Mgr Cordileone : « Sans l’Eucharistie, nous ne sommes rien ; sans le sacerdoce, nous ne sommes rien »

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Mgr Salvatore Cordileone, évêque de San Francisco aux Etats-Unis, a voulu rappeler cette année au cours de son homélie pour la messe chrismale le caractère irremplaçable du prêtre, à qui il est donné de renouveler le Sacrifice du Christ sur l’autel. Prenant l’exemple d’un prêtre américain qui s’est retrouvé au Goulag, il a souligné les raisons qui portent le monde à haïr le sacerdoce et appelé les prêtres de son diocèse à prendre conscience de la grandeur de la mission qui leur est donnée par le Christ lui-même. Alors que nous sommes plongés dans le mystère de la Rédemption en cette Semaine Sainte, cette homélie rappelle à tous la spécificité du sacerdoce – chose qui est loin d’être inutile alors que les discours sur la « synodalité » tendent à banaliser le prêtre. Elle est centrée sur le don de l’Eucharistie, et reflète bien le courage de ce Mgr « Cœur de Lion » qui autorise la célébration du rite traditionnel jusque dans sa cathédrale et qui a lancé à l’été 2021 une « litanie de réparation » pour les abus commis à l’égard du Saint Sacrement. Voici la traduction de son homélie. – J.S.

 

 

L’homélie de Mgr Salvatore Cordileone sur le sacerdoce

Comme le font de nombreux évêques, j’ai l’habitude d’offrir un livre à nos prêtres chaque année à Noël. Mon choix pour le Noël dernier a été inspiré par l’histoire du père Walter Ciszek, un missionnaire jésuite américain en Russie pendant la Seconde Guerre mondiale, arrêté à tort comme espion du Vatican et condamné à la prison, puis au travail forcé en Sibérie.

J’ai moi-même lu cette autobiographie qui relate les expériences qu’il a vécues au cours de ces décennies de sa vie alors que je poursuivais mes études de philosophie au séminaire universitaire, et elle m’a beaucoup inspiré depuis lors. (…)

En raison de son association avec le Jeudi saint, la messe chrismale est axée sur le sacerdoce ministériel. Et bien que l’épreuve du père Ciszek puisse nous sembler aujourd’hui bien éloignée dans le temps, la vigueur spirituelle et le courage avec lesquels il a persévéré dans sa vocation sacerdotale sont une source d’inspiration intemporelle. Ce qu’il a vécu l’est tout autant.

Les tourments spirituels qu’il a endurés furent encore plus grands que les tourments physiques. C’est ainsi qu’il décrit son expérience initiale lors de son arrivée dans la première prison où il a été incarcéré avec un convoi d’autres prisonniers :

« En discutant avec les autres des diverses raisons de nos arrestations, je n’ai pas caché que je pensais que certainement l’une des raisons de mon arrestation était que je sois prêtre. Si je pensais que cette révélation pourrait servir à faire ressortir mon innocence, ou susciter chez mes codétenus un plus grand sentiment de confiance à mon égard, voire me donner l’occasion de mieux les servir ou de les consoler de leurs angoisses, mon réveil a été brutal. J’ai été au contraire traité avec mépris. Apparemment, les nombreuses années de propagande soviétique avaient eu un certain effet. J’ai été choqué d’apprendre que nombre de mes codétenus considéraient les prêtres comme des parasites au sein de la société, menant une vie facile grâce aux économies des pauvres vieilles femmes, ou comme des hommes immoraux s’adonnant à la boisson, à la conquête des femmes ou à la perversion. Les prisonniers les plus instruits ou les petits fonctionnaires du parti avaient acquis une image déformée de l’Église en lisant des tracts communistes qui présentaient les aspects politiques, sociaux et humains de l’Église avec toutes leurs erreurs, leurs lacunes, leurs abus et leurs injustices. Pour eux, un prêtre signifiait, au mieux, un homme décalé et inadapté à la société socialiste. »

 

Le sacerdoce persécuté aujourd’hui comme hier

J’ai été frappé, en lisant ces mots, de voir à quel point ils correspondent à ce à quoi les prêtres de notre époque et de notre pays sont confrontés, même s’il y a une différence de degré. Les prêtres de notre époque ne sont-ils pas soumis à ce genre de calomnies sociales en raison des manquements et des abus des mauvais sujets qui semblent bénéficier de toute la notoriété ? À notre époque aussi, nous voyons de bons prêtres qui ont servi fidèlement l’Église pendant des décennies être salis par les péchés d’un petit nombre. Cette situation ne sert-elle pas certains objectifs hostiles à l’Église, qui voudraient voir l’Église rayée de la société ?

