S’il fallait une clef de lecture au premier synode sur la synodalité qui s’achèvera cette semaine à Rome – en attendant la deuxième étape en octobre 2024 – elle est sans doute donnée par la mise à l’honneur explicite du Pacte des catacombes lors d’un petit pèlerinage qui a mené tous les participants aux catacombes de Saint-Sébastien, Saint-Calixte et Sainte-Domitille, le 12 octobre. Le livret de prières composé pour l’occasion et distribué à tous comportait le texte complet de ce « Pacte » qui avait marqué, de manière beaucoup plus discrète, la fin du concile Vatican II en vue d’une Eglise « pauvre ».
La discrétion est restée de mise puisque la version du livret distribuée par courriel aux journalistes accrédités auprès de la Salle de presse du Vatican ne comportait pas la reproduction du fameux Pacte.
Pour comprendre la portée de cette inscription du Pacte au cœur du synode, il faut revenir à sa lettre et à son histoire. Il s’agit d’un engagement signé le 16 novembre 1965, à quelques jours de la clôture de Vatican II, par quarante Pères conciliaires réunis autour de l’évêque de Recife au Brésil, Dom Hélder Câmara qui avec d’autres proches de la théologie de la libération s’est donné la mission de changer l’Eglise instituée, « pleine de morgue et de richesses ». Ce prélat poussait dans le sens d’une transformation que nous retrouvons peu ou prou aujourd’hui : après le Concile, il devait s’opposer violemment au pape Paul VI au sujet d’Humanae vitae, et il se disait favorable – à la manière des orthodoxes – à un second mariage religieux à la suite d’un divorce.
Dans la sphère de la théologie de la libération, le Pacte des catacombes
Proche de libérationnistes comme Ivan Illich et François Houtart qui ont donné une forte impulsion au mouvement avec leur œuvre gigantesque sur l’histoire et la sociologie du catholicisme en Amérique latine, c’est Mgr Hélder Câmara qui en fit faire un résumé sous forme de plaquette qu’il distribua à l’ensemble des Pères conciliaires en 1962. C’est lui qui, au sein de la Conférence des évêques d’Amérique latine (CELAM), dont il fut pendant 12 ans le premier président, théorisa et imposa l’expression « option préférentielle pour les pauvres ».
Le Pacte, discrètement prononcé dans les catacombes de Domitille à son initiative, était une « véritable déclaration des devoirs de la hiérarchie de l’Eglise envers les pauvres », écrit Jean-Pierre Moreau dans La Conquête du pouvoir, qui met à nu la « théologie du peuple » du pape François et ses liens profonds avec la théologie de la libération, aux racines marxistes. Le Pacte « ne visait pas seulement un nouveau mode de vie de la hiérarchie, mais surtout un nouveau mode de gouvernement de l’Eglise », explique-t-il. A partir de là s’installe l’Eglise révolutionnaire d’Amérique latine qui dit œuvrer au service des pauvres pour la « libération de l’oppression » et des « péchés structurels » de la société, en vue d’un « Royaume » tout horizontal et non pour le salut des âmes des pauvres comme des riches.
Aux 40 signataires originaux se seraient ajoutés quelque 450 évêques supplémentaires prenant des engagements de pauvreté, de service, de renonciation aux titres et aux honneurs, au faste de la liturgie et de ses ornements… Le cardinal Bergoglio l’aurait-il signé ? Ce qui est sûr, c’est que le style qu’il affiche correspond visiblement aux principes de ce Pacte qui a eu une descendance de poids. Et que sous son pontificat, on a fêté au Vatican les cinquante ans du texte.
Le Pacte des catacombes : de la pauvreté évangélique à l’idéologie politique
Ainsi le Pacte engage-t-il ses signataires à « vivre selon le mode ordinaire » de la population « en ce qui concerne l’habitation, la nourriture, les moyens de locomotion et tout ce qui s’ensuit » ; « Nous renonçons pour toujours à l’apparence et à la réalité de richesse spécialement dans les habits (étoffes riches et couleurs voyantes), les insignes en matière précieuse : ces insignes doivent être, en effet, évangéliques », poursuit-il.
