Où Poutine assiste à la levée des couleurs de l’URSS : drapeau rouge, faucille et marteau à l’honneur

Poutine drapeau rouge URSS
 

Vladimir Poutine a assisté samedi, au large de Saint-Pétersbourg, à la levée solennelle des couleurs russes – de « toutes » les couleurs russes. Installé sur un yacht du chantier naval Okhta dans le Golfe de Finlande, avec vue imprenable sur le centre Lakhta – le plus haut gratte-ciel d’Europe qui abrite un centre d’affaires colossal – le présent russe a observé avec gravité la lente ascension des bannières, au centre desquelles le drapeau de l’URSS trône désormais dans la baie. La Fédération russe a-t-elle rompu avec l’ère soviétique ? Pas vraiment…

Comme l’annonce le site de la présidence russe : « Des mâts s’élevant à 179,5 mètres au-dessus du niveau de l’eau avaient été installés le long de la côte près du parc du 300e anniversaire de Saint-Pétersbourg. La levée des drapeaux marque les anniversaires de la création de chaque drapeau : 330 ans pour le tricolore de Pierre le Grand, 165 ans pour le drapeau de l’Empire russe et 100 ans pour le Drapeau rouge. » Soit le drapeau tricolore de Pierre le Grand, l’actuel drapeau de la Russie, celui de l’Empire, noir, jaune et blanc, et, frappée de la faucille et du marteau, la bannière rouge qui symbolise la Révolution communiste.

Et c’est à cette dernière qu’a été donnée la place centrale, la place d’honneur.

 

Gazprom organise la levée des couleurs de l’URSS

L’événement était sponsorisé (il n’y a pas d’autre mot) par le plus grand des gaziers russes, Gazprom. Il est vrai que l’Etat russe en possède un peu plus de 50 %, et que son PDG et vice-président du conseil de surveillance, Alexeï Miller, est un proche parmi les proches de Poutine. Les deux hommes sont originaires de Saint-Pétersbourg, et leurs carrières se sont croisées au retour du second de son emploi à un poste de responsabilité du KGB en ex-Allemagne de l’Est, après la chute du Mur. Poutine faisait alors entrer Miller à la mairie de la ville ; plus tard, après un temps comme ministre de l’Energie il était propulsé en 2001 à la tête de Gazprom où de nombreux « anciens » du KGB furent également installés. Miller fait partie de ces oligarques qui sont considérés comme ayant largement contribué à la richesse personnelle et au pouvoir multiforme de leur chef.

Pendant que la foule restée à terre contemplait le spectacle, Vladimir Poutine écoutait, ému, l’hymne russe dont la mélodie, à défaut des accents, n’a pas changé depuis le temps de l’Union soviétique. Flanqué de Yelena Ilyukhina, directrice générale déléguée de Gazprom Neft et directrice générale de Gazprom Lakhta, il regardait vers le grand amphithéâtre en plein air du Centre Lakhta où jouaient l’Orchestre nationale philharmonique et la non moins prestigieuse Capella de Saint-Pétersbourg.

 

Poutine émeut en demandant le silence pour l’hymne national

L’image de Poutine posant délicatement l’index sur ses lèvres pour faire comprendre à Mme Ilyukhina qu’on ne parle pas pendant l’interprétation de l’hymne national a fait le tour des réseaux sociaux. Le site francophone lemediaen442.fr raconte : « On peut clairement entendre l’hymne national résonner, tandis que Poutine – levant d’abord les yeux au ciel comme s’il implorait l’aide divine pour faire taire Elena – lui demande ensuite poliment, en mettant son doigt sur ses lèvres, de respecter le silence pendant l’hymne ». On salue au passage le « calme » et la courtoisie du Président comme son sens du respect des symboles nationaux.

Soit. Mais pas la moindre critique, pas même la moindre interrogation au sujet du drapeau soviétique, emblème d’une tyrannie qui a tué avant, pendant et après le nazisme, symbole du communisme « intrinsèquement pervers », drapeau sous les couleurs duquel des dizaines de millions de personnes ont été massacrées. Le drapeau rouge est associé à la Révolution socialiste (et ses souffrances, et sa misère) depuis la Commune de Paris ; l’Union des républiques socialistes soviétiques l’adopta en 1923. Au fond, il n’a pas vraiment été abandonné après la chute de l’URSS en 1991 : depuis 2007, il est porté par une garde d’honneur, juste après le drapeau russe actuel, lors des défilés du Jour de la Victoire.

