Mundial au Brésil : 180.000 hommes vont tester la « société de surveillance »

Mundial au Brésil
 
Le déploiement d’une sécurité inédite et tous azimuts est l’une des caractéristiques du Mundial au Brésil. Le pouvoir socialiste de Dilma Rousseff est aux prises avec une contestation venue de sa gauche, alimentée par la misère. Il lui faut prévenir les soulèvements populaires autant que la petite délinquance, dans un contexte mondialisé où les moyens accrus de veille et de répression sont contrebalancés par la diffusion rapide de l’information. Au-delà de ces contradictions, le Brésil va jouer un rôle de laboratoire de la société de surveillance.
 
Bruit de bottes… Plus de 180.000 « personnels de sécurité » seront mobilisés pendant un peu plus d’un mois pour assurer la tranquillité de la « Copa do Mundo ». Ils patrouilleront les stades brésiliens pendant les cérémonies et matches du Mundial au Brésil dont le coup d’envoi a été donné hier. Et chacune des douze villes accueillant les rencontres peut compter sur la présence de 3.000 militaires prêts à intervenir sur simple demande du gouverneur local depuis leurs postes à proximité des stades. Car à l’intérieur de ceux-ci, la FIFA l’exige, la sécurité sera assurée par des agents privés, les forces de l’ordre n’étant invitées à agir sur place qu’en cas d’absolue nécessité. Mais le Brésil se prépare à tout – et donc au pire – tout en s’affirmant prêt pour que tout se déroule « dans la tranquillité et dans la paix ».
Comme nous le notions ici il y a huit mois, il s’agit en effet de tenir le difficile équilibre entre la répression qui pourra s’avérer nécessaire, et l’image donnée en temps réel par les retransmissions de tous ordres. On ne peut plus compter sur la maîtrise des médias à l’heure des MMS et autres vidéos transmises par internet.
Les forces de l’ordre ont été préparées au cours de ces derniers mois à parer à toute éventualité, en tête desquelles les manifestations d’opposants et le blocage des accès. Elles seront bien visibles sur les routes sillonnant les Etats brésiliens qu’emprunteront les nouveaux « dieux du stade », présentes dans les hôtels, les aéroports, les grand lieux touristiques. Elles utiliseront, a prévenu mardi le général José Carlos De Nardi, chef d’état-major des armées du Brésil, des armes non-létales. Le seul achat de ces dernières en vue d’assurer la sécurité de la Coupe du monde représente plus de 23 millions d’euros. L’investissement ne se fait pas à fonds perdus, s’il faut en croire le gouvernement : voilà du matériel qui pourra servir à moderniser la sécurité brésilienne et à la rendre plus performante pour des années à venir…
 

« Infiltrés »

Les « forces contingentes » encadrées par l’armée brésilienne sont multiformes : aux côtés des agents de sécurité classiques engagés pour appuyer militaires et policiers, du « Robocop » à l’agent de la circulation, des agents spécialisés sont chargés de se mêler aux aficionados et autres touristes. « Infiltrés » : c’est le mot employé par le général dont la conférence de presse mardi aura sonné comme un avertissement sans frais. Les moyens les plus modernes seront mis en œuvre : drones et robots chercheurs d’explosifs, armes antiaériennes et informations croisées par informatique.
L’une des grandes préoccupations de ce « Mundial » est bien l’arrivée de supporters nationaux connus pour leurs violences passées : les Anglais – ils avaient donné le coup d’envoi au hooliganisme en 1966 –, les Allemands, les Croates, mais aussi les Argentins, les « barrasbravas ». Un premier Argentin a été refoulé à son arrivée à São Paulo mercredi matin dès la présentation de son passeport pour avoir être fiché parmi les quelque 2.000 supporters argentins déclarés indésirables par les autorités brésiliennes sur présentation d’une liste par l’Argentine. Selon une ancienne avocate des barrasbravas, le jeune homme n’est sous le coup d’aucune poursuite et n’est pas interdit de sortie de territoire. Il ne fait même pas partie, selon l’avocate, des plus de 300.000 supporters fichés et surveillés dans son pays.
Il est vrai que les Argentins, dans les réseaux sociaux, créditent les forces de l’ordre brésiliennes de plus de sévérité, voire de brutalité que leurs homologues argentines.
 

Mundial au Brésil et société de surveillance

En l’occurrence, les responsables brésiliens de la sécurité travaillent en liaison avec la police des nations représentées lors de cette Coupe du monde, chacun des pays ayant envoyé une délégation de forces de l’ordre sur place, autorisée à porter leur propre uniforme, sinon à intervenir sur le terrain. C’est dans ce genre d’événements que le fichage révèle toute son efficacité, et qu’il peut être mis en œuvre de manière transnationale. Cette collaboration préfigure une société de surveillance mondiale.
Mais les supporters fanatisés dans des pays où le football tient lieu, pour beaucoup, à la fois de religion et de patrie – le premier meurtre lié au fútbol eut lieu à Montevideo en 1924, où un Uruguayen fut tué par un Argentin – ne sont que l’un des éléments d’une situation potentiellement explosive.
Il faut protéger les équipes nationales : sept d’entre elles, dont celle des Etats-Unis, et certaines à leur propre demande, sont considérées comme étant à particulièrement haut risque. L’arrivée des footballeurs se fait sous protection militaire.
 