Le Père Scalese, prêtre barnabite et dernier prêtre catholique en Afghanistan, avait découvert le Pacte au hasard d’un article de presse en 2016 ; il y découvre la « semence de l’Eglise de François » et s’en alarme. Certes, le Pacte comporte des éléments d’allure généreuse, voire évangélique, de choix de pauvreté personnelle, encore que celle-ci est supposée se manifester aussi dans la liturgie, qui est pour la gloire de Dieu. Mais, lucide, le P. Scalese note la dimension politique du Pacte :
« L’influence du marxisme, tellement à la mode dans ces années, est très évidente : “Nous soutiendrons les laïcs, les religieux, les diacres et les prêtres que le Seigneur appelle à évangéliser les pauvres et les ouvriers partageant la vie ouvrière et le travail” (§ 8) ; “la mise en place de structures économiques et culturelles qui ne fabriquent plus de nations prolétaires dans un monde de plus en plus riche, mais qui permettent aux masses pauvres de sortir de leur misère”. »
Et il y note « une mentalité soumise aux institutions publiques » puisque le Pacte affirme : « Nous essayerons de transformer les œuvres de “bienfaisance” en œuvres sociales basées sur la charité et la justice qui tiennent compte de tous et de toutes les exigences, comme un humble service des organismes publics compétents. » Exit la charité, voici la redistribution des richesses…
Le Pacte fait dire à ses signataires : « Nous mettrons tout en œuvre pour que les responsables de notre gouvernement et de nos services publics décident et mettent en application les lois, les structures et les institutions sociales nécessaires à la justice, à l’égalité et au développement harmonisé et total de tout l’homme chez tous les hommes et par là l’avènement d’un autre ordre social, nouveau, digne des fils de l’homme et des fils de Dieu. » Un ordre social nouveau ? La révolution de l’égalité, on a essayé… Et tous ont payé (sauf les diverses Nomenklaturas), y compris les plus pauvres.
Sans surprise, les signataires terminent en affirmant : « Nous nous montrerons ouverts à tous, quelle que soit leur religion. »
Pour le P. Scalese, le Pacte, fait d’une toute petite minorité, « a constitué la source d’inspiration de ceux qui au cours des cinquante dernières années ne se sont pas reconnus dans l’Eglise institutionnelle ».
Au Synode sur la synodalité, le Pacte a été remis à tous
Le Pacte est-il aujourd’hui partagé par une majorité… synodale ? Rien ne le démontre, mais le fait d’en avoir fait un texte officiel du synode par son inclusion dans un moment très fort, ce pèlerinage aux sources de l’Eglise des premiers martyrs, et sous le signe du pape François qui n’a pas protesté, montre qu’une opération politique est en cours.
Il faut d’ailleurs mettre en évidence le fait que le Pacte des Catacombes a fait des petits qui permettent de le relier au pape François.
On peut citer parmi ses rejetons le Manifeste des évêques du Tiers-Monde lancé en 1967, toujours par Hélder Câmara, qui aboutit à la création du Mouvement des prêtres pour le Tiers-Monde auquel adhérait le professeur de théologie du jeune Jorge Mario Bergoglio, le progressiste tenant de la théologie du peuple Lucio Gera – qu’une fois évêque de Buenos Aires, le futur pape ferait enterrer dans sa cathédrale. Le Manifeste glorifie notamment la Révolution de 1789, prêche la libération du peuple et des « races pauvres » de l’exploitation et la « justice sociale », mots pipés qui servent des processus politiques et révolutionnaires.
Mais il faut noter aussi la Déclaration de Boston (longuement analysée par Jean-Pierre Moreau), document final d’une réunion de théologiens d’Amérique latine – clercs et laïcs – proches de la théologie du peuple du pape François qui se sont réunis en 2017 dans un « esprit d’interculturalité, d’œcuménisme et de solidarité ».
De cette Déclaration marquée par la Novlangue actuelle, on lit par exemple :
« C’est pourquoi nous soulignons l’importance de considérer, depuis la perspective de la Parole de Dieu proclamée au sein de l’Eglise, la situation socio-politique et économique de nos nations, en la considérant comme un lieu théologique essentiel pour l’Eglise. C’est dans cette situation, dans ce lieu, que l’Eglise est appelée à s’incarner pour accompagner, en tant que peuple de Dieu, les peuples de ce monde.