Et pourtant, la force d’attraction du prêtre ne peut être supprimée ; ce désir profond de ceux qui recherchent l’homme de Dieu donné entièrement au service de l’Église pour leur offrir le sacrement vivifiant de l’Eucharistie et le pardon de Dieu dans le sacrement de pénitence. Celui qui incarne la présence même de l’Église pour eux ne peut disparaître, qu’ils en aient conscience ou non. Les plus hostiles le savent bien, et c’est précisément pour cela qu’ils sont si hostiles. Le père Ciszek a décrit cela avec force en racontant son emprisonnement dans l’ex-Union soviétique :

« Les autorités […] savaient que les prêtres avaient de l’influence sur les autres. Du point de vue des responsables des camps, cela rendait donc les prêtres particulièrement dangereux, indépendamment de ce qu’ils pouvaient dire à leurs compagnons d’infortune. C’est pourquoi les prêtres étaient régulièrement convoqués à des entretiens par les… agents de sécurité… L’un des objectifs de ces entretiens était une sorte de guerre psychologique constante, une forme de harcèlement et d’intimidation, un rappel peu aimable que les prêtres, de si dangereux ennemis du peuple soviétique, étaient constamment sous surveillance. »

C’est précisément ainsi que le père Ciszek a découvert la valeur indéfectible de son sacerdoce. Il raconte :

« Je n’étais pas sans défense, ni sans valeur, ni inutile dans cette prison de Perm. Je ne me sentais pas terriblement humilié parce que j’étais rejeté en tant que prêtre. Les hommes qui m’entouraient souffraient ; ils avaient besoin d’aide. Ils avaient besoin de quelqu’un qui les écoute avec sympathie, qui les réconforte, qui leur donne le courage de continuer. Ils avaient besoin de quelqu’un qui ne s’apitoyait pas sur son sort, mais qui pouvait vraiment partager leur peine. Ils avaient besoin de quelqu’un qui ne cherchait pas la consolation mais qui pouvait consoler. Ils avaient besoin de quelqu’un qui ne cherchait pas le respect et l’admiration à cause de ce qu’il était, mais plutôt de quelqu’un qui pouvait leur montrer de l’amour et du respect, même s’il était lui-même repoussé et rejeté. »

Et cela aussi est étroitement lié à ce que nous vivons à notre époque et dans notre pays. En effet, il s’agit là de l’expérience du peuple de Dieu en tout temps et en tout lieu. Les huiles bénites et consacrées au cours de cette messe sont destinées à l’ensemble du peuple de Dieu. Le chrême – d’où le nom de cette messe – est en particulier utilisé pour oindre l’ensemble du peuple sacerdotal de Dieu : non seulement les mains du prêtre et la tête de l’évêque lors de leur ordination, mais aussi les têtes de l’ensemble du peuple de Dieu lors du baptême et de la confirmation.  »

 

« Peuple sacerdotal », sacerdoce des « oints de Dieu »

Cette valeur indéfectible du sacerdoce, je la vois aussi chez vous, peuple sacerdotal de Dieu. Je vous remercie de l’amour que vous portez à vos prêtres et du soutien que vous leur apportez. Vous connaissez la valeur de ce qu’eux seuls peuvent offrir, de ce qu’eux seuls peuvent être. Ils sont là, à vos côtés, apportant la grâce des sacrements, enseignant et guidant, conseillant et consolant, se réjouissant et pleurant, afin que tous, en tant que peuple sacerdotal, nous puissions poursuivre la mission de notre Seigneur Jésus-Christ.

Au début de son ministère public, celui-ci s’est assis dans la synagogue pour proclamer l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe : il est l’oint qui apporte la Bonne Nouvelle aux pauvres. Nous sommes tous oints en lui et pour lui, pour poursuivre cette proclamation de la Bonne Nouvelle.

Une fois encore, en raison de son association avec le Jeudi saint, la Messe chrismale est axée sur le sacerdoce ministériel. C’est évidemment parce que notre Seigneur nous a donné l’Eucharistie lors de la dernière Cène, et qu’il a donc institué simultanément le sacrement du sacerdoce. C’est l’Eucharistie qui nous lie dans la communion de l’amour et de la grâce de Dieu, qui nous permet de poursuivre cette mission pour laquelle Il nous a oints. Sans l’Eucharistie, nous ne sommes rien ; par conséquent, sans le sacerdoce, nous ne sommes rien.

