Restructuration de l’islam : tout le monde s’y met

restructuration-islam-le-monde-laicite
 
Qui l’eût cru ? Une enquête réalisée en France après les attaques terroristes contre Charlie Hebdo et l’Hypercasher de Vincennes a « révélé » que le rejet de l’islam recule en France. Un sondage IPSOS-Le Monde assure que désormais près d’un Français sur deux, soit 47% des sondés, estime que la religion musulmane est compatible avec les valeurs de la société française, soit deux fois plus qu’en 2013 ! Autrement dit, la défiance à l’égard de l’islam est en fort recul alors même que les persécutions antichrétiennes ne cessent de progresser dans le monde islamique, que les attentats sont perpétrés aux cris de « Allahu Akhbar » et que même la grande presse ne peut cacher que dans les banlieues françaises, la condamnation des tueries de Paris est tout sauf unanime. Comment est-ce possible ? C’est le jeu de l’« islam patte blanche » et du discours de restructuration de l’islam qui prétend distinguer entre son interprétation archaïque et un modèle moderne, encore largement à inventer, mais promu au nom du mondialisme.
 
Une chute aussi spectaculaire de la méfiance à l’égard de l’islam, alors même que le contexte est si défavorable, ne s’explique en effet pas seulement par la recomposition de la population française qui compte une part croissante de musulmans – on peut supposer qu’elle est reflétée dans les échantillons dits « représentatifs ». La religion catholique est compatible avec la République selon 93% des sondés, la religion juive n’obtient que 81% à l’aune de cette même confiance. Et seule une personne sur trois considère l’islam comme « violent » : 66% estiment l’islam « une religion aussi pacifiste que les autres et le djihadisme une perversion de cette religion ».
 

L’islam acceptable et soluble dans la laïcité

 
Si c’est bien la preuve qu’un certain bourrage de crâne fonctionne très bien, il ne faudrait pas voir dans cette étonnante évolution un effet du hasard « assisté » par la nécessité de préserver la tranquillité publique. L’affaire va bien plus loin. Trois articles parus récemment dans Le Monde rendent compte de ce qu’on pourrait appeler un ravalement de façade de l’islam – à condition de comprendre que c’est aussi de l’intérieur qu’on cherche à le modifier. Pour le rendre, justement, compatible avec une société où toutes les religions sont jugées équivalentes.
 
Le philosophe, Bruno Latour, directeur adjoint de Science Po Paris, chante ainsi les louanges du film Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako : l’imam africain s’y oppose aux djihadistes qui ont fondu sur la ville tels les « colonisateurs » occidentaux de jadis, incapables de comprendre les mœurs locales. On admire au passage l’assimilation, certes incomplète, des « islamistes radicaux » aux Européens chrétiens ; c’est un coup de génie…
 

Restructuration impossible ? On la fera quand même

 
Le Monde montre ainsi les partisans d’un islam intégriste comme coupables d’une confusion des genres, mélangeant « droit, pouvoir, Dieu et profit », ce qui justifie leur emprise totalitaire. Dont l’inconvénient majeur est qu’il empêche tout « pluralisme ». Une remarque, d’emblée : l’islam n’est pas appliqué dans toutes ses dimensions dans tous les pays à dominante islamique, c’est vrai – mais c’est malgré lui. Car l’islam – « soumission » ! – est par essence totalitaire en ce qu’il englobe tous les aspects de la vie et tend vers l’instauration de l’Oumma, la communauté des croyants régie par une même règle juridique, politique, pénale, quotidienne… et religieuse. S’en éloigner, c’est s’éloigner de la lettre de l’islam et de son application multiséculaire.
 
Et voilà l’islam radical promu au rang de « modernisateur » qui s’arroge le droit de tout changer – à la manière de toutes les utopies – tandis que l’islam civilisé lui résiste en insistant sur le fait que l’homme ne peut se prendre pour Dieu et qu’il y a donc faute à confondre politique et religieux. Vive cet islam-là, serait-on tenté de dire.
 

Islam restructuré et mobilisation écologique

 
La même édition du Monde présente une liste d’ouvrages qui abondent dans ce sens. Bruno Latour lui-même à salué La vraie sagesse de l’islam sous un titre éponyme, où il réussit le tour de force de dénoncer le djihadisme en l’accusant d’occulter la « mutation écologique » qui nous menacerait bien davantage que l’islam radical, et contre laquelle nous avons à combattre ensemble. Avec l’islam patte blanche, bien sûr.
 
