En décembre 2022, l’Occident ajoutait à son arsenal de sanctions économiques contre la Russie un plafonnement du prix du pétrole russe : les pétroliers occidentaux n’étaient autorisés à transporter le pétrole russe que si le prix du baril de brut était inférieur à 60 dollars. Cette décision, contournée de différentes manières, a désorganisé le marché du pétrole et du transport de pétrole, enrichissant au passage la Russie et les armateurs, grecs en particulier, accroissant une « flotte fantôme » de pétroliers hors d’âge sous pavillon douteux, contribuant à la hausse du pétrole et la croissance d’un commerce international du pétrole qui échappe totalement à l’Occident.
Des sanctions contournées même par des Occidentaux
La façon la plus simple de contourner les sanctions est le mensonge. Des compagnies maritimes occidentales ont transporté du brut au-dessus du prix plafonné, la douane a pu le constater dans quelques cas, mais combien sont passés par les mailles ? « Du moment qu’ils avaient une attestation », elles étaient tranquilles, selon Craig Kennedy, spécialiste de la Russie et des études sur l’Eurasie à Harvard. « Tout dépend donc de l’honnêteté des acheteurs et vendeurs de pétrole. » En Mer Noire et en Méditerranée, ces sanctions ont été une « gigantesque aubaine », selon Robin Brooks, directeur de l’Institute for International Fiance, pour les armateurs grecs : leur part du transport du brut venant de Russie est passée de 30 % au début 2022 à 53 % en mai 2023.
Le transport « opaque » du pétrole : un pactole
Ces mêmes armateurs grecs ont contribué, avec d’autres, à l’accroissement spectaculaire de la « flotte fantôme ». Pour Michelle Wiese Bockmann, analyste senior à la Lloyd’s, la flotte fantôme est constituée de pétroliers de plus de quinze ans (âge moyen : 23) armés par des propriétaires douteux et des entreprises opaques pour échapper aux sanctions. De janvier 2022 à août 2023, les armateurs grecs auraient vendu ainsi des pétroliers construits avant 2010 pour trente millions de dollars pièce et un montant total de deux milliards et demi. Avec une plus-value énorme, car en raison de la demande, selon Wiese Bockmann, les prix ont « plus que doublé ». Parmi les acheteurs connus figurent les Emirats arabes unis, dont l’intérêt pour le pétrole russe s’est accru, suivis des Indiens et des Chinois, qui sont de gros importateurs de pétrole russe.
Un marché désorganisé au profit de la Russie et de ses alliés
En dix-huit mois, la « flotte fantôme » est ainsi passée de 220 unités à 535, en majorité sous pavillons de complaisance ! Ce bond énorme est nourri par la hausse des prix du pétrole que provoque la réduction des productions de la Russie et de l’Arabie saoudite. Ce qui fait que les sanctions ont une conséquence paradoxale : « Nous commençons à noter la croissance d’une flotte qui opère complètement en dehors de la juridiction occidentale. » Le marché est désorganisé au détriment de l’Occident, comme le confirme Borys Dodonov, qui dirige un centre d’études sur le climat et l’énergie (KSE). Pour lui, la flotte fantôme rend inefficaces les sanctions. En juin, 45 % du brut russe était transporté par des bateaux assurés en Occident, en août, la proportion tombait à 33 %. Et en même temps, le prix moyen du baril de brut transitant par les ports russes de la Baltique s’élevait à 78 dollars ! En prime, les vaisseaux de la flotte fantôme sont de vieux rafiots dont l’un a frisé la marée noire au Danemark en mai.