Le Pen et Wauquiez sont contre l’indépendance de la Nouvelle Calédonie au nom de la démocratie, Mélenchon et Bové pour au nom de l’identité. La droite, identitaire en métropole, tient en Nouvelle Calédonie un discours impérial. A l’inverse la gauche penche pour la préférence nationale en faveur des Canaques.
Ce doit être à cause des antipodes, tout s’inverse en Nouvelle Calédonie. Notre confrère le Monde, devant le résultat, non 56 %, oui 44 avec une participation de plus de 80 %, parle de « victoire en demie teinte ». Je t’en ficherai des demi-teintes. Hollande aurait bien aimé être élu comme ça ! Et la France n’a dit oui au referendum sur Maastricht, en 1992, qu’avec 51,04 % des suffrages exprimés, l’abstention dépassant 30 %. Personne, alors, n’a discuté la valeur de ce résultat ni n’a pensé refaire un referendum dans les deux ans. La démocratie, c’est la démocratie.
En démocratie, on revote jusqu’à ce que les démocrates soient contents
Mais en démocratie, il y a des démocrates qui sont plus démocrates que les autres. Avec Edgar Pisani et Michel Rocard, la gauche a lancé par les accords de Nouméa en 1998 ce qu’une élue de Nouvelle Calédonie a nommé un processus d’indépendance à « marche forcée ». En cas de non au referendum, ce qui vient d’arriver, un autre est prévu, dans les deux ans, si un tiers des élus du parlement local le demande (ce qui est automatique, puisqu’il y a plus d’un tiers d’élus indépendantistes), puis, en cas de réponse négative, il est prévu qu’un troisième referendum tranchera – ou pas. On voit que tout est fait pour aboutir à l’indépendance, la gauche ne s’en est jamais cachée, et les indépendantistes, loin de considérer le résultat de dimanche comme un jugement, tiennent au contraire leurs 44 % comme un « acquis » sur lequel doit s’appuyer la future majorité pour l’indépendance. Ce que l’Union européenne a pratiqué sans le dire pour le Danemark ou l’Irlande (vous votez mal, on revote jusqu’à ce que vous votiez bien), Michel Rocard l’avait officialisé sans complexes dans les accords de Nouméa.
La Nouvelle Calédonie sous la loi du « premier occupant »
Comme si cette première règle faussée ne suffisait pas, la gauche en a prévu une deuxième : les conditions pour pouvoir prendre part au vote. Elles sont si restrictives qu’elles excluent du scrutin plus de quarante mille personnes en droit et en âge de voter, soit le quart du corps électoral de Nouvelle-Calédonie. Cela, au mépris des règles ordinaires, de la Constitution et du code électoral, dans le seul dessein, avoué, explicite, de favoriser l’expression de la volonté canaque. Un peu comme si nous interdisions aux immigrés de nationalité française de voter aux élections nationales. Ou si on avait exclu une communauté du referendum sur l’indépendance de l’Algérie. Il s’agit d’une préférence citoyenne affichée en faveur des Canaques. Elle se fonde sur le « droit du premier occupant ».
Gauche et droite d’argent d’accord pour larguer la Nouvelle Calédonie
La Nouvelle Calédonie, territoire naguère dynamique et sans histoire, a été travaillée après 1968 par des agitateurs gauchistes venus de Paris dont l’enseignement a porté ses fruits après l’avènement de François Mitterrand en 1981. Alors ont commencé les revendications et les troubles, qui crûrent jusqu’à la fin de la décennie. À l’été 1983, le secrétaire d’État au Dom-Tom Georges Lemoine réunissait dans l’Essonne les chefs indépendantistes Eloi Machoro et Jean-Marie Tjibaou, et les représentants du nickel, Jacques Lafleur et Dick Ukeiwé. Dans leur communiqué final, tous reconnurent » la légitimité du peuple kanak, premier occupant du territoire, se voyant reconnaître, en tant que tel, un droit inné et actif à l’indépendance ». C’était résoudre la question avant de la poser. Pour Lafleur et ses semblables, une fois préservés les intérêts miniers, on pouvait donner les clefs de la Nouvelle Calédonie à la minorité canaque et aux multinationales qui la mettraient en tutelle, sans égard pour l’opinion de la majorité caldoche, asiatique, wallisienne, métis et polynésienne.
Discours sur l’identité canaque, plus sacrée que la démocratie
En attendant fut lancé le processus interminable de négociations et referendums en cascade dont on voit le début de la fin. Un statut civil coutumier de la Nouvelle Calédonie a été défini en dérogation des dispositions appliquées sur le reste du territoire de la République française : il repose sans ambiguïté sur la préférence donné au premier occupant.
