Nouvelle manipulation d’un synode : l’archevêque de Sydney, Mgr Anthony Fisher, a apprécié l’enthousiasme des jeunes mais soulève des objections de fond

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Souriant, tout en rondeur, l’archevêque de Sydney a commenté avec finesse le récent synode sur les jeunes au micro d’Edward Pentin du New Catholic Register, ne cachant pas son appréciation de l’enthousiasme des jeunes présents et de l’esprit des pères synodaux, mais se montrant tout aussi franc dans sa dénonciation de ce qu’il appelle lui-même une « manipulation ». Nouveau synode, nouvelles objections de fond : il y a de nouveau, comme après des synodes sur la famille, beaucoup à craindre du document final. Il a notamment dénoncé la manière dont la question de la synodalité a fait son entrée dans le texte. La critique à l’égard du pape François, pour être voilée, n’en est pas moins réelle dans la bouche de ce Dominicain archevêque, Mgr Anthony Fisher.
 

La manipulation du synode des jeunes

 
D’ailleurs, il a répondu à la première question d’Edward Pentin avec une boutade que tout Anglais un tant soit peu cultivé aura comprise dans toute sa portée. « Etes-vous heureux de ce qui est sorti du synode ? », demandait Pentin. « Comme l’œuf du vicaire, il a été bon pour partie. » Voilà qui fait référence à un dessin de George du Maurier dans le journal humoristique Punch le 9 novembre 1895 : sous le titre La vraie humilité on y voit un jeune vicaire à la table de son évêque (anglican), aux prises avec un œuf pourri.
 
L’évêque : « Je crains que votre œuf ne soit mauvais, M. Jones. »
 
Le vicaire : « Pas du tout, my Lord, je vous assure que certaines parties sont excellentes ! »
 
Le synode, un œuf pourri ? On peut raisonnablement penser que cela reflète le jugement d’ensemble de Mgr Fisher, même s’il a tenu à mettre en évidence le temps et les ressources mises en œuvre par les pasteurs de l’Eglise pour parler des jeunes et de leur vocation, signe du sérieux avec lesquels ils ont abordé cette question, de leur affection pour les jeunes et de leur passion en vue de les amener plus près du Christ et de son Eglise, comme l’a dit le prélat. « Il y eut des moments précieux de prière, de contemplation, de conversation. »
 
Mais cela ne l’empêche pas de dénoncer le caractère ambigu de certaines parties du document final, illisible selon lui pour les jeunes : « Ils sont peu nombreux, ceux qui s’aventureront à lire quelque chose d’aussi long et d’aussi alambiqué. Le texte comporte certaines parties très belles, souvent suivies de fatigantes analyses secularo-sociologiques », a-t-il souligné. Il aurait fallu « couper »…
 

L’archevêque de Sydney, Anthony Fisher, s’exprime sur le synode des jeunes

 
Pour Mgr Fisher, le document final a été « significativement amélioré par rapport à l’instrumentum laboris », et ce grâce au travail des évêques qui ont contré quelques-uns des objectifs des « bureaucrates synodaux » – on en déduit que ces derniers, officiellement mis en place pour orienter le synode, avait une volonté révolutionnaire par rapport à la doctrine. Le prélat ne répond pas directement à la question du danger qu’il y a à devoir lire le document final sous l’éclairage de l’instrument de travail (cela figure au paragraphe 3) mais souligne qu’à son sens, ce dernier « n’a pas l’autorité des évêques ».
 
Quel sera le poids magistériel de ce document final, et sera-t-il « problématique » ? A cette question de Pentin, Anthony Fisher a répondu : « Le pape a laissé entendre que plutôt que de publier sa propre exhortation post-synodale – comme cela s’est habituellement fait par le passé – il pourrait plutôt adopter ce document comme étant de lui. Cela donnerait au document synodal un poids qu’il n’a jamais eu dans l’histoire. Vue la manière précipitée dont on a préparé le document synodal, je conseillerais personnellement qu’il n’obtienne pas une “coche” automatique du pape. Et il devrait être clair que ni document de travail, ni l’ébauche de document final ne peuvent faire parti du magistère parce qu’ils ne sont pas le produit d’exercice d’enseignement et de gouvernement des pasteurs de l’Eglise. De tels documents peuvent être très bien conçus en raison des théologiens et des sociologues et des arguments qui les soutiennent, mais ce ne sont pas les conclusions des pasteurs de l’Eglise. »
 

Objections contre la synodalité introduite dans le document final

 
Mgr Fisher a reconnu qu’il est « décevant » de voir que les rédacteurs du document ont tant hésité à « mentionner l’enseignement moral de l’Eglise », alors que les inquiétudes des jeunes portent sur les questions morales et le spirituelles. « Plusieurs d’entre nous avons essayé d’y faire entrer une part plus importante de l’enseignement de l’Eglise sur la loi naturelle, les absolus moraux, la prudence et l’opération de la conscience, et sur des questions spécifiques comme la vie et le sexe, et il y eut des améliorations. Le document final eût été plus utile s’il avait été plus clair sur ces questions. »
 
