Quarante-huit heures après les déclarations du président russe Vladimir Poutine, le ministère russe de la Défense a déclaré mercredi détenir la preuve de l’implication du président turc Recep Tayyip Erdogan et de sa famille dans des transactions financières avec l’Etat islamique. Inutile de préciser que l’intéressé a dénoncé avec force les assertions de la Russe, niant avoir quelques liens que ce soit avec l’organisation djihadiste.
Alors que la Turquie a annoncé vouloir réduire d’un quart ses importations de gaz de pétrole liquéfié du fait de ses tensions diplomatiques avec Moscou, le ministère russe de la Défense a présenté mercredi des images satellites montrant, selon ce qu’il explique, des colonnes de camions-citernes chargeant du pétrole dans des installations contrôlées par l’Etat islamique en Syrie et en Irak, avant de passer ensuite la frontière turque.
La Russie dénonce les pratiques du président turc Erdogan
Depuis le Qatar, où il effectuait une visite officielle et signait quelques contrats stratégiques, dont l’établissement d’une base militaire turque, le président turc a martelé que personne n’avait le droit de calomnier la Turquie en l’accusant ainsi, et qu’il quitterait ses fonctions si de telles accusations étaient avérées.
Curieuse affirmation : puisqu’il est bien placé pour savoir ce qu’il en est, ce propos veut donc insister sur son innocence. Comme aussi cette affirmation solennelle : « Aucun pays au monde ne combat l’organisation de Daech plus sérieusement que la Turquie ! »
Il y a pourtant une faille dans cette visite au Qatar, puisque le président syrien Assad accuse Doha de soutenir le terrorisme dans son pays.
Pourtant, Erdogan joue, pour l’instant, sur du velours, les autorités russes n’ayant pas précisé quelle preuve elles détenaient de l’implication du président turc dans ce trafic pétrolier. « La Turquie est le principal consommateur du pétrole volé à ses propriétaires de droit, la Syrie et l’Irak. Au vu des informations que nous avons obtenues, les hauts dirigeants politiques du pays – le président Erdogan et sa famille – sont impliqués dans ce trafic illicite », s’est contenté d’asséner le vice-ministre russe de la Défense, Anatoli Antonov.
Avant de poursuivre : « En Occident, personne ne se pose de questions sur le fait que le fils du président turc dirige l’une des plus grandes compagnies d’hydrocarbures, ou que son gendre ait été nommé ministre de l’Energie. Quelle merveilleuse affaire de famille ! (…) Le cynisme des dirigeants turcs est sans limites. Regardez ce qu’ils font. Ils sont allés dans un pays tiers, ils le volent sans aucun remords. »
Des liens entre Erdogan et l’Etat islamique ?
Pour l’heure, Ankara assure vouloir régler ce différend de façon diplomatique…
Mais il n’est pas sûr que les Russes acceptent. D’autant que les critiques émises à l’encontre des Turcs sont également formulées par d’autres, sur place. Ainsi, samedi, notre confrère L’Orient-Le Jour donnait-il la parole au président de la Chambre de commerce et d’industrie de Syrie, un certain Farès el-Chehabi, homme d’affaires alépin sunnite, qui souligne les procédés des rebelles au pouvoir de Damas : « (…) Dès les premiers mois, les rebelles nous ont distribué des tracts exigeant la fermeture de nos entreprises, sinon elles seraient brûlées. Ils ont envoyé ces menaces à tous les magasins et entreprises. Les gens ont immédiatement pris peur. Une vingtaine de mes amis industriels, membres de la Chambre de commerce, ont été assassinés car ils refusaient de fermer leurs usines. En 2011, les rebelles avaient réduit en cendres plus de 100 manufactures. »
Il raconte que, propriétaire de plusieurs usines, l’une d’elles lui a été confisquée. Et ajoute : « Mon usine, qui produisait de l’huile d’olive, que je croyais être entre les mains de l’Armée syrienne libre (ASL), était en fait le quartier général de l’Etat islamique (EI). »
Répondant au journaliste sur la question turque qui oppose aujourd’hui Ankara à Moscou, il accuse le gouvernement turc d’être derrière ce pillage.
« (…) j’ai des preuves sérieuses, affirme-t-il. J’ai déposé deux plaintes contre le gouvernement turc, aux tribunaux de Strasbourg et à La Haye. J’ai recueilli des preuves solides, des vidéos, des confessions et des témoins. Beaucoup d’industriels m’appelaient en panique me disant que les rebelles étaient dans leur usine et que des experts turcs étaient avec eux. Les hommes armés ne font pas la différence entre les différentes lignes de production d’une usine. Ils ne savent pas comment désassembler les machines sans les endommager. C’est pourquoi les experts turcs étaient présents, pour choisir leur butin et les envoyer à Gaziantep, à Adana… J’ai reçu plus de 5.000 plaintes d’industriels, victimes de vols. Le butin est parti en Turquie avec la complicité de la police turque. Impossible de faire passer du matériel d’usine facilement. Certaines machines font 20, 30 mètres de long. Ils ont utilisé des camions, sont passés aux postes-frontières, pas à travers des champs d’oliviers. C’est de la contrebande organisée. Ils ont vidé les zones industrielles d’Alep. C’est un champ de ruines. »
Plusieurs milliers de témoignages, des plaintes déposées à Strasbourg et à La Haye… Il faudra vraiment beaucoup de diplomatie de la part d’Ankara pour parvenir à faire oublier cela.