Saint Vincent de Paul (1581-1660) est un des plus grands saints de l’Eglise catholique. Il est un des plus représentatif du XVIIème siècle français, appelé couramment siècle des Saints. Il illustre aussi le renouveau de l’Eglise, ou sa Réforme, au sens catholique, après le Concile de Trente (1545-1563) et la mise en application de ses décrets, qui, surtout hors d’Italie, s’étale sur plus d’un siècle.
Madame Marie-Joëlle GUILLAUME propose un travail intéressant, sur une figure certes pas méconnue, mais en la replaçant dans son temps en une perspective historique juste.
Saint Vincent de Paul est connu pour son immense charité, soit son amour surnaturel de Dieu, et son amour surnaturel de son prochain, indissociable, au nom de ce même amour de Dieu. Il a multiplié les fondations de secours les plus utiles, venant en aide à tous les plus fragiles de son époque : les pauvres en général, les petits enfants, les vieillards, les malades, infirmes ou handicapés – le terme n’existe pas, mais la chose assurément – et même les filles perdues. Il est difficile de ne pas être sensible à l’intensité de son amour.
DES ATTAQUES CONTRE UN GRAND SAINT, DES OBSCURITES REATIVES DANS SA VIE LEVEES
Or le XIXème siècle athée a voulu démolir aussi cette figure de saint Vincent de Paul pourtant ô combien incontestable, proche et touchante. En employant la méthode hypercritique, celle qui en est venue à nier jusqu’à l’existence historique du Christ, l’un des personnages pourtant les mieux documentés de l’Antiquité, beaucoup d’auteur ont tenu à rejeter comme légendaire tout le récit de la vie que l’on croyait pourtant connue de saint Vincent de Paul. Cette attitude malhonnête, qui étonne même d’hommes d’Eglise agissant dans le siècle, se heurte aux fort nombreux documents que son époque nous a légués. Il est néanmoins regrettable que l’essentiel de son abondante correspondance, comme ses mémoires personnels, aient été brûlés dans un élan de vandalisme typique de la Révolution française en 1792.
Les attaques les moins absurdes portent sur la vie de Vincent de Paul avant 1610. Après 1610, il y a quasiment moyen de le suivre heure par heure. Ainsi, avant 1610, Vincent de Paul aurait-il été un prêtre sans guère de vocation, ou un carriériste relativement peu scrupuleux à la recherche de bénéfices ecclésiastique, voire au besoin un affabulateur, en particulier en ce qui concerne le récit de son esclavage en Afrique du Nord. Curieusement, des prêtres des années 1920-1930 ont cru devoir reconnaître la véracité de ces accusations émanant le plus souvent d’athées militants, afin d’insister, selon la mode de cette époque, sur la théorie qui affirme que la sainteté serait marquée par une rupture franche, totale, avec une vie antérieure, nécessairement empreinte par le péché. Ce schématisme ne tient pas : nul ne doutera de l’accroissement de la charité de Vincent. Il n’est pas nécessaire d’en faire un saint visible, manifeste, dès l’enfance ou pendant sa jeunesse. Mais extrapoler de petits vides ou flous dans les sources sur son existence juvénile, à l’époque où un obscur et jeune prêtre du diocèse de Dax n’intéressait sûrement personne, pour y trouver mensonges, dissimulations et comportements immoraux, est aussi téméraire que malhonnête et ne sert certainement pas l’Eglise, malgré le goût du paradoxe de la première moitié du XXème siècle.
Le travail de Mme Guillaume, qui s’appuie sur des recherches considérables, doublées d’émouvantes visites sur le terrain, permet de fixer un certain nombre de points obscurs. Vincent de Paul est né en 1581, dans un village près de Dax. La date a été controversée, remontée souvent à 1576, voire plus tôt, afin de lui permettre d’avoir reçu le sacrement de l’ordre à un âge autorisé, ou presque, par le Concile de Trente, soit 27 ans avec dispense courante à 25 ans, et non bien plus tôt, à 19 ans en 1600. L’explication simple est que l’application des décrets du Concile a été lente en France, et n’avait pas commencé à la fin du XVIème siècle. Et Vincent de Paul avait les qualifications requises pour être ordonné dans le diocèse de Dax en 1600 ; il a été ordonné ailleurs, mais après enquêtes, en lien avec son diocèse. La maturité à cette époque était aussi très supérieure à celle aujourd’hui constatée et 19 ans en 1600 correspondent au moins à 29 ans en 2015.