Zafer Senocak, lui, réclame Aux élites musulmanes de créer une alternative libérale crédible par la relecture des textes traditionnels confrontés au monde contemporain. Cela viderait l’islam de sa substance ? Contredirait l’autorité absolue et incontestable du Coran, sa « parole incréée » ? Mais c’est le but recherché ! Non pas de le passer au crible de la raison, de la confrontation avec le bien, le beau, le vrai, mais d’en faire une chose nouvelle, soumise aux exigences contemporaines.
 
En ce sens la restructuration de l’islam telle que la réclament ces penseurs modernes, assistés par un monde politique qui ne veut pas autre chose, est un exercice bien périlleux… pour nous. Car il soumet l’islam à une autorité supérieure qui s’estime tout aussi supérieure au christianisme, avec une nouvelle transcendance née de la volonté du plus grand, ou du plus petit nombre et soluble dans une spiritualité gazeuse adoratrice de « la planète ». Il suppose aussi que le christianisme, et en particulier la religion catholique, a su lui aussi se débarrasser de ses « archaïsmes », relativisant son message de la même manière au fur et à mesure de l’évolution et du progrès. C’est une fausse lecture : le mal fait au nom de l’islam est littéralement prôné dans les textes de l’islam ; le mal qui a pu être fait au nom du Christ a abusé de son Nom, a contredit son enseignement.
 

« Refonder la pensée théologique » de l’islam

 
Sortons des « enfermements doctrinaux », proclame ainsi Ghaleb Bencheikh, islamologue du Centre d’étude et de prospective stratégique. Il veut davantage qu’un aggiornamento : une « refondation de la pensée théologique » qui sache dépasser les visions « belliqueuses » des temps passés. Face à ce « discours martial » de l’Etat islamique et de ses avatars, « plus que sa caducité, il est temps de le déclarer antihumaniste ». Anti-humaniste ? Si l’humanisme est bien souvent synonyme de franc-maçonnerie, on comprend mieux le propos. L’idée est bien de fabriquer un islam compatible avec la laïcité, les « valeurs républicaines », le relativisme moderne – la maçonnerie. On peut être séduit par le langage de cet homme qui affirme : « Ce n’est plus possible de pérorer que l’islam c’est la paix », et qui réclame que l’on « dirime » la « compréhension obscurantiste, passéiste et rétrograde d’une partie du patrimoine calcifié qui est la cause de tous nos maux ». Le diagnostic est posé mais il prône une solution impossible si l’islam doit rester lui-même. Mais c’est précisément ce que l’on ne veut pas. On ne veut au fond d’aucune religion qui reste elle-même. On ne veut surtout pas s’encombrer du critère de la vérité, qui est tabou.
 
Qu’on déclare le wahhabisme « attentatoire à la dignité humaine », comme le dit Bencheikh, pourquoi pas. Mais en définissant d’abord la dignité humaine. Et en cessant de s’exclamer devant l’« humanisme » islamique des siècles passés comme le fait l’auteur : cette adulation de l’islam qu’on rendrait volontiers supérieur aux autres religions et spécialement au christianisme est un levier politique et une expression nouvelle des Lumières. Sans quoi Le Monde ne nous chanterait pas l’islam de la « connaissance ».
 

L’Arabie saoudite restructure la vision de l’islam

 
Le discours prend. En Ar abie saoudite – ferme alliée des Etats-Unis, admise au concert des nations malgré le wahhabisme et donc candidate à entrer dans l’unité globalisée de demain – le ministre délégué des Affaires islamiques ne dit pas autre chose. « Nous éduquons également les imams afin qu’ils enseignent que l’Etat islamique a un discours contraire à l’islam. Il représente la violence. Nous représentons l’islam véritable. » Les autorités en sont à surveiller les associations caritatives soupçonnées de financer l’Etat islamique en douce, tout comme les riches Saoudiens.
 
Car il y a encore un paradoxe dans cette affaire : l’établissement de l’Etat islamique, c’est mal ; les coups de fouet, les décapitations, les peines de mort pour apostasie appliquées par les autorités sont tolérables, tant qu’on reste islamiquement entre soi.