Une enquête diligentée par le procureur général de la république d’Equateur vient de révéler que ce petit pays sud-américain de 16 millions d’habitants a perdu quelque deux milliards de dollars US dans des contrats qu’il avait passés avec la Chine sous le gouvernement du socialiste Rafael Correa, président de 2007 à 2017. Les accords commerciaux passés avec l’entreprise d’Etat chinoise PetroChina, via plusieurs milliards de dollars de lignes de crédit suspectes, auraient largement entamé les bénéfices annoncés de l’Etat équatorien. L’actuel président Lenin Moreno, qui fut vice-président de Correa jusqu’en 2009 puis est entré en violent conflit avec lui, compte bien faire rendre gorge à son prédécesseur. Mais Correa, poursuivi par ailleurs pour n’avoir pas défendu des salariés non payés face aux Chinois, s’est enfui en Belgique, pays de son épouse, et refuse de rentrer à Quito, affirmant qu’il est victime d’une persécution politique.
En février, le parquet équatorien avait demandé à Rafael Correa de venir témoigner sur l’accord passé entre son gouvernement et PetroChina. L’ancien président avait refusé. Ce lundi, un quotidien équatorien a par ailleurs révélé une autre bombe, citant des employés d’origine locale qui avaient travaillé pour un prestataire du gouvernement chinois que Correa avait fait entrer dans le pays. Ces salariés équatoriens affirment qu’ils n’ont jamais reçu le solde des salaires qui leur avaient été promis à la suite de leurs protestations pour mauvais traitements.
Rafael Correa et son frère Fabricio mouillés dans l’affaire Odebrecht et Mossack Fonseca ?
Côté corruption, l’affaire va plus loin encore. Le parquet équatorien aimerait interroger Rafael Correa sur ses relations avec la firme brésilienne Odebrecht. Des preuves apportées par les documents révélés par les fuites dites des « Panama papers » font penser aux enquêteurs que Rafael Correa et son frère Fabricio pourraient avoir utilisé les services de la firme Mossack Fonseca pour dissimuler leurs fortunes personnelles. Le dernier vice-président de Rafael Correa, Jorge Glas, purge d’ailleurs une peine de six années de prison pour ses compromissions avec Odebrecht.
On attend la publication du rapport du parquet équatorien qui, selon l’agence argentine Infobae, contient 105 pages d’analyses et 136 appendices. Il accuse, entre autres, des dizaines d’anciens conseillers de Correa d’avoir contribué à masquer les négociations financières autour de l’accord avec PetroChina et d’autres entreprises chinoises telle China International United Petroleum & Chemical Co (Unipec). La manœuvre consistait à faire passer les liquidités pour des profits reversés pour des ventes « anticipées » de pétrole, finalement adjugés moins cher. Treize contrats auraient accordé à Correa l’équivalent de 18 milliards de dollars de crédits de 2009 et 2017.
Des lignes de crédit sur des ventes anticipées de pétrole, avec un bénéfice très réduit pour l’Equateur
« Ces lignes de crédit étaient travesties en ventes anticipées de pétrole mais, en réalité, il s’agissait de crédits masqués pour ne pas violer le plafond de la dette nationale », expliquent les enquêteurs. Le pétrole vendu à ces compagnies sous forme « anticipée » aurait échu à des vendeurs tiers via les Américains, qui le vendaient avec un bénéfice bien inférieur à celui garanti par les accords passés par Correa. Résultat, selon le journaliste enquêteur Fernando Villavicencio : une perte d’environ deux milliards de dollars par rapport à ce que l’Etat équatorien aurait gagné s’il avait vendu sa production sur le marché libre. Pour Villavicencio, il s’agit « du plus gros braquage de l’histoire de l’Equateur ». L’ex-vice-président Jorge Glas fait partie des dirigeants cités dans le rapport du parquet pour avoir participé à la dissimulation des pertes gigantesques pour l’Etat causées par les accords signés par Correa. Ce dernier a-t-il par ailleurs personnellement bénéficié de ce jeu d’écritures travestissant la réalité budgétaire équatorienne ?
Xi Jinping et Rafael Correa visaient une mise véritable sous tutelle par la Chine
Le chef du parti communiste chinois Xi Jinping avait effectué la première visite d’un chef d’Etat chinois à Quito en 2016. Les médias chinois avaient alors rapporté que Xi et Correa avaient conclu des accords sur le pétrole, mais aussi l’exploitation minière, les infrastructures, l’eau, les communications, la finance, et sur des coopérations dans l’agriculture, la pétrochimie, les chantiers navals, la métallurgie et les papeteries. On s’approchait d’une véritable mise sous tutelle économique par la Chine.
Encouragée par le nouveau président, la justice équatorienne a commencé à s’intéresser au dossier PetroChina début 2018, après avoir noté une différence inexpliquée entre les bénéfices anticipés et les bénéfices réalisés. Rafael Correa a refusé de s’expliquer, tant sur les contrats avec Siopec que sur ceux avec PetroChina. L’ancien président socialiste a aussi refusé d’être auditionné par le parquet sur ses liens avec Odebrecht ou avec Mossack Fonseca. Depuis sa prison, Glas a signifié le même refus.
Maltraitance d’ouvriers par des Chinois : Rafael Correa est resté silencieux
Dans une autre enquête criminelle contre Rafael Correa, un magistrat a émis en juillet un mandat d’amener, après refus de témoigner, sur la foi d’éléments le laissant suspecter d’avoir payé des hommes de main pour faire « disparaître » un chef de l’opposition colombienne en 2012. Mais, dans la longue série des griefs émis par la justice contre l’ex-président socialiste, soulignons son silence, éloquent pour un socialiste revendiqué qui créa un « ministère du bien-vivre », sur les maltraitances imposées sur des travailleurs équatoriens par CWE, entreprise chinoise d’hydroélectricité. Cette dernière est soupçonnée d’avoir refusé de payer les salaires à des employés qui s’étaient plaints d’abus de la part des cadres chinois. Le quotidien El Diario rapporte qu’un mouvement d’employés exigeant le paiement de leurs salaires et protestant contre leurs mauvais traitements réunit quelque 1.700 personnes. Cette association proteste, outre les mauvais traitements, contre l’absence de protections de sécurité sur leurs lieux de travail. Le gouvernement du socialiste Correa n’a jamais répondu à leurs revendications.