédrale, et historiquement contemplés surtout par les chanoines.
Le réalisateur Andy Guérif a décidé de reprendre les panneaux de la Passion du Christ, et d’en faire un film expérimental, transposant exactement les tableaux de Duccio en une série de tableaux vivants. Ainsi de manière fidèle à l’art de Duccio, est proposé le récit de la passion du Christ en 26 panneaux successifs, de l’entrée à Jérusalem au chemin d’Emmaüs. Les tableaux originaux ont été peints peu après 1308 (date du contrat, qui a été conservé). Le film dure une heure, peu de temps dans l’absolu, mais une heure particulièrement dense, qui requiert à chaque instant toute l’attention du spectateur.
Andy Guérif est un artiste contemporain. Il est né à Angers en 1977. Il est actif depuis une quinzaine d’années, mais reste peu connu, hors de cercles restreints. La Maesta reprend les principes déjà utilisés dans une de ses œuvres précédentes, la Cène (2006). Il est l’auteur en particulier d’un livre, le Code de l’Art (Editions Palette, 2013), réflexion amusante sur le lien possible entre des tableaux célèbres et leur utilisation éventuelle comme panneaux indicateurs : ainsi sur le modèle de La Chambre de Van Gogh est proposé un panneau pour des hôtels. Ce livre reste d’esprit léger, au sens positif du terme. La Maesta est empreinte au contraire de toute la dignité requise. La Maesta est le premier long métrage d’Andy Guérif.
La Maesta, vision d’ensemble des panneaux
Le film peut se voir sans connaître la Maesta ni les panneaux de la Passion. Pourtant, il est préférable de connaître les panneaux d’origine, quitte à les découvrir juste avant de voir le film, pour mieux apprécier leur animation.
Les illustrations proposées ci-dessous proviennent du Musée du Dôme de Sienne, et sont fondées sur les travaux de Lew Minter (2006) [Droits réservés].
La Maesta, avec couleurs d’époque :
La Maesta, état actuel des panneaux :
Le film essaie de retrouver les couleurs d’époque, d’après les travaux des meilleurs spécialistes.
Voici l’arrangement probable des panneaux (seuls les 26 panneaux centraux sont présentés dans le film) :
L’art exceptionnel de Duccio
Le peintre Duccio di Buoninsegna (Sienne vers 1255-1260 – vers 1318-1319), dit Duccio, fut en son temps le plus grand peintre siennois. Il est l’exact contemporain de Giotto (1267-1337), et mériterait d’être aussi connu que lui. Son importance est majeure dans l’histoire de l’art. Il a influencé la génération suivante, en premier lieu Simone Martini (1284-1344), autre maître siennois, et les deux frères Ambrogio et Pietro Lorenzetti. L’art de Duccio, loin d’être une simple étape entre l’icône byzantine, belle mais figée, en principe aux règles immuables, et les tableaux à fond profond, coloré, et en perspective du XVe siècle, possède une beauté spécifique, celle, unique, des « primitifs italiens », alliant majesté issue des icônes byzantine et vie des personnages aux proportions réelles ou proches et aux habits variés… Les personnages peuvent être nombreux, avec des foules, rendues en des espaces réduits avec une très grande minutie. Ces personnages, en particulier les visages, sont bien individualisés, capables d’expressions multiples, dont la joie, ou la tristesse.
Hommage à Duccio et mystère médiéval
Le concept du film consiste donc à animer les tableaux de Duccio. Des acteurs réels, portant les costumes des tableaux, rejouent les scènes. Le résultat est étonnant, et, à notre goût, franchement réussi. Ainsi, au-delà de l’hommage mérité à Duccio, est déroulé un véritable mystère médiéval. Ces spectacles se jouaient devant les cathédrales et donnaient les grandes scènes de la Bible, en particulier celles de la vie du Christ, et singulièrement la Passion, jouée tous les ans au moment de Pâques.
