La Russie et l’islam main dans la main : Serguei Lavrov multiplie les signes d’amitié

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Le ministre russe des Affaires étrangères a multiplié ces derniers jours les protestations d’amitié à l’égard de l’islam et des pays islamiques, mettant à mal l’idée que la Russie serait aujourd’hui une sorte de rempart de la chrétienté. Loin de souligner les différences irréductibles entre les religion chrétienne – orthodoxe en ce qui le concerne – et musulmane, qui rejette d’emblée comme des notions blasphématoires la Trinité et l’Incarnation du Fils de Dieu, Sergueï Lavrov a prôné le dialogue inter-religieux et interculturel qui sont au cœur du relativisme mondialiste, assurant en outre que l’islam est en pleine « renaissance » en Russie.

C’est la réunion du 14e Forum économique international Russie-Monde islamique, organisée la semaine dernière à Kazan au Tatarstan, république appartenant à la Fédération de Russie, qui a été l’occasion de plusieurs déclarations et interviews en ce sens, lors d’une opération visant à augmenter les liens entre la Russie et le monde islamique en général. Lavrov honorait la rencontre d’une allocution de bienvenue par visio-conférence, après avoir fait une tournée d’autres pays « frères » en Amérique latine le mois dernier : Brésil, Venezuela, Nicaragua et Cuba.

 

Une interview de Sergueï Lavrov vante le rapprochement stratégique entre la Russie et le monde islamique

On trouve ainsi sur le site du ministère des Affaires étrangères russes une longue interview de Lavrov mise en ligne vendredi dernier pour le documentaire Le chemin vers le monde islamique (Путь в исламский мир), dans laquelle il décrit notamment comment il avait vivement encouragé Vladimir Poutine à assister en 2003 au sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (aujourd’hui l’Organisation de la Coopération islamique) en Malaisie. Deux ans plus tard, se félicite Lavrov, la Russie obtenait le statut d’observateur à l’OCI : « c’était bon pour la promotion de l’entente inter-civilisationnelle et inter-religieuse », dit-il aujourd’hui.

Trois ans plus tard, en 2006, la Russie mettait sur pied le Groupe de vision stratégique Russie-Monde islamique, qui a d’ailleurs participé à la rencontre de Kazan et tenu sa réunion vendredi. Un représentant du patriarche Kirill de Moscou était sur place.

Celui-ci a déclaré au nom du patriarche que « l’Eglise orthodoxe russe maintient des liens avec les musulmans puisque les valeurs fondamentales des deux confessions sont identiques ».

Dans son entretien, Lavrov assure que le monde Occidental « sous le diktat imposé par les Etats-Unis » n’accepte pas l’idée de « relations bonnes, rapprochées ou stratégiques entre la Russie et le monde islamique ». Récusant l’idée que tout cela soit gouverné par une « mentalité de bloc », le ministre a salué « l’intérêt » du groupe « pour le développement d’approches communes vis-à-vis de problèmes actuels servi par une volonté sincère et mutuelle ».

 

La renaissance de l’islam en Russie saluée par Lavrov

Selon Lavrov, le bilan est positif, et sa plus grande réussite serait celle-ci :

« La reconnaissance générale par le monde islamique du fait que les musulmans russes participent pleinement à la vie politique, économique, culturelle et spirituelle de la Russie et qu’ils sont aux côtés des autres Russes pour défendre avec courage et abnégation la sécurité de notre pays, dont l’Opération militaire spéciale est un exemple éloquent.

« L’islam en Russie connaît une renaissance et un essor sans précédent, tout en continuant à coexister harmonieusement avec d’autres religions traditionnelles. Notre travail commun a révélé des appréciations sensiblement identiques sur les questions inter-civilisationnelles et inter-religieuses qui sont débattues dans notre pays et au niveau international. Nous sommes unis dans la défense des valeurs spirituelles et morales, rejetant l’islamophobie, la christianophobie ou toute autre forme d’intolérance religieuse. »

Quelques remarques s’imposent ici. L’évocation de l’intégration de la religion musulmane dans la vie « spirituelle » de la Russie, tout comme la référence aux « religions traditionnelles », emprunte au champ lexical du dialogue inter-religieux où chacun met de côté la notion de vérité. Une religion qui se dit vraie exclut forcément les autres religions comme fausses. Les rencontres inter-religieuses de tout poil, certaines avec la participation des catholiques et de représentants des chrétiens occidentaux comme celles organisées tous les trois ans à Astana au Kazakhstan, pays ami de la Russie, jouent toutes sur ce registre et favorisent l’émergence d’une spiritualité globale.

L’approche décrite par Lavrov est similaire, et correspond à ce que l’on trouve fréquemment sur plusieurs sites de la nébuleuse Konstantin Malofeev-Alexandre Douguine (katehon.com, geopolitika.ru…) : l’appel à une alliance avec l’islam pour contrer l’Occident, et l’affirmation des droits de toutes les « religions traditionnelles » et de leur zone géopolitique d’influence chère au gnostique Douguine.

Lavrov estime que le rapprochement entre la Russie et le monde doit s’accentuer : « KazanForum, le groupe de vision stratégique offre une plateforme pour les initiatives publiques et civiques visant à étendre la coopération avec les pays musulmans et à identifier de nouveaux domaines d’efforts conjoints. »

 

Une amitié Russie-islam au service d’une spiritualité globale

Le ministre a insisté lors de son allocution d’ouverture au Forum de Kazan sur la promotion du dialogue et de l’entente entre les confessions religieuses, ainsi que sur « la protection des valeurs spirituelles et morales traditionnelles qu’ont en commun toutes les religions mondiales » (dans le langage du dialogue inter-religieux, font partie des religions mondiales l’hindouisme, le bouddhisme, le judaïsme, le christianisme et l’islam, auxquels on ajoute éventuellement des religions traditionnelles moins importantes, à l’exclusion des religions autochtones et des nouveaux mouvements religieux).

Lavrov a encore insisté : « Nous avons toujours soutenu la diversité culturelle et civilisationnelle des peuples du monde et leur droit naturel à déterminer leurs propres modèles et voies de développement. Nous avons des positions identiques ou très proches sur la plupart des questions clés de notre époque et nous coopérons de manière productive au sein des Nations unies et d’autres plateformes multilatérales. »

En clair : il n’est pas seulement reproché à l’Occident d’aujourd’hui de répandre des erreurs (notamment l’idéologie de la culture de mort et de la destruction du mariage dont les premières manifestations ont eu lieu dès la Révolution bolchevique, et que le marxisme culturel a si bien théorisés), mais d’avoir répandu sa manière d’être – et surtout sa foi.

 

Jeanne Smits