Discours à la Rote romaine : le pape François porte la conscience au pinacle (et dénonce ceux qui s’accrochent à la tradition…)

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Dans son traditionnel discours à l’occasion de l’inauguration de l’année judiciaire, le pape François s’est exprimé devant les juges, avocats et collaborateurs du tribunal de la Rote romaine en attirant l’attention sur la « centralité de la conscience », point essentiel selon lui de l’évaluation des mariages à la suite d’Amoris laetitia et de ses deux Motu proprio simplifiant et accélérant les déclarations de nullité. Citant Paul VI, François a déclaré qu’« il est nécessaire d’éviter d’opposer les extrémismes, à la fois de ceux qui en appellent à la tradition pour justifier leur désobéissance au magistère suprême et au Concile œcuménique, et à ceux qui se déracinent de l’humus ecclésial en corrompant la doctrine authentique de l’Eglise ; ces deux attitudes sont le signe d’un subjectivisme indu, et peut-être subconscient, lorsqu’il il ne s’agit pas malheureusement de l’obstination, de l’entêtement ou du déséquilibre ».
 
Le choix de cette citation est très révélateur. Il installe ou reconnaît un parallélisme entre la résistance de certains à Vatican II et des abus liturgiques qui l’ont suivi et la résistance aux nouveautés introduites à la faveur d’Amoris laetitia. D’où souvent aujourd’hui, cet air de déjà vu, cette impression de revivre une période très douloureuse dont Paul VI fut une incarnation tragique à laquelle l’actuel pape se compare et se réfère.
 

Discours à la Rote romaine : la conscience plus « centrale » que la vérité ?

 
Dans son discours, le pape François a donc expliqué aux responsables de la Rote que leur activité « est un ministère de la paix des consciences qui doit être exercé en pleine conscience », si bien que leur sentences s’accompagnent des mots « ad consulendum conscientiae ou ut consulatur conscientiae » (pour interroger les consciences).
 
Le pape a affirmé « qu’en ce qui concerne la déclaration de nullité ou de validité du lien matrimonial », les juges, avocats et collaborateurs de la Rote « se posent dans un certain sens en tant qu’experts de la conscience des fidèles chrétiens ». Il s’agit de trouver une « certitude morale » à travers les faits mais aussi la conscience « connue seulement du Saint Esprit et assistée par Lui » : « De fait, grâce à la lumière de l’Esprit, il nous est donné d’entrer dans l’enclos sacré de la conscience des fidèles ».
 
Sans être aucunement spécialiste de droit canonique, je me pose ici une question : juge-t-on de la validité ou de la nullité d’un mariage uniquement ou principalement d’après la conscience qu’en ont les intéressés ? Ou d’après des critères objectifs, qui concernent la volonté et la liberté du consentement, la capacité de contracter de lien matrimonial, les éventuels dols ou erreurs ? Une partie, (voire les deux, encore qu’il y ait moins de chances en ce cas qu’une procédure canonique ait lieu !) peut en conscience estimer qu’elle est légitimement mariée, ou qu’elle ne l’est pas, sans que cela ne change rien à l’existence ou non du mariage.
 

Le pape François s’inscrit dans la ligne de Paul VI à propos de l’« extrémisme » de la tradition

 
On pense à Henri VIII, qui répétait à qui voulait l’entendre qu’il estimait en conscience ne pas être l’époux légitime de Catherine d’Aragon et qu’en restant au sein de cette union, il compromettait son salut. Saint Thomas More a préféré perdre la tête plutôt que de considérer que cette certitude subjective de la conscience alléguée par son souverain pouvait suffire au constat de nullité de son mariage – et plutôt que de priver la reine Catherine du droit d’obtenir un jugement ecclésiastique à cet égard.
 
Le pape François estime pour sa part que la conscience est « centrale », idée que l’on retrouve dans Amoris laetitia où il est question d’époux qui « en conscience » pensent que leur mariage est nul, avec ou sans jugement canonique. Il l’a exprimé ainsi devant la Rote, lundi : « La sphère de la conscience a été très chère aux pères des deux derniers synodes des évêques, et à résonné de façon significative dans l’Exhortation apostolique post-synodale Amoris laetitia. Cela découle de la prise de conscience développée par le successeur de Pierre et les pères synodaux du besoin urgent d’écouter, du côté des pasteurs de l’Eglise, les demandes et les attentes de ces fidèles qui ont maintenu leur conscience en silence et dans l’absence pendant de longues années et qui ont par la suite été aidés par Dieu et par la vie à retrouver quelque lumières, se tournant vers l’Eglise afin d’avoir la conscience en paix. »
 
Est-ce alors pour changer de vie ou pour se voir « justifiés » ?
 
Un peu plus loin, ayant insisté sur l’importance de la formation des consciences des jeunes qui s’engagent dans le mariage, le pape a rappelé ses deux Motu proprio sur la procédure de nullité : « J’ai insisté sur la mise en place d’une enquête pastorale diocésaine non seulement pour accélérer la procédure mais pour la rendre plus juste, dans une juste connaissance des causes et des raisons qui sont la cause de l’échec du mariage. »
 

La Rote romaine invitée à se pencher sur la conscience des parties dans le cadre des procédures de nullité des mariages

 
Mais la nullité n’est pas constituée par échec ni par le constat d’échec. Certes sans échec d’un certain ordre il n’y a pas d’interrogation sur la validité ou la nullité, mais la procédure canonique ne s’intéresse pas à ce que le mariage est devenu. Elle porte sur le fait de savoir s’il a réellement existé au moment de l’échange des consentements.
 
On ne saurait qu’applaudir devant l’insistance du pape François de voir les chrétiens « recouvrer, sauvegarder, protéger » leur conscience chrétienne éclairée par les valeurs de l’Evangile grâce à « l’action pastorale urgente de toute l’Eglise », et sa recommandation de voir mettre en place une sorte de « catéchuménat du mariage » qui puisse préparer les couples au sacrement et aider ceux qui y sont engagés à « raviver leur conscience chrétienne ». (Mais alors pourquoi ce mariage éclair de deux personnes vivant en concubinage depuis huit ans dans un avion au-dessus du Chili ?)
 
« En ce sens », dit-il plus loin, « l’union sponsale peut seulement être dite vraie si l’intention humaine des époux est orientée vers ce que veulent le Christ et l’Eglise. Pour en rendre davantage conscients les futurs époux, nous avons besoin de la contribution non seulement les évêques et des prêtres, mais aussi des autres personnes engagées dans le soin pastoral, les religieux et les laïcs qui sont conjointement responsables de la mission de l’Eglise. »
 
C’est à propos du respect de la regula fidei, la règle de la foi, que le pape a entre-temps cité Paul VI et ses propos sur les extrémistes de la « tradition ».
 
Difficile de ne pas y voir une relativisation de la règle au profit du subjectivisme de la conscience.
 
Certes le pape a conclu en disant que le travail de la Rote et de l’ensemble des tribunaux ecclésiastiques « doit se dérouler dans la sagesse et dans la recherche de la vérité ». La recherche de la vérité est au centre de la procédure canonique… Au moins les mots furent dits. Comme un addendum ou un passage obligé…
 

Jeanne Smits