Cette préférence, si l’on écarte les faux semblants genre Mélenchon (« Si je faisais parler mon cœur, je dirais restons ensemble, mais… »), fonde le choix de l’indépendance de la Nouvelle Calédonie par la gauche. Témoin ces déclarations de José Bové (fils d’expatriés luxembourgeois à Berkeley qui vit de l’argent de Bruxelles en se faisant passer pour un paysan du Larzac) au Midi libre : » Dans ce référendum annoncé comme d’autodétermination, les Kanak sont minoritaires, ce qui pose un vrai problème sur le fond. Demander à un peuple colonisé s’il veut être indépendant ou pas, avec un corps électoral où il est minoritaire est complètement contraire à l’esprit de l’autodétermination tel qu’il est mis en œuvre par les Nations unies ».
La gauche des ethnies pour l’identité et la préférence canaques
Cette opinion a deux mérites, celui de la clarté et celui de la cohérence. Avec José Bové, la gauche française revendique sa nature internationale, ou, mieux, supranationale : la souveraineté de la France est ici subordonnée à la tutelle de l’ONU. Bové renoue aussi avec la gauche anti-colonisatrice et tiers mondiste que l’on a connue de 1945 aux années quatre-vingt et qui avait disparu sous Mitterrand devant le discours de celui-ci en faveur de l’assimilation ou l’intégration des immigrés en France. En Nouvelle Calédonie la nécessité du vivre ensemble et du métissage s’efface devant l’ethno-différencialisme et la préservation de l’identité que la droite extrême a récupérés voilà quarante ans. Pour ceux qui ne le comprendraient pas, Bové précise : « Dire que la Nouvelle Calédonie, c’est la France, n’a évidemment aucun sens. C’est clairement un peuple qui s’inscrit dans l’arc du Pacifique Sud ». Les Canaques ne sont pas des oies. Ils sont arrivés sur le Caillou en 1100 avant JC, à peu près en même temps que les Gaulois chez nous. A Paris, nation ethnique caca, en Nouvelle Calédonie, y a bon nation ethnique.
La droite impériale pour la Nouvelle Calédonie multiculturelle
En face, Wauquiez et Le Pen fille refusent l’indépendance de la Nouvelle Calédonie en reprenant la rhétorique impériale de Le Pen père. Joyau de la France à l’autre bout du monde. Domaine maritime nécessaire à sa puissance dans tous les continents. Richesses minières sur lesquelles sans nous la fortune anonyme et vagabonde mettrait la main. Pourquoi pas ? Mais ce faisant, ils trahissent des électeurs qui les ont choisis surtout pour virer les immigrés au nom du droit du peuple français à disposer de soi-même et avoir la paix chez soi. Ce peuple français est encore majoritaire en métropole mais ne le sera plus vraisemblablement dans vingt ans, selon un mouvement de population inverse à celui qui caractérise la Nouvelle Calédonie. En somme, la droite favorise en Nouvelle Calédonie l’immigration et la société multiculturelle qu’elle condamne des lèvres en métropole sous la pression de son électorat. La gauche, on l’a vu, fait le contraire : elle défend l’identité canaque, quand elle tient pour un crime nauséabond de défendre l’identité française. C’est un débat d’hypocrites à fronts inversés.
La Corrèze décide du destin français : Macron s’en fiche
Si elle va au bout de son raisonnement, en disant que l’identité française n’existe pas (et elle l’ose : pour beaucoup de ses penseurs, seule existe la république), et que l’identité canaque existe, la gauche se trouvera prise en flagrant délit de racisme.
Ce n’est pas le seul détail piquant de la comédie de Nouvelle Calédonie. On laisse en effet moins de 150.000 votants décider d’une question qui décide de la puissance et l’avenir de la France entière. C’est grotesque : imaginez que la Corrèze décide de votre destin !
En plus, l’Etat affecte de rester neutre en la personne de Macron et Philippe. Wauquiez a eu raison de les épingler : « S’il y avait un référendum sur l’appartenance de la Corse, de la Bretagne, du pays Basque ou de n’importe quelle région française, est-ce qu’on pense qu’un président de la République ne se prononcerait pas » ?
Discours sur l’UE inverse du discours sur la Nouvelle Calédonie
La réponse est simple : c’est que Macron, comme Bové, pense que la Nouvelle Calédonie ne fait pas partie de la France. Si la république est neutre, c’est qu’elle a déjà acte la sécession à venir. On comparera cette équanimité jupitérienne aux diatribes furibardes du même Macron contre la « lèpre » populiste qui prétend quitter l’Euro ou l’Union européenne organisée par Bruxelles.
Cette différence de traitement, cette différence de cœur, nous renseigne. Le destin qui touche Macron et les siens, n’est pas celui de la nation. L’Etat qu’il défend, ce n’est pas la république française dont il devrait pourtant être le garant, c’est l’Union européenne. Il n’a pas d’opinion sur l’indépendance de la Nouvelle Calédonie qui lèserait pourtant, en son jargon, la république une et indivisible, mais celui qui prétend faire sécession de Bruxelles encourt sa haine et sa fureur.