Comme c’était prévu, la Commission européenne a enclenché mercredi contre la Pologne la procédure de sanctions prévue à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne. Elle a demandé au Conseil européen de statuer sur l’existence en Pologne d’un « risque clair de violation grave des valeurs visées à l’article 2 ». Il s’agit donc des « valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’état de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »
La prochaine étape – sans doute en février prochain – consistera pour le Conseil à se réunir pour entendre la voix du gouvernement chrétien-démocrate conservateur polonais et celle du socialiste hollandais Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne chargé de l’Amélioration de la législation, des relations inter-institutionnelles, de l’état de droit et de la Charte des droits fondamentaux. Le Conseil européen devra ensuite voter sur la constatation du risque grave pour le respect de l’état de droit évoqué par la Commission européenne. Pour poursuivre la procédure, il faudra un vote aux 4/5, c’est-à-dire le soutien à la Commission de 22 pays sur les 28 que compte l’UE. Le résultat n’est déjà pas garanti vu l’opposition exprimée à haute voix par certains Etats d’Europe centrale et orientale qui savent bien que cet instrument pourrait ensuite être retourné contre eux.
Mais même si la Commission parvient à convaincre un nombre suffisant d’Etats, il faudra pour constater non plus le « risque clair » mais bien « l’existence d’une violation grave et persistante par un Etat membre des valeurs visées à l’article 2 », et donc des sanctions, un vote unanime de tous les pays de l’UE mis à part celui visé par la procédure.
Pas d’unanimité au Conseil européen pour sanctionner la Pologne
Le vice-premier ministre hongrois Zsolt Semjén, dont le pays a déjà plusieurs fois prévenu qu’il s’opposerait à toute sanction contre la Pologne, a réagi mercredi à la conférence de presse de Frans Timmermans en reprochant à la Commission de violer la souveraineté polonaise et de chercher à exercer des pressions intolérables sur des gouvernements issus d’élections démocratiques, en appliquant des sanctions arbitraires. Quant au porte-parole du parti Fidesz, il a déclaré voir dans cette décision de la Commission une preuve que Bruxelles cherche à punir les pays qui s’opposent à la relocalisation obligatoire des « migrants », et il a promis que son pays défendrait la Pologne.
A cet égard, il est peu probable que les autres pays du Groupe de Visegrád choisissent de voter pour la poursuite de la procédure en février prochain. En outre, deux des trois Pays baltes ont déjà fait savoir à la Pologne qu’ils s’opposeraient eux aussi aux sanctions. Quant au nouveau gouvernement autrichien, puisqu’il veut défendre les souverainetés nationales et renforcer l’application du principe de subsidiarité, on peut douter qu’il accepte de créer un tel précédent dans les relations entre l’UE et les États membres.
Les partis de la nouvelle coalition de droite au pouvoir à Vienne se souviennent d’ailleurs certainement de l’origine de l’article 7 du traité de Lisbonne. Cet article 7 avait été ajouté au Traité européen après les sanctions appliquées de manière arbitraire et inefficace à l’Autriche pour la punir de la coalition formée par les deux mêmes partis de droite, ÖVP et FPÖ, en 2000. Le Parti socialiste français dont le premier ministre Lionel Jospin, un ex-trotskyste, avait pris à l’époque pris la tête du mouvement en faveur des sanctions contre le choix démocratique des électeurs autrichiens, demande d’ailleurs que Vienne soit à nouveau sanctionnée par l’UE !
Varsovie ne cède pas malgré le lancement de la procédure de sanctions au titre de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne
Quant à la Pologne, elle campe fermement sur ses positions. La réforme du système judiciaire polonais est le motif officiel des sanctions demandées par la Commission européenne, au prétexte qu’elle remettrait en cause l’indépendance de la justice et donc l’état de droit et la capacité des tribunaux à faire exécuter en Pologne le droit européen. Pour Varsovie, puisque le fonctionnement de la justice dans les Etats membres n’entre pas dans les champs de compétence de l’UE en vertu des traités européens, il n’est pas question de céder. Timmermans voulait que le président polonais Andrzej Duda mette son veto aux lois réformant la Cour suprême et le Conseil national de la magistrature en Pologne. La réponse ne s’est pas fait attendre : quelques heures plus tard, le président Duda annonçait la ratification de ces deux lois.
A Varsovie, pour le président comme pour le gouvernement et sa majorité parlementaire, la décision de la Commission est contraire à la lettre et à l’esprit du Traité de Lisbonne et Bruxelles n’a pas le droit de s’ingérer dans le système judiciaire polonais. Comme le porte-parole du Fidesz, la porte-parole du PiS a elle aussi estimé que cette décision bruxelloise était sans doute liée au refus de la Pologne d’accepter les immigrants principalement musulmans qu’on voudrait lui imposer.
Si la Pologne cédait aux exigences de la Commission européenne, cela créerait un précédent dangereux pour la démocratie et l’Ééat de droit dans l’UE
Il est important de rappeler également ici que le socialiste hollandais Frans Timmermans, dont le parti travailliste a fait moins de 6 % aux dernières élections dans son pays, voudrait que la Commission impose le « mariage gay » à tous les Etats membres de l’UE. Il y a fort à parier que s’il parvenait à faire céder la Pologne sur sa réforme de la justice, il recommencerait bientôt à instrumentaliser l’article 2 du traité sur l’UE pour essayer d’imposer la dénaturation du mariage aux pays qui la refusent. Car s’il invoque aujourd’hui le principe de respect de l’état de droit de l’article 2 du Traité, il pourrait tout aussi bien invoquer le principe fluctuant de non-discrimination dont il est question dans le même article.
En tout cas, si la Commission européenne voulait pousser le président polonais au rejet des lois adoptées par le parlement, c’est raté. Et maintenant que le vin est tiré, il va falloir le boire. Plus qu’à la Pologne, c’est à l’Union européenne que cela va nuire. Cette guerre de la gauche libérale-libertaire menée par l’intermédiaire des institutions européennes contre les pays d’Europe de l’Est jugés trop conservateurs, trop chrétiens et trop identitaires ne peut en effet que diviser et affaiblir encore plus l’Union européenne. Cela ira-t-il jusqu’à sa dislocation ? Ce n’est pas ce que souhaitent la Pologne, la Hongrie et les autres pays de l’Est, mais ils ne sont pas non plus prêts à rester dans l’UE au prix de leurs libertés chèrement acquises.