L’enfance et l’adolescence de Vincent de Paul peuvent être reconstituées assez sûrement. Certes, moult légendes pieuses ne sont pas établies. Mais il n’y a pas à douter de la piété de l’enfant. Certes relativement pauvre, il vient d’un milieu de paysans alleutiers, ne dépendant d’aucun seigneur, auto-administrés en communauté paysanne. Le jeune Vincent a pu suivre, aidé par un solide réseau de soutien familial, des études à Dax, à Saragosse brièvement, puis à Toulouse. Sérieux dans ses études, Vincent de Paul est aussi un brillant intellectuel qui, par modestie chrétienne, ne l’a jamais affiché, prétendant au contraire à l’ignorance. Il suivra toute sa vie sans difficulté les querelles théologiques les plus subtiles de son temps ; ainsi, après 1640, il comprendra parfaitement le Jansénisme professé par certains de ses anciens amis et le rejettera comme poison des âmes éloignant des sacrements.
Sur une décennie, de 1600 à 1610, Vincent de Paul a cherché un emploi dans l’Eglise, correspondant à son statut de prêtre. Il n’y a là rien de scandaleux ou d’indigne. Derrière lui, la famille qui l’a soutenu dans ses études a probablement attendu une aide en retour provenant d’un bénéfice. Il n’y a là rien d’édifiant mais tel était l’usage de l’époque, y compris et surtout dans les plus hautes sphères de la société, et ce dans tous les pays catholiques. Vincent de Paul n’a pas négligé les voyages en France et jusqu’à Rome pour trouver un tel emploi. C’est durant un trajet en Méditerranée, parfaitement justifié par ses recherches, qu’il a été enlevé par des pirates barbaresques et vendu comme esclave à Tunis (1605). Le fait n’a alors rien d’exceptionnel. Il en a peu parlé par la suite, n’ayant pas été martyr, ni même, le plus souvent, maltraité ; il a gardé de l’expérience (1605-1608) de solides connaissances médicales et chimiques acquises auprès d’un savant tunisien renommé dans tout l’Empire ottoman et a réussi à s’enfuir en compagnie de son dernier maître, un renégat converti grâce à ses soins. Rien d’absurde dans cette histoire.
UN PARCOURS EXEMPLAIRE, TRES CONNU, ET POURTANT TOUJOURS EMOUVANT A RELIRE
A partir de 1610, soit pour la plus grande partie de la vie de Vincent de Paul, les choses sont beaucoup plus connues et indiscutables – pour les gens de bonne foi. En 1610, Vincent touche aux hautes sphères de Paris en devenant aumônier de Marguerite de Valois (1553-1615), dernier enfant vivant d’Henri II et de Catherine de Médicis, et ex-femme – après un mariage reconnu invalide – de Henri IV (1589-1610). Dans cette fonction, il a été au contact des nécessiteux, distribuant les aumônes de la princesse. Lui sont venues très vite des idées d’organisation ou de réorganisation de la charité publique. Vincent de Paul sait qu’il faut laisser un temps à la Providence pour agir et met en garde durant toute sa vie (connue) autant contre l’indifférence, mal le plus courant, que contre l’activisme, agitation qui ne débouche sur rien de durable hormis le découragement.
