Les enfants sont malades des réseaux et des médias sociaux

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Quand les livres qui pointent les maux du siècle caracolent dans les ventes, on se dit que la situation doit être paroxystique, explosive. Et elle l’est. Les derniers chiffres de l’addiction des jeunes aux réseaux et médias sociaux sont exponentiels, et l’âge de cette addiction devient de plus en plus précoce. Le psychologue social, bien connu outre Atlantique, Jonathan Haidt, vient de publier à la fin mars : The Anxious Generation: How the Great Rewiring of Childhood Is Causing an Epidemic of Mental Illness (« La génération anxieuse : comment la grande refonte de l’enfance provoque une épidémie de maladie mentale »). Il tire la sonnette d’alarme devant ces jeunes véritablement atteints par l’usage répété de l’Internet, en particulier via les smartphones, et propose nombre de principes résolument à contre-courant de cette vague numérique virtuelle obsédante. La bataille est difficile, la consommation addictive étant bien l’objectif n°1 de ces réseaux sociaux. Mais il est vital, pour lui, de redonner aux enfants une véritable enfance, sans quoi nous ferons face, demain, à des adultes profondément immatures et incapables – des esclaves.

 

Jouer avec des coquelicots, en 2024, quand on a 12 ans

Il y a quelques jours, de retour de l’école, ma fille de 12 ans attendait à l’arrêt de bus avec une amie. Elles avaient cueilli des coquelicots sur le gazon longeant le trottoir et s’amusaient à les enfiler les uns sur les autres, créant de jolies danseuses au tutu rouge ponceau. Un homme d’une cinquantaine d’années les regardait, pensif, presque interloqué. Au bout d’un long moment, il les accoste et leur pose la question qui lui brûlait les lèvres : « Vous n’avez pas de smartphone ?! »

L’absence de smartphone ne pouvait être que la seule explication à leur capacité de regarder le réel, de jouer avec ce qui les entoure, d’y trouver un plaisir véritable et de s’en contenter simplement sans chercher de surenchère, sans frustration. Il leur confia son admiration de voir que des enfants pouvaient encore se comporter comme lui se comportait il y a 40 ans, quand ces réseaux destructeurs n’existaient pas – il avait sûrement lui-même des enfants… qui avaient sûrement eux-mêmes des smartphones.

Pour Jonathan Haidt, « l’enfance basée sur le jeu » a commencé à décliner dans les années 1980, et a été anéantie par l’arrivée de « l’enfance basée sur le téléphone » au début des années 2010. C’est la génération Z, née après 1995, qui est la plus touchée : elle a grandi dans un monde de « réseaux sociaux hyper-viralisés », où Instagram a pris ses marques, à la suite de Facebook et Twitter, où l’estime de soi des jeunes s’est mise à dépendre de leurs existence virtuelle (donc des autres), où leur santé mentale s’est mise à se détériorer.

 

L’énergie et l’attention des enfants sont passés du monde physique au monde virtuel

Le développement social et neurologique des enfants a été profondément impacté. Et le problème est que les sillons creusés à ces périodes fondamentales de l’enfance et de l’adolescence sont profonds et difficiles à modifier (c’est toute la raison de l’éducation…). Quatre préoccupations apparaissent majeures à Jonathan Haidt : la privation sociale, la privation de sommeil, la fragmentation de l’attention, la dépendance.

Cette dépendance, même les adultes qui ont grandi sans ces écrans connectés dans les mains y sont confrontés : c’est dire le niveau d’esclavage potentiel de ces petits d’homme, en l’absence de limites imposées. Et elle est voulue, donc travaillée, ajustée, amplifiée par les médias numériques : leur caractère addictif est cyniquement intentionnel, nous dit Haidt, ils en vivent ! Ils s’appuient donc sur nos pentes naturelles : nos désirs, nos besoins, nos failles, nos faiblesses.

Les garçons et les filles sont affectés de manière différente par les réseaux sociaux. Comme le note le média en ligne Mercator, les garçons sont plus attirés par les jeux en ligne et le porno, qui créent tous deux une forte dépendance. L’effet sur le psychisme masculin se manifeste par un comportement antisocial, parfois même criminel, l’énergie masculine étant privée de ses débouchés traditionnels. En conséquence, les hommes ont tendance à « externaliser » l’impact négatif de la dépendance numérique.