« Nous voulons discerner notre expérience de croyants depuis la perspective des questions sociales clefs de ce temps. Sur le plan socio-économique, cette expérience se caractérise par la présence de systèmes sociaux et de relations d’exclusion et d’inégalité. Le domaine socioculturel met en évidence la nécessité de passer du pluriculturel à l’interculturel. Le domaine socio-politique indique l’urgence de consolider les systèmes démocratiques représentatifs et de favoriser les expressions de la société civile qui proposent un regard plus humain sur le monde. Dans ce cadre, nous confirmons notre option préférentielle pour les pauvres et les exclus. »
Et plus loin :
« Les réalités de la migration nous invitent à construire des processus d’interculturalité comme élément-clef de notre réflexion théologique. »
« Nos pratiques ne peuvent continuer à reproduire les formes de domination comme celles marquées par le cléricalisme qui ne respecte pas les laïcs, hommes et femmes. »
Parmi les signataires de ce curieux document, Rafael Luciani, théologien et universitaires laïc au Venezuela et aux Etats-Unis, que le pape François a nommé comme expert au Synode sur la synodalité…
Dernier rejeton majeur du Pacte des catacombes : le Nouveau Pacte des Catacombes signé le 20 octobre 2019 à l’occasion du Synode sur l’Amazonie aux Catacombes de Domitille en présences des cardinaux Hummes et Barreto et de nombreux évêques et autres participants au Synode pour affirmer non seulement « l’attention préférentielle » aux pauvres mais aussi les droits de la spiritualité traditionnelle des peuples autochtones, sans compter une dimension panthéiste puisque ce nouveau texte affirme une « écologie intégrale, dans laquelle tout est interconnecté, la race humaine et toute la création, car tous les êtres sont filles et fils de la terre ».
Voilà qui rejoint l’engagement du pape François au service de l’« écologie ».
Synode sur la synodalité : l’aboutissement d’un processus
Pour Roberto de Mattei, spécialiste de l’histoire de l’Eglise, la mise à l’honneur du Pacte des catacombes originel au synode sur la synodalité apparaît comme « le dernier acte d’un processus » initié au concile Vatican II et qui arrive à son aboutissement au Synode sur la synodalité.
Commentant l’affaire pour LifeSiteNews, le Pr de Mattei a ainsi déclaré : « Le Pacte des Catacombes distribué aux Pères synodaux la semaine dernière n’est pas un événement purement commémoratif, mais le dernier acte d’un processus qui a commencé avec le concile Vatican II et qui a son expression ultime dans le projet synodal encouragé par le pape François pour changer l’identité de l’Eglise catholique, en éliminant tout élément “constantinien” et en la transformant en un organisme social égalitaire et paupériste. »
Parmi les signataires du Pacte d’origine ou leurs proches, rappelle Roberto de Mattei dans son livre sur le Concile, figuraient les principaux représentants du progressisme, depuis le cardinal Suenens en qui Hélder Câmara saluait son maître, en passant par Mgr Luigi Bettazzi qui était signataire au nom du cardinal Lercaro, archevêque de Bologne et l’un des artisans, aux côtés de Mgr Annibale Bugnini, du Novus Ordo.
Dans ses commentaires pour LifeSiteNews, le Pr de Mattei souligne que le général des jésuites aujourd’hui en voie de béatification, le P. Pedro Arrupe, raisonnait exactement à la manière du Pacte – et c’est lui qui a fait de Jorge Mario Bergoglio un tout jeune provincial pour l’Amérique latine alors qu’il n’avait que 36 ans.
Leonardo Boff, qui a quitté le sacerdoce pour se marier, et dont la théologie de la libération a été plusieurs fois condamnée par Rome, mais qui a retrouvé une certaine aura avec l’arrivée au siège de Pierre du pape François (il a été consulté en vue de la rédaction de Laudato si’), écrivait en juillet 2014 un article intitulé : « Le Pacte de catacombes vécu par le pape François » à travers l’identité des « idéaux » qui les animent. Le cardinal progressiste Walter Kasper est du même avis : dans une interview accordée au Washington Post en 2015, il assurait que le programme du pape François correspondait « dans une large mesure à ce qu’était le Pacte des catacombes ».
Les « pères et mères synodaux » – comme on va jusqu’à le dire aujourd’hui à Rome – ne partagent pas forcément ce programme. Mais au fond, cela n’est pas si important puisque, avec ou sans leur avis, le Synode sur la synodalité s’engage dans cette direction.