Pourquoi cette absence ? « L’un des facteurs a probablement était le désir de répondre aux préférences supposées de la culture jeune contemporaine, qui est si souvent en opposition avec la tradition catholique en matière morale. Un autre facteur m’a semblé être le point de vue implicite selon lequel les deux précédents pontificats (ou davantage) avaient été trop intellectuels, trop catéchétiques, trop dirigistes, et que ce synode devait marquer une évolution en cours passant de la tête au cœur, de l’intelligence spéculative et morale au discernement affectif. Les rédacteurs semblaient malades, non seulement par rapport à des enseignements particuliers du magistère, mais aussi à l’égard de la méthodologie du magistère à ce jour et de la manière dont elle apprécie l’intelligence pratique. »
 
C’est bien ce que dit le paragraphe 45 du document, parlant de l’importance de l’image par rapport à celle de la parole chez les jeunes, et du poids « des sensations et des émotions comme voie d’approche de la réalité ».
 

Le synode sur les jeunes, un document ambigu et frileux quant à la doctrine

 
Mgr Fisher note que sur la question de l’homosexualité, le document final s’efforce de mieux suivre la tradition de l’Eglise plutôt que l’esprit du temps, « en évitant de réduire les personnes à leur désir sexuel ». C’est une lecture qui me semble un peu optimiste, mais il souligne tout de même : « Certains d’entre nous auraient voulu que cela soit plus clair et plus fort – par exemple, je ne crois pas que le document final soit clair quant à la finalité de la procréation. Mais il est significativement meilleur que ne l’était le document travail et l’ébauche de document final. »
 
Autrement dit, les évêques ont dû batailler pied à pied pour éviter que ne soit imposé un document franchement éloigné voire contraire à l’enseignement de l’Eglise en matière de sexualité.
 
Interrogé à propos des traductions de l’italien vers les langues utilisées par les pères, dont au moins 50 % ne comprenaient pas l’italien, et les jeunes auditeurs dont la grande majorité était dans le même cas, Mgr Fisher a répondu : « Si l’Eglise doit organiser des rencontres véritables internationales, elle va devoir améliorer l’organisation linguistique et assurer que tous les participants puissent obtenir les textes dans les différentes langues officielles de la rencontre. Cela n’a pas été fait lors de ce synode. Il y a eu d’autres problèmes en rapport avec l’agenda et les règles synodales qui ont laissé certains avec l’impression d’avoir été manipulés. »
 
Edward Pentin a alors posé la question : « C’est très difficile de voter un paragraphe dont on a seulement connaissance par la traduction de l’interprète, n’est-ce pas ? »
 
Reponse : « Oui, le texte a été lu tellement vite que les traducteurs ont eu du mal à tenir le rythme, et les pères n’avaient pas la possibilité de prendre des notes dans leur langue. Ainsi, nous n’étions pas toujours sûrs de savoir sur quoi nous votions oui ou non. »
 

Les jeunes organisés en « claque » ?

 
Tout en affirmant que les 36 jeunes qui ont assisté à l’ensemble du synode étaient « merveilleux », « idéalistes » pour la plupart, et que leur présence avait été un “plus”, Mgr Fisher a confirmé les dires d’un jeune Argentin évoqués par reinformation.tv : « A certains moments, j’avais l’impression qu’ils chassaient en meute : ils applaudissaient, ils acclamaient, hurlaient des commentaires conformes un script très particulier. Certains ont dit que ces jeunes ont été coachés afin de promouvoir certaines prises de position – mais ça, je n’en sais rien. Mais l’un des plus internationaux des pères synodaux a fait remarqué qu’il ne semblait guère, voire pas du tout, y avoir de jeunes d’une “disposition plus classique” (ce sont ces paroles) sur place pouvant exprimer ce point de vue et que cela a fait que ces jeunes auditeurs n’étaient pas tout à fait représentatifs de leur génération. »
 
Edward Pentin a alors demandé si Fisher avait eu le sentiment que ceux qui demandaient davantage de tradition et d’orthodoxie, tels les Africains avaient peut-être été empêchés de parler.
 
« Non, je ne crois pas que ce sont seulement les personnes d’esprit plus traditionnel qui ont été empêchés de parler : nous l’avons tous été. Le fait est qu’après nos courtes déclarations initiales, il a été presque impossible aux évêques de se faire de nouveau entendre par l’assemblée générale », a-t-il répondu. Et ce même lors des « discussions libres ». « Les discussions libres ont été très peu nombreuses, en général pendant la dernière heure d’une journée déjà très longue. Une fois au moins, ce temps a été presqu’intégralement utilisé pour des discours de représentants œcuméniques. A d’autres moments, ce sont des annonces qui ont empiété sur ce temps. Et lorsque il y a effectivement eu des discussions libres, on a entendu que des cardinaux et des auditeurs jeunes ; aucun évêque. On vous laissait le temps de votre petit discours du début, et c’était à peu près tout, pour ce qui est de l’assemblée générale. »
 

La manipulation du synode a surtout porté sur la synodalité

 
Le point le plus important de ce synode a certainement été l’introduction de la notion de « synodalité », qui représente à peu près un tiers du document final. Edward Pentin a demandé comment cela a pu se faire.
 