Mais l’événement de Lakhta marque une nouvelle étape vers la glorification du passé communiste russe dans son ensemble.

 

Le drapeau rouge honoré par Poutine : une scène de propagande

Imagine-t-on la SNCF financer une cérémonie grandiose pour faire saluer le pavillon particulier de Pétain par Emmanuel Macron, pour marquer la continuité historique de la France ? Ou Mercedes Benz mettre en scène, quelque part du côté de Stuttgart, la levée des couleurs de l’Empire, de l’Allemagne contemporaine et du Reich hitlérien, avec un drapeau orné de la swastika ? Non ? Non.

Mais analogiquement, il s’est passé bien plus samedi à Saint-Pétersbourg – et il ne faut jamais sous-estimer ce type de symbole.

Vladimir Poutine venait d’assister à Saint-Pétersbourg au 26e Forum économique international (SPIEF) intitulé : « Le développement souverain est le fondement d’un monde juste. Unissons nos forces pour le bien des générations futures. » Il y avait notamment déclaré qu’un « ordre mondial multilatéral » est désormais « inévitable » : « Cela signifie que le vilain système international, de nature néocoloniale, a cessé d’exister. Pendant ce temps, l’ordre mondial multipolaire se renforce », disait-il, en lançant moult cocoricos, version russe, pour saluer la résilience de l’économie malgré les sanctions occidentales, le bas taux de chômage et une inflation estimée aujourd’hui aux alentours de 2,31 % sur un an. Le chef de la Banque centrale de Russie, Elvira Nabioullina, estime cependant que l’inflation en Russie devrait se situer « entre 5 et 7 % » à la fin de cette année.

L’« anticolonialisme » a toujours été le fonds de commerce de l’URSS et on sait le rôle joué par l’Empire soviétique en Afrique, notamment, pour installer des pouvoirs « rouges » à la place des occidentaux, pour le plus grand malheur de bien des populations locales goûtant les fruits amers du communisme. On entend aujourd’hui un langage similaire, qui s’accompagne d’une présence toujours croissante de la Russie en Afrique et ailleurs – et il ne s’agit certes pas de missionnaires venus construire des routes, des écoles et des hôpitaux ; mais d’instructeurs militaires, comme au Nicaragua, ou de mercenaires supplétifs de l’armée, comme le groupe Wagner.

 

La fin du néocolonialisme ? Poutine retrouve les accents de l’URSS

Au cours d’une séance plénière à laquelle assistait Poutine au SPIEF, le président russe a prononcé un discours fleuve avant de répondre à des questions au cours d’une grande table ronde. On peut voir à compter de la marque 1 h 39 mn dans la vidéo de l’événement comment les propos de Poutine étaient ponctués par des images sur grand écran montrant les « Ukrainiens de Bandera », les Ukrainiens nationalistes, arborant croix gammées et autres signes nazis, multipliant les lynchages, les massacres, les pendaisons, les destructions au lance-flammes, notamment en Biélorussie, au cours de la Seconde Guerre mondiale. Des photos de cadavres mutilés – hommes, femmes, enfants – succèdent aux images de destruction, puis viennent les documents d’époque montrant des défilés ukrainiens, marées de bras tendus sous drapeaux SS. Le tout sous le regard horrifié, saisi de l’assistance, avec des gros plans sur des visages tendus, regards écœurés et des yeux écarquillés.

L’opération de propagande avait l’air parfaitement calibré. La vision drapeau nazi est un appel à aller combattre l’Ukrainien de 2023 ; le drapeau communiste, lui, est un élément du glorieux passé de la Russie (mais quelqu’un a-t-il pensé à rappeler les réalités du pacte Molotov-Ribbentropp ?).

On devine que Poutine promet alors de combattre le nazisme aujourd’hui – et on l’applaudit follement. Rien n’a changé.

 

Jeanne Smits