Nous ne reproduirons pas ici toutes les étapes et les péripéties de la vie si dense de saint Vincent de Paul de 1610 à 1660. Nous inviterons le lecteur justement curieux à lire le livre. Le plus intéressant dans cette biographie, au-delà du rappel de ces faits, est la mise en évidence de la démarche de Monsieur Vincent et son intérêt porté à tous les pauvres, y compris les délaissés ou ceux jugés irrécupérables, comme les galériens. Ces derniers sont en effet, dans leur grande masse, des criminels endurcis : pourtant, le nouvel aumônier général des galères organise pour eux des soins des corps et des âmes, veillant à la fondation d’hôpitaux en leur faveur et organisant des prédications qui portent des fruits, contre toute attente du public. A partir de l’épisode des galériens (1619), M. Vincent est devenu un personnage public, très connu, parfois à la mode – avec des éclipses, comme dans tout phénomène de ce type. Il a cultivé alors l’humilité la plus stricte, pour ne jamais être contaminé par l’esprit mondain, tentation d’autant plus redoutable qu’il côtoyait depuis 1610 toute la haute société, la Cour, la haute noblesse, la haute bourgeoisie, et jusqu’aux rois et reines. Ces rencontres permettent de récolter des fonds parfois considérables au service des pauvres et sont à ce titre absolument indispensables. Le XVIIème reste aussi celui de misères effroyables, comme l’illustre le cas des réfugiés lorrains des années 1630, mourant littéralement de faim et de maladie, ou des habitants modestes de l’Ile-de-France, affamés pendant de la guerre civile appelée Fronde (1648-1653), avec Paris comme enjeu-clef que se disputent tous les partis. Au-delà des dons financiers, vitaux, M. Vincent sait solliciter le don de soi, avec des dévouements remarquables, y compris dans la très haute société. Or les pauvres malades de ce temps renvoient à des réalités sordides : la saleté presque toujours, la mauvaise humeur souvent et le danger de la contagion. Pourtant beaucoup de dames et de jeunes filles sont parvenues à une persévérance remarquable en ce difficile exercice de la charité. M. Vincent possède aussi un sens remarquable de la société de son temps : ainsi, un noble Lorrain réfugié, sans aucune ressource à Paris, ne mendie jamais, ne demande rien et meurt de faim. M. Vincent organise donc des dons faits par des nobles pour des nobles, car un noble peut recevoir d’un autre noble sans manquer à sa dignité.
En s’inspirant des exemples médiévaux, désorganisés au XVIème siècle par les guerres de Religion, ou de sociétés de charités découvertes à Rome en 1609, M. Vincent a su fonder trois Congrégations durables, différentes dans leur composition humaine, leurs moyens, mais irriguées de la même spiritualité et l’exercice de la Charité : les Dames de la Charité (1617), puis les Filles de la Charité (1623, confirmation romaine en 1633), pour les Dames et Jeunes-Filles, et la Congrégation de la Mission (1625), société de prêtre chargée de la prédication aux humbles, en particulier dans les campagnes, puis d’évangélisation, avec des expériences du vivant du fondateur au Canada et à Madagascar. Cette Congrégation de la Mission étant logée dans le clos Saint-Lazare, alors un faubourg extérieur de Paris, ses prêtres sont couramment qualifiés de Lazaristes. A ces fondations s’ajoutent de quasi-fondations ou refondation pour le meilleur d’institutions existantes décadentes, dont la Maison de couche de Paris (1638), futur Hôpital des Enfants-Trouvés (1670).
Saint Vincent n’a pu accomplir son œuvre que grâce à l’action de nombreuses dames d’exception, dont sainte Louise de Marillac (1591-1660), ou de grandes familles comme la famille de Gondi. Il a su inventer des sociétés de dames charitables qui ne sont pas stricto sensu des ordres féminins : un ordre monastique féminin, selon les normes prudentielles de l’Eglise du temps, aurait exigé la clôture, même étendue à un hôpital, et n’aurait jamais permis les visites domiciliaires, innovation reprise des meilleures confréries romaines et médiévales. Il a su aussi se montrer prudent avec les différents ministres régulièrement rencontrés, et sans complaisance. Il a osé insister, parfois bien fort, pour la paix extérieure et intérieure, étant directement confronté aux misères causées par les guerres. Etant dans son rôle, ceci n’a pas déplu, et moins à Richelieu qu’à Mazarin.
UN LIVRE ECRIT EN UN BON ESPRIT ; QUELQUES RESERVES
De manière générale, cette nouvelle biographie de saint Vincent de Paul se caractérise par son bon esprit, alliant méthode de recherche historique sûre et sensibilité empathique face à un homme absolument exceptionnel. L’auteur fait preuve d’une connaissance de la doctrine catholique et n’oublie jamais le souci de sauver les âmes, encore plus essentiel pour le saint que le soin des corps.
C’est à ce sujet que l’on se permettra la seule réserve. Depuis Vatican II et Jean-Paul II, cités justement par l’auteur, le discours dominant dans l’Eglise tendrait à considérer aujourd’hui qu’à près tout le monde serait sauvé par Dieu, et les pauvres souffrant dans leur chair évidemment, sans plus guère d’exigence de foi catholique et de fréquentation des sacrements. On se permettra de ne pas partager cet optimisme, et de rester pleinement fidèle à l’intégralité de la pensée de saint Vincent de Paul.
Octave THIBAULT
Marie-Joëlle GUILLAUME Vincent de Paul, un saint au Grand Siècle Perrin, 2015, 490 pages, 25€