Partant pour le Mexique à l’occasion de son douzième voyage à l’étranger, le pape François a donc fait escale à Cuba, terrain neutre en la circonstance, pour y rencontrer le patriarche Kirill, chef de l’Eglise orthodoxe russe. Une première depuis bientôt mille ans, et le début du schisme d’Orient – tel qu’il est appelé chez nous – compliqué de disputes régulières au cours de ce millénaire.
« Enfin, nous nous voyons, nous sommes frères ! » Cette apostrophe du pape, affirmant ensuite : « Il est très clair que ceci est la volonté de Dieu », a eu pour pendant (moins enthousiaste dans l’expression) un « Maintenant, les choses sont plus claires » de la part du patriarche.
Le pape François et le patriarche Kirill
Les deux hommes de Dieu se sont ensuite enfermés, en compagnie d’interprètes, pour un entretien de deux heures, au terme duquel ils ont signé une déclaration commune sur les relations futures entre l’Eglise catholique et l’Eglise orthodoxe russe, préparée de longue date de part et d’autre.
Dans ce texte, très clair, très ferme, les deux hommes ont lancé un fort message d’unité. En appelant, notamment, au soutien des chrétiens persécutés dans le monde, à la défense des chrétiens d’Orient ; ou encore, au § 16, à la préservation des racines chrétiennes de l’Europe.
Mais c’est bien évidemment la question du « rétablissement » de l’unité entre chrétiens d’Orient et d’Occident qui a été le point central de cette rencontre. Un rétablissement appelés de leurs vœux, malgré « les blessures causées par des conflits d’un passé lointain ou récent » et les « nombreux obstacles [qui] restent à surmonter ».
La question de l’unité
Les § 24 et 25 traitent particulièrement de ce point en affirmant :
« 24. Orthodoxes et catholiques sont unis non seulement par la commune Tradition de l’Eglise du premier millénaire, mais aussi par la mission de prêcher l’Evangile du Christ dans le monde contemporain. Cette mission implique le respect mutuel des membres des communautés chrétiennes, exclut toute forme de prosélytisme.
« Nous ne sommes pas concurrents, mais frères : de cette conception doivent procéder toutes nos actions les uns envers les autres et envers le monde extérieur. Nous exhortons les catholiques et les orthodoxes, dans tous les pays, à apprendre à vivre ensemble dans la paix, l’amour et à avoir “les uns pour les autres la même aspiration” (Rm 15, 5). Il ne peut donc être question d’utiliser des moyens indus pour pousser des croyants à passer d’une Eglise à une autre, niant leur liberté religieuse ou leurs traditions propres. Nous sommes appelés à mettre en pratique le précepte de l’apôtre Paul : “Je me suis fait un honneur d’annoncer l’Evangile là où Christ n’avait point été nommé, afin de ne pas bâtir sur le fondement d’autrui » (Rm 15, 20).
« 25. Nous espérons que notre rencontre contribuera aussi à la réconciliation là où des tensions existent entre gréco-catholiques et orthodoxes. Il est clair aujourd’hui que la méthode de l’“uniatisme” du passé, comprise comme la réunion d’une communauté à une autre, en la détachant de son Eglise, n’est pas un moyen pour recouvrir l’unité. Cependant, les communautés ecclésiales qui sont apparues en ces circonstances historiques ont le droit d’exister et d’entreprendre tout ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins spirituels de leurs fidèles, recherchant la paix avec leurs voisins. Orthodoxes et gréco-catholiques ont besoin de se réconcilier et de trouver des formes de coexistence mutuellement acceptables. »
Quel chemin ?
Il est donc clair, tant pour le patriarche que pour le pape, que la politique romaine des siècles passés est révolue – ce qui constitue assurément une victoire pour la diplomatie orthodoxe. « L’unité est sur le bon chemin », a résumé le pape François. Mais, si le texte dit ce qu’il ne faut pas faire, il n’explique pas comment y parvenir. Et comment lire l’affirmation du Christ : « Tu es Pierre… » A moins de voir dans ces mots du patriarche : « Les deux Eglises peuvent coopérer pour protéger les chrétiens dans le monde entier » un début d’interprétation.
Ce qui est sûr, c’est que l’intention paraît réelle, et que le texte est assez précis et, une fois encore, ferme. Ce qui est sans doute plutôt le fait de l’influence orthodoxe, si l’on en juge par rapport à certains documents romains parfois flous de ces dernières années.
Que ce fait, quelles qu’en puissent être les conséquences dans l’avenir, arrive sous le patriarcat de Kirill n’est peut-être pas un hasard. Il fut longtemps dans l’intimité du métropolite Nikodim, très attaché à cette question des relations entre les deux Eglises, et qui mourut dans les bras du pape Jean-Paul Ier…