Le vocabulaire administratif repousse toujours plus loin les limites élastiques de la périphrase : cette expression qui vise à peindre en rose pour la rendre acceptable la réalité est une invention de la Cour des comptes, dans son rapport publié le 13 février sur l’état de nos finances et de notre déficit. Elle signifie qu’aujourd’hui les prévisions du ministère des Finances se révèlent fausses à peine émises. Il y a quelques décennies, il arrivait bien sûr que ces prévisions soient trop optimistes et qu’on doive rectifier un budget en cours d’année, soit que la croissance ait été insuffisante ou l’impôt décevant, soit que certaines dépenses aient dérapé. Mais maintenant, la différence entre la prévision et la réalité est très forte et s’observe quasi tout de suite : « Depuis l’automne 2022, toutes les projections pluriannuelles visant à ramener le déficit sous les 3 % de PIB se sont révélées caduques au bout de quelques mois. » De sorte qu’on est en droit de se demander si les budgets sont insincères, ou alors si les experts de Bercy sont incompétents. Quoi qu’il en soit le déficit pour 2024 atteint presque 175 milliards d’euros, soit 6 % du PIB, après 5,5 % en 2023 et 4,7 % en 2022. La dette publique s’élève désormais à près de 3.300 milliards d’euros. La France est le seul pays en Europe connaissant une telle dégradation récente. La cause en est une dérive de la dépense publique, plus rapide que la croissance. La cour évalue à 110 milliards d’euros d’ici à 2029 l’ajustement nécessaire, faute de quoi la dette pourrait dépasser 125 % du PIB d’ici-là, et la charge de cette dette deviendrait « le premier budget de l’Etat loin devant l’Education nationale ». Pour la Cour des comptes, cette dégradation « inédite » des finances publiques inquiète d’autant plus qu’elle n’a été causée par aucune récession ni accident économique imprévisible : les autres pays européens ont d’ailleurs réussi à améliorer leur situation gâtée par le covid, pas la France. Notre « obsolescence accélérée des trajectoires de finances publiques » est entièrement due à « une dépense publique en roue libre » : si elle n’était pas corrigée, elle affecterait la confiance de nos partenaires européens et celle des marchés financiers.