Alors que le secrétaire du Conseil suprême de la sécurité nationale iranienne était à Moscou, le président russe Vladimir Poutine a signé, lundi, un décret levant l’interdiction sur les ventes de systèmes de défense aérienne S-300 à l’Iran. Il permet de plus leur transfert « à la République islamique d’Iran en dehors des frontières de la Fédération de Russie avec l’utilisation de navires battant pavillon russe et des avions ». Cinq batteries de missiles antiaériens S-300 sont prévues pour la première livraison qui rompt l’embargo russe. Le système S-300 est l’une des armes les plus avancées de la défense anti-aérienne dans le monde, avec une portée de 200 à 300 kms et une altitude potentielle de 27 kms, capable d’intercepter simultanément une centaine de cibles dans le ciel. Le porte-parole de Poutine a déclaré qu’ils pouvaient être livrés à l’Iran à tout moment, s’il provenaient de ses propres arsenaux militaires.
Fin de l’embargo russe
Le contrat n’est pas jeune. Il avait été signé à la fin de l’année 2007, pour un montant de 800 millions de dollars pour les cinq systèmes antimissiles. Mais en septembre 2010, le président russe Dimitri Medvedev avait suspendu son application, en raison de l’opposition plus que sourde des États-Unis et bien sûr d’Israël craignant pour son intégrité nationale. L’Iran avait alors porté plainte contre la Russie devant un tribunal d’arbitrage international, arguant que le système S-300 est une arme défensive et ne faisait pas l’objet des sanctions imposées à l’Iran par l’ONU en raison de son programme nucléaire civil.
Ce que la Russie entend parfaitement aujourd’hui. Le ministre russe des Affaires étrangères a expliqué que la démarche avait été alors volontaire et aucun cas réclamée par la résolution 1929 du Conseil de sécurité qui n’imposait de fait aucune restriction à la vente d’armements défensifs à la République islamique d’Iran. Avait-elle alors, par ce refus, donné des gages de soumission à l’ONU ? Un des généraux russes parle en tout cas d’une « erreur stratégique » qui vient enfin d’être réparée… « Nous sommes convaincus, a dit le ministre russe, qu’à ce stade, il n’y a plus besoin d’un tel embargo, en particulier d’un embargo russe volontaire et solitaire. »
Livraison des missiles S-300 : l’Iran exulte, Israël fustige
A Téhéran, on salue cette décision qui est, selon le ministre iranien de la Défense, « la traduction de la volonté politique des dirigeants des deux pays pour améliorer et promouvoir les niveaux de coopération dans tous les domaines ». Et qui confirme surtout le rapprochement entre les deux pays qu’un accord de coopération militaire lie déjà depuis le 20 janvier 2015.
Pour Israël, c’est le début de la fin. Et le ministre russe l’a paradoxalement et volontairement souligné en martelant que le S-300 était « exclusivement une arme défensive, qui ne peut compromettre la sécurité d’aucun pays, y compris, bien sûr, Israël »… Israël veut garder à tout prix sa prééminence militaire. Et ces batteries de missiles antiaériens peuvent la compromettre.
Et ce n’est pas le geste russe que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a fustigé lundi. Mais l’accord de Lausanne d’où cette transaction est, pour lui, directement issue. « C’est le résultat direct de la légitimité que l’Iran a obtenue grâce à cet accord nucléaire ».
L’accord-cadre nucléaire entre l’Iran et les 5+1 à Lausanne en Suisse, qui doit être finalisé en juin prochain, contribuera en effet peu à peu à lever les sanctions qui pèsent sur l’Iran depuis des années. Israël y voit l’augmentation du terrorisme, sans croire pour autant à l’arrêt de ses ambitions nucléaires.
Bien sûr, certains l’ont dit, elle pourrait se venger sur le front ukrainien, en acceptant de fournir – ce qu’elle refusait de faire jusque là – des armes de pointe à l’Ukraine et à la Géorgie. Mais la situation en sera-t-elle renversée pour autant ? Une chose est sûre, nous l’avions dit dans un article précédent, Israël n’a plus « la faveur inconditionnelle des mondialistes »…
Rapprochement Russie-Iran : fruit de la politique étasunienne
Le ministre russe a effectivement donné comme gage le récent accord-cadre nucléaire pour justifier la reprise du contrat des S-300. « C’est la logique de la déclaration de Lausanne ». Et c’est pourquoi la réaction américaine a été assez molle… Les États-Unis se sont dits seulement préoccupés par la décision de Moscou de fournir ces systèmes antiaériens à l’Iran, rappelant le soutien non officiel de l’Iran aux Houthis dans la crise du Yémen. Le secrétaire d’État américain John Kerry a aussi abordé cette question lundi avec le ministre russe des Affaires étrangères. Reste que c’est l’administration Obama qui est à l’origine de la politique menée depuis le début à Lausanne.
Bien sûr, cette transaction peut aussi refléter la manœuvre de Moscou pour s’assurer d’office une part non négligeable dans le marché iranien, avant l’arrivée des autres grandes puissances sitôt la levée des sanctions – le marché est juteux, tout le monde s’y prépare. Et la Russie a toujours cherché à se rapprocher de l’Iran, géopolitiquement stratégique dans sa lutte contre l’hégémonie étasunienne.
Mais les perspectives de Lausanne ont fait bouger les lignes. Cette coopération irano-russe ne va pas contre la volonté d’Obama. Bien au contraire. Il peut vouloir y prendre sa part.