La Russie de Poutine acculée à l’autarcie : l’économie rétrécit, les dépenses militaires explosent

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Comme à « l’époque soviétique » – assure Ambrose Evans-Pritchard du Telegraph depuis Moscou – la Russie de Poutine se voit contrainte de se replier sur elle-même par l’effet conjugué de la chute du prix du pétrole et par le coût de son effort de guerre en Syrie. Coup de poker de Poutine ? C’est ce qu’affirme le journaliste britannique qui voit le président russe vider les fonds de réserve pour faire face à la situation, à l’heure où la cotation de « l’entreprise » Russie par les agences de notation ne lui permet pas d’emprunter à l’étranger à un coût raisonnable. La Russie de Poutine est acculée à l’autarcie économique et continuera dans cette situation tant que l’Arabie Saoudite continue d’inonder le marché de pétrole bon marché. Mais alors même que l’économie rétrécit, les dépenses militaires explosent. A quoi joue le Kremlin ?
 
La Russie affichera cette année une dette de 4,4 % de son PIB, dépenses des administrations locales et de sécurité sociale comprises – mais ce qui est gérable par une économie riche aux marchés de capitaux importants devient plus difficile lorsque l’économie dépend de matières premières à valeur baissière et plus compliqué dans le cadre d’une confrontation (à vrai dire feutrée) avec l’Occident.
 
Les réserves sont en effet largement alimentées par les revenus de la vente du pétrole ; selon le ministère des Finances russes, si tout continue comme aujourd’hui, elles seront épuisées d’ici à 16 mois.
 

Les réserves de la Russie s’épuisent à mesure que l’économie rétrécit

 
L’ancien ministre des Finances, Alexei Kudrin, affirme que la Russie n’a aucune capacité à faire des emprunts pour se sortir de cette situation. Il avait lui-même démissionné en 2011 pour protester contre les dépenses militaires de la Russie. Elles sont en forte, et même en très forte augmentation depuis 1999 : de 20 milliards de dollars (en dollars constants de 2011) cette année-là, elles sont passées à plus de 84 milliards en 2014 et la tendance reste à la forte hausse.
 
On attend même une progression de 15 % en cette année 2015, avec une augmentation de 60 % des sommes vouées à l’achat d’armement – au moment même ou l’économie se contracte : – 4,6 % sur ces douze derniers mois. Mais il faut bien financer les missiles…
 
Les calculs du Kremlin, souligne Ambrose Evans-Pritchard, partent du principe que le prix du baril de pétrole ne dépassera pas les 50 dollars pendant les trois années à venir. Mais la Banque centrale russe – qui joue le même rôle que les autres Banques centrales du monde – a préparé des scénarios de risque où le baril tomberait en deçà des 40 dollars, voire avoisinerait les 30 dollars : le niveau qui viendrait à bout de la concurrence américaine par le gaz de schiste.
 

Le choix de l’autarcie n’empêche pas l’explosion des dépenses militaires

 
D’où les annonces de Poutine selon laquelle la Russie va se concentrer sur sa propre industrie : elle entend, a-t-il fait savoir, réduire les importations de manière drastique dans 20 secteurs clefs d’ici à cinq ans (un plan quinquennal ?)  aussi bien pour la machinerie lourde, les véhicules personnels et agricoles, l’industrie chimique et pharmaceutique que pour l’alimentation.
 
Vu la faiblesse de l’appareil de production russe, cela reviendra pour certains secteurs – comme les produits alimentaires transformés ou les appareils agricoles – à des coupes de plus de 50 %. Les contrats publics s’orienteront vers la production locale.
 
Nationalisme avisé ? Sans doute. Encore faut-il en avoir les moyens. Cela se traduit actuellement par le versement de subventions importantes pour promouvoir la production russe : il en va ainsi de la construction de serres qui permettent de faire pousser des salades en Sibérie par – 20°C, raconte Viktor Semenov de Belaya Dacha Group. Inutile de dire que ces salades-là coûtent plus cher à produire que celles importées de Turquie…
 
Les partisans du libre-échangisme mondial soulignent l’ineptie, voire le danger d’une telle politique – on renvoie à l’Allemagne des années 1930, en une manière nouvelle d’arriver au point Godwin.
 

La Russie de Poutine a vécu sur la richesse de son pétrole

 
Mais la perspective, vu le manque d’ingénieurs, d’infrastructures et d’industries florissantes, et la facilité par laquelle la Russie s’est enrichie pendant les bonnes « années pétrole » est bien celle du retour vers une économie soviétoïde ; paupérisée et détachée du reste du monde.
 
Déjà, par le jeu des dévaluations du rouble, l’économie russe s’est contractée pour ne plus représenter que 1,2 milliers de milliards de dollars – moins que le PIB du Texas. Et la dévaluation n’a pas renforcé les exportations.
 
La Russie envisage sa réindustrialisation mais elle risque de s’avérer très difficile, pendant que l’Occident se désindustrialise et que les pays « émergents », pour beaucoup, voient leurs populations et leurs économies se contracter. Dans tous les cas, la perspective est celle de la paupérisation ; ou de l’alignement. Et de l’impatience croissante le la population qui sera alors « mûre » pour croire aux bienfaits d’une gestion mondialisée de l’économie ?
 

Anne Dolhein