Sanctions contre l’Iran : l’affrontement UE-USA construit la gouvernance globale

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L’UE vient d’interdire aux entreprises européennes de se soumettre aux sanctions des USA contre l’Iran, sous peine de sanctions. A-t-elle raison ? Est-ce réaliste ? Et surtout l’affrontement des deux mastodontes ne mène-t-il pas à la gouvernance globale ?
En dénonçant l’accord signé par les USA et l’UE avec l’Iran, Donald Trump avait assorti sa décision de sanctions contre les entreprises qui continueraient à faire des affaires avec l’Iran. Dans la présentation qu’il en faisait, il s’agissait de faire plier l’Iran en répondant à une menace militaire par une guerre économique. L’UE quant à elle, comme d’autres puissances comme la Russie et la Chine, estimait que le nucléaire iranien était sans danger et préconisait donc de pérenniser l’accord.
 

L’UE « regrette » les sanctions des USA et les sanctionne

 
Aujourd’hui les sanctions des USA sont effectives, et l’UE, qui les « regrette », s’y oppose officiellement. Elle vient de publier un communiqué où on lit : « Nous sommes déterminés à protéger les opérateurs économiques européens engagés dans des affaires légitimes avec l’Iran […] C’est pourquoi le statut de blocage mis à jour par l’Union européenne entre en vigueur le 7 août ».
 
La loi dite « de blocage », adoptée par l’UE en 1996 pour contourner les sanctions américaines contre Cuba, la Libye et l’Iran, n’a jamais été appliquée. Son actualisation a été approuvée par les ministres des Affaires étrangères de l’UE le 16 juillet de cette année. Elle interdit aux entreprises européennes de se plier aux injonctions américaines, sous peine de pénalités fixées par chaque Etat membre. Si ce n’est pas un vain mot, une entreprise aura le choix entre faire des affaires avec l’Iran et subir les sanctions des USA et ne pas en faire et se trouver pénalisée par l’UE.
 

Les sanctions de l’UE n’auront pas de portée pratique

 
En première analyse, un Européen peut s’en réjouir. Il y a dans la prétention des USA d’imposer leur manière de voir par des sanctions internationales qui s’appliquent hors de leur territoire quelque chose d’insupportable. La raison du plus fort est toujours la meilleure, on le sait, mais l’enrober dans le moralisme anglo-saxon est proprement exaspérant. Et il faut redire que l’exterritorialité des sanctions américaines est contraire au droit international.
 
Mais la décision de l’UE soulève dès qu’on l’examine une foule de questions. A qui s’adresse-t-elle ? Aux entreprises qui sont déjà en affaire avec l’Iran. Comment saura-t-on si elles s’arrêtent parce qu’un grain de sable a fait échouer l’opération ou pour se soumettre aux sanctions des USA ? De toute manière, des dérogations sont prévues pour les grands groupes. Ils devront demander l’autorisation de se retirer et se justifier. Cela limitera un peu plus la liberté d’entreprendre et augmentera leur soumission au contrôle supranational, mais cela risque de limiter la portée pratique de ce « blocage » à presque rien.
 

USA-UE : un affrontement en trompe-l’œil

 
On fait valoir à Bruxelles qu’il s’agit d’un « signe », d’une décision « politique » : mais précisément, envoyer un « signe » sans portée pratique est une manifestation d’impuissance qui réduit à néant les effets positifs éventuels d’une volonté politique, qui s’avère ainsi une simple velléité.
 
Il faut remarquer que l’UE n’a jamais protesté contre les sanctions abracadabrantes prononcées par la justice américaine contre la BNP voilà quelques années. En quoi les tribunaux américains seraient-ils juges de la politique d’une banque française ? Cette aberration judiciaire est aussi grave que les prétentions de l’exécutif de Trump. L’UE semble donc plus soucieuse de marquer son désaccord avec les USA sur l’Iran et les sanctions que de défendre les entreprises européennes ou le droit international. En d’autres termes, le débat sur l’exterritorialité n’est ici qu’un prétexte, ce n’est pas la vraie pomme de discorde. Forcément : l’UE, malgré son affrontement avec les USA, aimerait bien se faire aussi gros qu’eux et rêve aussi de tout régenter avec ses propres tribunaux.
 

L’Iran construit-il sa bombe atomique ?

 
Autre question, que je ne saurais trancher, mais qui n’est pas sans importance : qui, sur le plan militaire, a raison, les USA ou l’UE ? En d’autres termes, le nucléaire iranien présente-t-il un danger, comme l’ont prétendu les renseignements israéliens, dont Trump a repris la thèse, ou non ? Toute information est la bienvenue. Si l’on regardait la situation du point de vue de la guerre froide, on constaterait que l’Europe se « neutralise », qu’elle passe du côté de la Russie et de la Chine.
 
Autre donnée importante : si une entreprise se conforme au blocage de Bruxelles, elle encourra les sanctions des USA. L’UE a donc prévu de lui verser un dédommagement d’un montant équivalent. En d’autres termes, les contribuables européens devront payer pour la décision des juges américains. Outre le fait que cela laisse l’initiative aux USA (ils pourraient augmenter le montant des sanctions rien que pour assécher l’UE), cela crée une nouvelle usine à gaz typiquement socialiste de bonus et de malus. La situation deviendra si ubuesque qu’il faudra bien un jour créer une juridiction pour arbitrer, et l’on rentera ainsi un peu plus dans le processus qui mène à la gouvernance globale.
 

Les USA, l’UE et l’Iran construisent ensemble la gouvernance globale

 
L’actualité est une fable. Quelle leçon le public est-il appelé à tirer de l’histoire qu’on lui raconte ? D’abord que Trump, le gros populiste national, prend des poses hégémoniques agaçantes et qu’il nuit aux entreprises européennes et françaises, et, au-delà, au commerce international et à la paix dans le monde. En provoquant l’affrontement avec les USA sur l’Iran, l’UE nous montre que c’est paradoxalement elle qui défend l’intérêt de ses peuples : c’est une belle pédagogie d’européisme mondialiste. Nous sommes invités à appeler de nos vœux la gouvernance mondiale qui ne nous agacera pas par l’exterritorialité de son action et de ses prétentions, puisque nous appartiendrons tous à son territoire et serons donc, ipso facto, soumis à sa juridiction.
 

Pauline Mille