Les filles, elles, davantage concentrées sur les plateformes socialement interactives, sont plus susceptibles d’« intérioriser ». Elles présentent donc, plus que les garçons, des syndromes comme la dépression, l’automutilation et les troubles de l’alimentation.

Tous les chiffres sont en augmentation. Selon l’enquête Ofcom publiée en avril dernier, les enfants passent entre six et huit heures par jour sur les réseaux sociaux… A noter que les enfants âgés de 5 à 7 ans sont de plus en plus présents en ligne : un tiers utilise ces médias sociaux sans supervision et un quart d’entre eux possède un smartphone. C’est la tranche d’âge qui a connu la plus forte augmentation en un an pour sa présence sur les réseaux sociaux : environ + 8 %. Et ça ne s’arrêtera pas : les médias feront tout pour se renouveler afin de les gaver toujours plus vite.

 

Encourager l’indépendance et la responsabilisation

Pour Haidt, une caractéristique de notre époque accentue ces blessures : le culte de la sécurité (« safetyism »). C’est, écrit-il dans un autre livre publié en 2019, l’« obsession d’éliminer les menaces (à la fois réelles et imaginaires) au point que les gens ne sont plus disposés à faire des compromis raisonnables exigés par d’autres préoccupations pratiques et morales. Le “safetyisme” prive les jeunes des expériences dont leur esprit antifragile a besoin, les rendant ainsi plus fragiles, anxieux et enclins à se considérer comme des victimes ».

Cette peur du risque a conduit les parents à écarter le plus possible leur progéniture du monde réel, les conduisant in fine dans la gueule du loup : le virtuel. Comme si le risque pour le corps était en tous points préférable aux risques pour le mental, et j’ajouterais, pour l’âme.

L’idée est tout à fait juste, même si elle se heurte à certaines réalités de notre vie moderne en proie à davantage d’insécurité qu’il y a cinquante ans. Et la société elle-même, bien souvent, a tant fait du principe de sécurité une règle qu’elle s’est mise à surveiller les enfants des autres et à juger leurs parents… Mais enfin, il serait essentiel, dit Haidt, d’adopter des stratégies pour changer cet état d’esprit et pouvoir ainsi confronter les enfants à l’exploration, la prise de décision et l’acceptation des mésaventures pour saisir la vie dans sa réalité vraie.

 

Médias et réseaux sociaux : une plaie de l’époque moderne sans Dieu

Tous les maux de notre jeunesse peuvent-ils être imputables aux réseaux, aux médias sociaux ? Il est vrai qu’auparavant, la télévision jouait aussi son rôle en engendrant passivité et addiction. Mais la vraie différence réside dans la nature interactive des médias numériques, leur pouvoir de créer des profils personnels et de les détruire, le pouvoir d’y participer somme toute, d’y vivre virtuellement.

En revanche, on peut se demander pourquoi leur pouvoir a si bien fonctionné, sur quel terreau l’addiction qu’ils entraînent a t-elle pu si bien fleurir… L’auteur de l’article de Mercator le note, et c’est une évidence : au cours des dernières décennies, la vie familiale s’est effondrée en Occident et les nouvelles normes woke qui ont bouleversé l’ordre du foyer, contribuent dans une large mesure au retrait social et à l’aliénation des jeunes.

Et il y a un élément majeur que notre psychologue ne mentionne pas : Dieu, ce Dieu qui a déserté les âmes qui lui sont fermées, et la nature ayant horreur du vide, d’autres se sont chargés de l’envahir… Jonathan Haidt cherche d’ailleurs à faire revivre, et c’est louable, ce qui a déserté les esprits et les cœurs dans notre époque malade : un sens moral, une éthique, un jugement sain. Il cite d’ailleurs Epictète : « Si on confiait ton corps au premier venu, tu serais indigné ; et toi, quand tu confies ton âme au premier venu, pour qu’il la trouble et la bouleverse par ses injures, tu n’en as pas de honte ? » Mais il ne dit pas la dernière, l’ultime justification face à ces réseaux sociaux plus soucieux d’abreuver nos enfants de bassesse que de noblesse : la véritable transcendance qui donne le seul vrai sens.

 

Clémentine Jallais