Le projet Quipu s’appuie sur la puissance de l’internet et des communications qui permettent de faire éclater au grand jour des vérités que les pouvoirs en place auraient aimé occulter : celles de la grande campagne de stérilisations – souvent forcées, en tout cas pratiquées sous la pression, ce qui revient au même – sur 300.000 indigènes péruviens au milieu des années 1990. Le Pérou d’Alberto Fujimori voulait réduire cette population pauvre des Quechuas, souvent illettrée, trop ignorante ou isolée pour savoir que la campagne des malthusiens avait pris des proportions gigantesques, bien au-delà des villages de chacun. Le documentaire communautaire « Quipu » leur permet de s’exprimer, de témoigner par téléphone du mal qui leur a été fait – et qui doit s’assimiler à une tentative de génocide.
Hommes et femmes, ils ont été traqués, recherchés, endoctrinés par les équipes de stérilisation qui leur expliquaient les inconvénients des grandes familles, les bienfaits de l’opération gratuite, en s’autorisant de la loi. Ceux qui disaient « non » étaient poursuivis, les femmes invitées à se laisser stériliser à l’insu de leurs maris. Ceux qui ont consenti ne l’ont pas fait de manière « éclairée ». 300.000 femmes, jeunes souvent, ont subi une ligature des trompes. Vingt ans plus tard, elles n’ont guère de descendance qui puisse s’occuper d’elles alors que la vieillesse approche – pour elles il n’y a pourtant que les enfants qui assurent cette « protection sociale ».
Archive audio communautaire, documentaire collectif
La création d’une archive audio, financée par le crowd-funding – une participation volontaire en ligne – doit permettre de créer un documentaire collectif accessible en ligne ou par téléphone, avec les témoignages des femmes stérilisées contre leur gré. Le projet Quipu a distribué des téléphones bon marché dans les villages isolés de l’Altiplano andin pour inciter les femmes à parler : elles découvrent, par la même occasion, qu’elles sont très, très loin d’être seules.
Sans doute est-ce un projet de gauche, avec des militants d’Amnesty International, au carrefour d’une mobilisation de sociologues et d’artistes de l’Arts and Humanities Research Council de Londres. Ils en attendent d’ailleurs des retombées politiques à l’heure où une fille d’Alberto Fujimori, aujourd’hui en prison pour corruption active et passive, brigue la présidence péruvienne. Keiko Fujimori risque son avenir politique si les 300.000 femmes stérilisées de force sous la présidence de son père se font entendre, devant les craintes de la voir obtenir la libération anticipée du grand responsable de la campagne de contrôle de la population.
Responsable mais pas coupable des stérilisations forcées
Responsable… mais pas coupable. Alberto Fujimori n’a pas été condamné pour cette opération qui en droit, relève du génocide, au motif que les médecins qui ont mis en œuvre les stérilisations forcées étaient libres de refuser d’y participer : « Nul ne peut forcer un médecin à agir contre sa volonté. »
Le projet Quipu est un projet de gauche, mais il devrait se méfier de l’effet boomerang. La campagne de stérilisation commandée par Alberto Fujimori a bénéficié du soutien énergique de l’administration Clinton et du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) ; ce sont ses services qui ont défini les quotas de stérilisation et des rapports hebdomadaires devaient être fourni par les équipes mobiles chargées de recruter les victimes.
C’est le Population Research Institute, une association pro-vie présente dans une trentaine de pays, qui avait commencé à mener l’enquête et qui a tôt constaté que les équipes de médecins et d’infirmières envoyées pour organiser des « festivals de la ligature » (sic) n’avaient aucune compétence gynécologique. Le PRI dénonçait alors les méthodes employées : harcèlement, abus verbaux, menaces. Les femmes indigènes s’entendaient dire qu’à défaut de se soumettre, leurs enfants se verraient refuser les soins médicaux et l’aide alimentaire. Nombre de ces femmes sont mortes – comme les 13 femmes indiennes tuées récemment dans l’Etat du Chhattisgarh – et leurs familles attendent toujours l’aide qui leur avait été promise après qu’elles eurent poursuivi les pouvoirs publics.
Contradictions et paradoxes autour d’un génocide au Pérou
Ce sont les alertes lancées par le PRI qui ont permis de mettre fin aux campagnes de stérilisation, alors que le monde en général et Amnesty International en particulier ignoraient encore l’ampleur du scandale. Et personne ne « paiera ».
Alberto Fujimori a été certes inculpé de génocide mais, au début de 2014, cette accusation a été retirée par le procureur public du Pérou au motif que les stérilisations forcées n’étaient ni « répandues », ni « systémiques ».
Le projet Quipu proclame l’inverse à la face du monde.
Cela n’empêche pas le Pérou d’avoir son quota de militants pour les « droits reproductifs » des femmes – éventuellement les mêmes que ceux qui dénoncent les stérilisations forcées d’hier – pour qui la santé des femmes passe par la contraception et la propagande antinataliste. Le « fujimorisme “light” », commente LifeSiteNews.