Nous avons tous fait l’expérience de la tristesse de la privation de l’Eucharistie au moment de la pandémie. Vous, peuple de Dieu, vous l’avez ardemment désirée, et je suis reconnaissant et fier de nos prêtres qui se sont efforcés de l’offrir de la manière la plus sûre possible au cours de ces premiers mois de peur et de confusion. Ici aussi, nous voyons un parallèle, bien que sous une forme beaucoup plus douce, avec ce que le père Ciszek et ses compagnons catholiques emprisonnés par les communistes en Union soviétique ont souffert.

Il raconte que l’une de ses plus grandes joies a été d’être envoyé de la prison au camp de travail forcé en Sibérie parce que, comme il le dit, il lui était à nouveau possible de dire la messe quotidienne et même de fonctionner comme prêtre. Comme il le dit, « malgré toutes les difficultés et les souffrances endurées, les camps de prisonniers de Sibérie m’ont apporté une grande consolation [par rapport aux prisons] : j’ai pu à nouveau fonctionner en tant que prêtre. J’ai pu à nouveau dire la messe, bien qu’en secret, entendre les confessions, baptiser, réconforter les malades et assister les mourants. »

Et si nous avons trouvé difficile de célébrer la messe en toute sécurité et légalement, imaginez ce que cela a dû être pour eux, sachant qu’à l’époque, le jeûne eucharistique commençait à minuit et que les forçats recevaient à peine assez de nourriture pour survivre :

« Dans tous les camps, les prêtres et les prisonniers se donnaient beaucoup de mal, et prenaient volontairement des risques, simplement pour avoir la consolation du sacrement… Le plus souvent… nous disions notre messe quotidienne quelque part sur le chantier, pendant la pause de midi. Malgré cette difficulté supplémentaire, tout le monde observait un jeûne eucharistique strict depuis la veille, renonçant à prendre un petit déjeuner et travaillant toute la matinée avec l’estomac vide. Pourtant, personne ne se plaignait. Par petits groupes, les prisonniers se rendaient à la place qui leur était assignée, et là, le prêtre disait la messe dans ses vêtements de travail, sans s’être lavé, mal coiffé, emmitouflé contre le froid. Nous avons dit la messe dans des baraques de stockage pleines de courants d’air, ou blottis dans la boue et la gadoue dans le coin des fondations d’un chantier de souterrain. La dévotion intense des prêtres et des prisonniers suppléait à tout : il n’y avait pas d’autels, de bougies, de cloches, de fleurs, de musique, de draps blancs comme neige, de vitraux ou la chaleur que même la plus simple des églises paroissiales peut offrir. Pourtant, dans ces conditions primitives, la messe vous rapprochait de Dieu comme personne ne peut l’imaginer. La prise de conscience de ce qui se passait sur la planche, la boîte ou la pierre qui tenait lieu d’autel pénétrait profondément dans l’âme. »

 

Aimer le sacrifice du Christ que seuls les prêtres peuvent rendre présent sur l’autel par leur sacerdoce

Elle pénétrait profondément dans l’âme, même dans ces conditions désastreuses. Est-ce le cas pour nous, dans la beauté et le confort de nos églises, dans la beauté de cette exquise cathédrale ? Nous aimons l’Eucharistie et nous la désirons ardemment, mais ne la tenons-nous pas parfois pour acquise, ne la considérons-nous pas comme un dû ou sans même y penser parce que nous y avons si facilement accès ?

« Faites ceci en mémoire de moi », nous a-t-Il ordonné cette nuit-là : il ne s’agit pas seulement de répéter un rituel, mais de vivre son sacrifice dans nos vies, ce sacrifice qu’Il rend présent sur l’autel à chaque messe. Nous avons hérité de précurseurs dans la foi dont nous pouvons être fiers à juste titre, qui ont répété ce sacrifice du Christ dans leur propre vie, dans leur propre chair, afin d’avoir accès à son sacrifice qu’Il nous rend présent dans la très sainte Eucharistie, et de le rendre disponible.

Remercions Dieu pour ce don précieux, pour le don du sacerdoce, et pour nos frères qui ont répondu à cet appel et ceux qui s’y préparent. Prions pour que beaucoup d’autres entendent cet appel et y répondent, pour la gloire de Dieu et la sanctification de son Église. Renouvelons tous notre dévotion au sacrifice de notre Seigneur et incarnons-le dans notre propre vie, chacun selon sa vocation, afin d’être fidèles à la mission pour laquelle Il nous a oints, afin que tous puissent entendre et recevoir la Bonne Nouvelle du salut, et ainsi être amenés à la perfection de la communion avec lui pour toujours dans les cieux.

 

Mgr Salvatore Cordileone, traduction de Jeanne Smits