Menace de sanctions au titre de l’article 7 : pourquoi la Pologne négocie-t-elle donc avec la Commission européenne ?

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« Nous avons réalisé certains progrès, mais nous ne sommes pas en position de dire que les problèmes ont été résolus », a déclaré lundi devant les ministres des Affaires étrangères de l’UE Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission européenne. Les ministres réunis en Conseil de l’Union européenne discutaient de la procédure de sanctions au titre de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne lancée par la Commission en décembre dernier contre la Pologne. Timmermans a prévenu que si la Pologne ne cédait pas aux exigences de la Commission européenne d’ici à la fin du mois de juin, celle-ci demanderait un vote au Conseil de l’UE. Elle aura alors besoin du soutien de 22 gouvernements pour mettre la Pologne sous la loupe des autres Etats membres. Ceux-ci devront alors évaluer si l’état de droit est menacé en Pologne comme le soutient la Commission européenne. Au terme de la procédure, pour adopter des sanctions qui incluront la suspension des droits de vote de la Pologne dans les institutions européennes, il faudra un vote à l’unanimité contre la Pologne de tous les autres pays de l’UE.
 
Une telle unanimité ne pourra pas être obtenue et la Commission le sait. Plusieurs pays, dont la Hongrie et les trois Etats baltes, ont déjà fait savoir qu’ils s’y opposeraient. Même le vote de juin n’est pas acquis d’avance et la Bulgarie, qui assure la présidence semestrielle des travaux du Conseil de l’UE, a enjoint lundi, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Ekaterina Zakharieva, à la Pologne et à la Commission européenne de trouver un compromis.
 

Comment la Pologne cherche à éviter la poursuite de la procédure de sanctions au titre de l’article 7

 
Depuis le changement de Premier ministre et le remaniement ministériel de janvier, la Pologne a déjà fait quelques pas en arrière sur plusieurs points litigieux. Elle a accepté de se soumettre au jugement de la Cour de Justice de l’UE sur la question de l’abattage des arbres dans la forêt de Białowieża. Elle a publié dans son journal officiel, comme l’exigeait la Commission, trois décisions passées de son Tribunal constitutionnel même si celles-ci ont perdu toute pertinence en raison de la modification des dispositions légales qui étaient visées par ces décisions. Le parlement polonais a en outre adopté en avril plusieurs amendements à ses lois de réforme de son institution judiciaire pour répondre aux demandes de la Commission européenne : l’âge de la retraite des hommes et des femmes sera le même (65 ans) pour les juges de la Cour suprême ; le maintien en place de ces juges au-delà de 65 ans devra être accepté non plus par le président de la République mais par le Conseil de la magistrature (KRS). Les procédures de recours extraordinaire contre les anciens jugements, contestées par la Commission, ont vu leur champ d’application réduit. Le ministre de la justice devra demander l’avis du collège des juges du tribunal concerné avant d’en révoquer le président ou un vice-président. En cas d’avis négatif, il devra en notifier le Conseil de la magistrature qui aura le pouvoir de bloquer une telle révocation.
 
Tous ces amendements, qui constituent autant de pas en arrière de la majorité parlementaire polonaise sans revenir sur l’essentiel de ses réformes, ne satisfont toutefois pas le commissaire Timmermans qui conteste la légitimité actuelle du Tribunal constitutionnel polonais ainsi que le mode de nomination des 15 juges membres du Conseil de la magistrature (qui compte 25 membres en tout). Depuis la réforme, ces juges sont nommés par le parlement et non plus par leurs pairs. M. Timmermans, qui ne lit pas le polonais et n’a donc pas pu lire la constitution polonaise dans sa version originale, estime que cela est contraire à la constitution polonaise (ce qui est faux : la constitution, que l’auteur de ces lignes a sous les yeux, indique uniquement que ces 15 membres doivent être choisis parmi les juges de la Cour suprême, des tribunaux de droit commun, des tribunaux administratifs et des tribunaux militaires, en laissant au parlement toute liberté pour décider de leur mode de nomination).
 

En répondant aux pressions de la Commission européenne, la Pologne crée un dangereux précédent

 
L’attitude intransigeante de la Commission européenne conduit certains membres de la majorité parlementaire et commentateurs plutôt favorables au PiS à se demander quel est le sens de ces négociations avec la Commission européenne. Le premier problème a été souligné lundi par le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki et son homologue hongrois Viktor Orbán, qui avait réservé à Varsovie sa première visite officielle à l’étranger depuis son investiture : les pays d’Europe de l’Ouest n’ayant pas fait l’expérience du communisme, ils ne comprennent souvent pas les pays d’Europe centrale et orientale.
 
En l’occurrence, les fonctionnaires de Bruxelles ne comprennent pas les pathologies chroniques qui rendaient indispensable une réforme en profondeur de cette institution judiciaire héritée du communisme. En toile de fond des préjugés perceptibles dans certaines capitales d’Europe occidentales, il y a bien sûr la question des quotas d’immigrants que voudraient imposer Bruxelles, Berlin et Paris mais que les pays de l’ancienne Europe de l’Est refusent, ce qu’ont redit lundi Morawiecki et Orbán au nom de leur souveraineté nationale.
 
Mais il existe un autre problème fondamental lié aux pressions exercées sur la Pologne par la Commission européenne, et ce problème concerne tous les Etats membres de l’UE : en vertu des traités européens, la Commission n’est pas compétente pour se substituer aux cours constitutionnelles des Etats membres et pour juger du respect ou non de leur état de droit ainsi que de l’indépendance de leur justice. En acceptant de négocier avec la Commission, Varsovie accepte de créer un dangereux précédent. La Hongrie a certes fait la même chose face aux attaques de la Commission et du Parlement européen après l’arrivée au pouvoir du Fidesz en 2010, mais elle était à l’époque beaucoup plus isolée que ne l’est aujourd’hui la Pologne.
 

Les raisons qui poussent la Pologne à négocier avec la Commission européenne malgré tout

 
En réalité, si la Pologne accepte de négocier avec la Commission et de céder sur certains points, c’est pour éviter qu’il se trouve une majorité qualifiée au Conseil de l’UE pour se saisir de la procédure de sanctions au titre de l’article 7 à un moment où l’on négocie du futur cadre budgétaire pour les années 2021 à 2027. D’autant que la Commission européenne cherche à obtenir l’appui d’une majorité de pays membres (elle peut déjà compter sur la France et l’Allemagne) pour conditionner à l’avenir le versement des fonds européens au respect des « valeurs européennes » (l’accueil des « migrants » ?) et de l’état de droit, ce qui permettrait sans réformer les traités (et sans les respecter non plus, soit dit en passant), de pouvoir infliger des sanctions à un pays membre de l’UE en se passant d’un vote à l’unanimité des autres pays membres. Ce serait un puissant instrument de chantage entre les mains de la Commission européenne !
 
Il n’empêche que ce n’est pas rendre service à la démocratie et à l’état de droit ni à la défense de la souveraineté nationale que de négocier avec les eurocrates de Bruxelles et de céder à certaines de leurs exigences sur des questions qui relèvent, en vertu des traités européens, de la compétence exclusive des Etats membres. D’autres pays que la Pologne, la Hongrie et quelques autres Etats de l’ex-Europe de l’Est devraient s’en inquiéter et protester, au nom justement du respect de la démocratie et de l’état de droit, contre les ingérences de la Commission européenne.
 

Olivier Bault