Les mystères ont généralement disparu aux XVe et XVIe siècle, du fait de dérives jugées irrespectueuses lors des représentations. Si le spectacle religieux doit impérativement rester digne, grave, en effet, cette fin des mystères a probablement été une perte pour le patrimoine culturel chrétien. En outre, ils manquent terriblement de nos jours dans la transmission des vérités catholiques, qu’ils permettraient de rappeler, particulièrement à notre époque où l’analphabétisme religieux est tellement répandu que Canal+ a osé présenter Jésus comme un violent de la veine de Mahomet. La souffrance du Christ, et sa dignité plus qu’humaine dans l’épreuve, sont parfaitement rendues dans la Maesta.
La passion et la résurrection du Christ
La Passion est le moment fondamental du passage de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, sur terre, avec ses souffrances et sa mort pour le rachat des péchés des hommes, de tous les hommes de tous les temps. Et elle est suivie, épisode absolument essentiel qui lui donne tout son sens, par la Résurrection.
Ces scènes sont reproduites fidèlement dans le film. Il pourra servir, dans un cadre plus propice à l’étude qu’une salle de cinéma, en DVD ou autre mode de conservation et projection, au catéchisme paroissial ou familial. Suivant les originaux de Duccio, toutes les petites scènes sont très pédagogiques. Elles sont aussi parfaitement fidèles à l’enseignement de l’Eglise catholique.
La critique moderne, qui tend à nier, dans les détails ou les grandes lignes, le récit des Evangiles, n’a nulle place ici. La succession des évènements est parfaitement respectée, avec, au cœur de la Passion, l’arrestation du Christ, son procès devant les grands prêtres judéens Anne et Caïphe, son premier procès devant Pilate, son procès informel devant Hérode le Tétrarque – avec la seule réponse digne possible, le silence –, le deuxième procès devant Pilate, avec la condamnation à mort par crucifixion suite à la réclamation menaçante de la foule. Le Christ ressuscité est physiquement présent, à la fois le même et différent, illustrant merveilleusement ce miracle de la Résurrection.
On mentionnera un seul regret, pour cet usage pédagogique : afin d’avoir un effet de bruit de foule, les paroles échangées par les protagonistes, Jésus, les grands prêtres judéens, Hérode et Ponce Pilate, sont peu claires. Là, par exception, l’effet artistique, discutable, nuit à la fluidité du message. Il se comprend certes, puisque le spectateur est immergé comme un membre de la foule, situé un peu trop en arrière de l’action. Le cinéphile adulte, au courant du message évangélique, pourra apprécier l’effet ; mais cet effet nuira un peu à un usage catéchétique auprès des enfants.
Une réelle émotion
Le film réussit à dégager une véritable émotion. Elle provient d’abord de la surprise. A notre connaissance, aucun exercice cinématographique de ce type n’a été mené. A travers Duccio, et le style primitif italien siennois magnifique, le spectateur revit véritablement Jérusalem au temps de la Passion. La beauté de l’Italie médiévale remplace dans le décor un Orient trop souvent de pacotille, et renvoie à la chrétienté médiévale, à son apogée aux XIIIe et XIVe siècles, époque de Duccio.
Outre les faits historiques centraux de la Passion et de la Résurrection, une véritable vie est insufflée, pour le spectateur, par la fidélité aux détails de Duccio : de nombreux enfants qui crient de joie égaient la procession des Rameaux ; les deux larrons hurlent de douleur lorsqu’ils sont crucifiés, avant le Christ, silencieux ; le Diable est piétiné par le Christ lors de la Descente aux Limbes. Le Diable existe donc, ce que l’on ose plus trop dire, bien à tort, aujourd’hui.
Un film à voir
Que ce soit au cinéma, actuellement, dans les trop rares salles qui la diffusent, et sont d’ailleurs à soutenir de ce fait, ou demain en DVD et téléchargements légaux, la Maesta est donc à voir, et même à posséder pour les familles chrétiennes. Elle propose un bon pendant, plus simple, plus court, plus recentré sur le récit évangélique, plus à la portée des enfants, que la Passion de Mel Gibson.
Enfin, objectif secondaire, mais plus qu’honorable, la Maesta incite à redécouvrir les primitifs italiens, si oubliés, si absents, en nos temps ou sévit un anti-art contemporain ridicule, grossier, obscène, souvent blasphématoire… Ces primitifs italiens peuvent aider à la formation du sens du Beau, contrairement à ce qui se fait si souvent à notre époque.