Réponse de Mgr Fisher : « Et bien, elle ne figurait ni dans le document de travail, ni dans les discussions de l’assemblée générale, ni dans les groupes de discussions par langue, ni dans les rapports des petits groupes : elle a tout simplement apparu, comme venant de nulle part, dans l’ébauche de document final. Il y a eu quelque résistance de la part des pères synodaux face à cette évidente manipulation. Cela veut dire que certains ont voté contre les paragraphes en rapport avec la synodalité, non pas parce qu’ils étaient en désaccord mais parce qu’il n’était pas d’accord de voir ces paragraphes mal taillés introduits dans le processus si tard et sans aucune bonne raison. »
 
La synodalité à la barbe des évêques ? Quelle ironie !
 
Pentin a alors demandé si cette introduction un rapport avec le prochain synode sur l’Amazonie.
 
« C’est ce que pensent certains : qu’il s’agissait de donner au synode sur l’Amazonie la permission de s’écarter des positions de l’Eglise universelle, notamment en ce qui concerne le célibat sacerdotal ; ou de laisser d’autres conférences épiscopales, par exemple les Allemands, avoir une position divergente par rapport à l’Eglise universelle en matière de bénédiction d’union de couples de même sexe par exemple. C’est possible, mais j’ai un avis un peu différent. Il y a eu des pressions en vue de décentraliser certains aspects de l’Eglise, loin du pape, des cardinaux et des dicastères romains, vers des niveaux plus régionaux ou locaux ; une pression pour qu’il y ait davantage d’implication des laïcs dans les processus décisionnels de l’Eglise. Tout dépend du quoi et du comment : dans certains cas, cela peut paraître très sensé. Mais il y a alors des problèmes ecclésiologiques, et le recours au discours sur la synodalité est bien souvent très flou. Un document sur la synodalité a été préparé et approuvé un peu à l’arrache par la Commission théologique internationale au mois de mai. Comment lui donner une autorité magistérielle ? Eh bien, un moyen était de le faire citer de manière approbatrice lors d’un synode d’évêques et de faire approuver ce document par le pape. »
 
Si ce n’est pas la dénonciation d’une manipulation, les mots n’ont plus de sens.
 
En tout cas, Mgr Fisher est d’accord pour dire que ce type de synode peut servir de vecteur à l’hétérodoxie.
 

Les objections de l’archevêque de Sydney sur la nouvelle manière de faire de la doctrine

 
« Oui, c’est un vrai danger. Ce n’est pas ainsi qu’on fait là, si vous préparez un document du Vatican sur un sujet, il faut réunir un groupe de théologiens ou d’experts hautement qualifiés dans ce domaine pour présenter des ébauches et de nouvelles ébauches. Il faut les faire critiquer par d’autres. Il faut pour finir le présenter aux évêques de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Le pape peut apporter sa contribution à différentes étapes, et au bout du compte, c’est son approbation qui donne une réelle autorité au document. Cela prend du temps – selon mon expérience, plusieurs années, habituellement – avant qu’un document ne soit suffisamment mûr pour être publié comme énonçant la foi de l’Eglise. Mais lors de ce synode, nous avons écrit de la doctrine, pour ainsi dire, en cavale – et pour ce qui est de la synodalité, en moins d’une semaine. (…) Et pour ce qui est du vote, il s’est fait en quelques minutes, et sous l’épouvantable pression du temps, sans qu’il n’y ait la possibilité d’amender davantage le texte. Pour moi, ce n’est pas ainsi qu’il faut faire de la doctrine. »
 
Pour conclure, Mgr Fisher a répondu à une parole du cardinal Louis Raphaël Ier Sako évoquant la certitude que Jésus-Christ ne quittera jamais la barque de Pierre. « Pensez-vous qu’il n’est pas utile, en un sens, de s’inquiéter à propos de la synodalité parce que nous ne sommes pas comme des Anglicans ? », a demandé Pentin, qui est lui-même un converti de l’Eglise anglicane.
 
« Les pères synodaux qui ont vu comment la synodalité a bousillé l’Eglise anglicane, ou la manière dont elle fonctionne dans les Eglises orientales mais seulement après des siècles de développement de l’étiquette synodale, n’étaient pas sans savoir le bénéfice que nous avons d’avoir la papauté. Ce qui les rend méfiants, me semble-t-il, est la manière dont les synodes peuvent être manipulés aujourd’hui, emportés par les modes du moment. Ils se sont également méfiés de tout ce qui a été dit de manière vague du “style synodal” et de “l’apprentissage synodal” et tout le reste, et dont une partie a survécu dans le document final, et cela peut vouloir dire des choses très différentes dans des bouches différentes et se révéler, au bout du compte, être une grande source de discorde. Espérons que nous, les catholiques, parvenions à une notion plus claire de la synodalité en allant de l’avant. »
 

Jeanne Smits