Richesse contre misère

Il faut protéger les visiteurs étrangers des larcins et autres délits opportunistes. Le Brésil est bien la septième économie du monde ; son taux de croissance, modéré mais assuré, ferait rêver la France. Mais la pauvreté extrême y côtoie l’opulence et les populations les plus déshéritées, s’agglutinant dans les bidonvilles aux marges des mégapoles, manquent souvent aussi bien du minimum matériel que du nécessaire intellectuel et spirituel. Est-il décent d’organiser un Mundial avec ses millions gaspillés et étalés à quelques pas de cette misère qu’on laisse pourrir ?
Il faut protéger les supporters des virus : autre menace sécuritaire. L’armée de prostituées qui entend tirer profit de l’arrivée d’étrangers dans les différentes villes accueillant la coupe du monde fait l’objet d’actions gouvernementales. Des cours d’anglais et des distributions de préservatifs à l’information sur la prophylaxie ou le paiement par cartes bancaires, tout est prévu. Y compris la fourniture de mineures dans certains hôtels, même si c’est illégal. Il n’y a pas si longtemps, c’était le site gouvernemental pour l’emploi qui donnait de l’information aux jeunes femmes choisissant le métier : comment se protéger, comment séduire… Lé sécurité, oui, mais pas la moralité publique.
 

Obsession sécuritaire

Mais qu’est-ce qui fait de la menace sur la sécurité la véritable obsession de ce Mundial, et l’un de ses éléments les plus médiatisés ? C’est la tension latente, mais croissante, dans un pays émergent où le libéralisme débridé n’a pas permis une vraie diffusion de la propriété. Le Brésil connaît la croissance, mais aussi une forte inflation qui diffuse au contraire le mécontentement et l’inquiétude. On sait que l’altermondialisme y trouve un terrain rêvé et que les manifestations s’y sont multipliées chaque fois que le Brésil a accueilli des événements internationaux. Depuis février, par exemple, l’insécurité à Rio de Janeiro est à la hausse: résurgence des homicides, des vols avec violence et de l’activité des trafiquants de drogues. Mais aussi des attaques homicides sur la police. Avec 4.761 homicides en 2013, l’Etat de Rio de Janeiro affichait pourtant déjà une violence spectaculaire. Les chiffres sont meilleurs qu’au plus fort de la criminalité des favelas, mais justifient à eux seuls la nervosité des pouvoirs publics.
Malgré toutes les avancées technologiques, les nouveaux moyens d’identification et de pistage, le crime demeure dans certaines mégapoles brésiliennes un artisanat prospère… Qui en même temps justifie lois et méthodes sécuritaires. Suivant l’exemple des Etats-Unis, le Brésil a en chantier sa loi « anti-terroriste » autorisant de plus en plus de procédés propres aux Etats policiers. La gauche radicale s’en plaint : il s’agit notamment de mettre hors-la-loi manifestations et autres occupations de bâtiments publics. Un excès se nourrit de l’autre.
 

Un investissement pour demain

C’est avec cela à l’esprit qu’on reviendra vers le compte-rendu de la conférence de presse du général José Carlos de Nardi, citée au début de cet article. Sans ambages, il a expliqué que les dépenses de sécurité consenties à l’occasion du Mundial – près de 390 millions d’euros pour la seule sécurité publique – vont profiter au pays pendant des années, en même temps que l’expertise acquise, notamment dans la communication de données et la synergie entre la police, la justice et l’armée vont améliorer les capacités du maintien de l’ordre.
Les efforts déployés pour assurer la sécurité de la Coupe du monde de football comprennent même une défense aérospatiale et aérienne pour assurer les alentours des stades, d’une défense maritime et fluviale… Huit axes de défense complètent le dispositif : sécurité et défense cybernétique, contrôle de la fabrication et de la vente d’explosifs (une vaste opération a eu lieu fin avril), coopération pour les opérations aux frontières, défense chimique, biologique, radiologique et nucléaire, prévention et lutte contre le terrorisme, emploi d’hélicoptères, défense des structures stratégiques, forces de contingence. Le Brésil serait-il en guerre ?
En guerre, non. Mais dans un état dangereusement effervescent, oui. Le métro de São Paulo était en grève de jeudi à lundi pour réclamer une augmentation de 35 % : une horreur pour les 4,5 millions qui l’empruntent chaque jour, un cauchemar et une calamité si la grève devait reprendre pendant le Mundial. Mercredi soir, après une courte suspension, le syndicat des « Metroviarios » devait se décider : ne pas gâcher la fête en cessant de réclamer la réintégration des 45 « collègues » à l’origine de la première paralysie des transports, et une revendication salariale revue à la baisse, ou reprendre la grève dans un contexte décidément favorable ? A la dernière minute, il a opté pour le maintien des revendications mais aussi de la suspension de la grève, annonçant toutefois de nouvelles assemblées et une éventuelle reprise dans les semaines à venir.
Un syndicat policier appelait à une grève de 24 heures fin mai ; une semaine plus tôt, c’est la police militaire elle-même qui se mettait en grève partielle dans l’Etat de Pernambuco. Pendant ce temps, des pillages avaient lieu dans les bâtiments publics.
Ces grèves des forces de l’ordre sont « illégales » et « inconstitutionnelles », a fait savoir le ministre brésilien de la Justice. Cela ne suffira pas forcément à calmer les esprits.