L’offre de droit au séjour en Russie pour les étrangers las des « idéologies néo-libérales »

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Opération de charme… Mais à quelle fin ? Vladimir Poutine a signé lundi un décret ouvrant le droit au séjour en Russie aux citoyens étrangers qui en ont assez des « directives idéologiques néo-libérales destructrices », assorti d’une injonction au ministère des Affaires étrangères de proposer une liste des pays d’origine éligibles. Le gouvernement de la Fédération russe se fera ensuite un plaisir de confirmer cette évaluation de la non-conformité des dits Etats avec les valeurs morales et spirituelles traditionnelles russes.

Voilà qui donnera à ces ressortissants étrangers mais aussi aux apatrides résidant de manière permanente dans des Etats dont ils « n’acceptent pas la politique » selon les critères ci-dessus l’accès à un titre de séjour temporaire en Russie, hors quotas officiels d’immigration et sans exigences de contrôle de la « connaissance de la langue, de l’histoire et des lois fondamentales de la Fédération russe ».

Un nouveau droit d’asile, en somme, remarquable en ce qu’il n’exige aucune preuve de persécution ou de danger autre que celui de voir « imposer des idéaux néo-libéraux destructeurs sur les gens ». Il ne semble même pas qu’il faille aux candidats démontrer qu’ils en sont personnellement victimes. Tout au plus y aura-t-il une vérification au cas par cas de la motivation des demandeurs et de la pertinence de leur demande.

 

La Russie ouvrira (temporairement) les bras aux étrangers conservateurs

Cela dit, le titre de séjour proposé ne permet pas véritablement d’envisager un changement de vie durable : les personnes intéressées se verront délivrer des visas privés ordinaires pour trois mois. Pour les obtenir, ils devront envoyer – à compter du 1er septembre, date d’entrée en vigueur du décret – une déclaration écrite indiquant leurs raisons à la mission diplomatique ou au bureau consulaire russe à l’étranger. Et après ? Il ne semble pas que la suite des événements soit envisagée par le décret, de telle sorte que le site russe Tsargrad dit espérer « que ce décret du président russe ne sera que le début d’un processus par lequel la Russie commencera à délivrer non seulement des visas d’entrée, mais aussi la citoyenneté à tous ceux qui tentent de trouver le salut en Russie pour eux-mêmes et leurs familles du monde entier ».

Rien n’est dit, cependant, sur les éventuelles possibilités de conscription des nouveaux arrivés, une fois la nationalité russe acquise.

On peut penser que les cas les plus extrêmes sont ceux concernant les enfants mineurs autorisés à changer de sexe contre la volonté de leurs parents, mais cette tyrannie est déjà suffisamment installée dans plusieurs pays du globe pour qu’il soit difficile d’envisager l’émigration – très temporaire – de ces enfants avec leurs parents.

Il y a aussi l’endoctrinement scolaire, l’environnement médiatique, le matraquage idéologique dans les pays occidentaux mais, dans la mesure où ceux-ci conservent tout de même l’accès à nombre de droits et de libertés, il y reste possible de conserver et de promouvoir la manière de vivre, de croire et d’éduquer que l’on souhaite pour ses enfants – comme cela reste le cas en France. Des droits à défendre, avant tout !

 

La Russie fait du charme aux étrangers

Pour les catholiques en particulier, fuir les idéologies dites « néo-libérales » de l’Occident en rejoignant la Russie n’est d’ailleurs pas forcément souhaitable ; le pays ne compte qu’une poignée d’écoles catholiques et a fait du catholicisme une religion sous surveillance, ne bénéficiant pas de la reconnaissance accordée aux religions dites « traditionnelles » : orthodoxie, islam, judaïsme, bouddhisme.

Il faut préciser aussi que la pratique religieuse n’est pas plus répandue en Russie que dans les pays chrétiens largement apostats d’Occident ; que la GPA y est légale, le divorce endémique (70 % des mariages y aboutissent), la natalité nettement plus basse qu’en France, à 1,4 enfant par femme. Entre la propagande autour des « valeurs traditionnelles » et la réalité, il y a de la marge… Surtout quand on considère que le communisme bénéficie lui aussi d’un traitement favorable, comme l’a montré le Festival de la jeunesse mondiale organisé à Sotchi avec la présence de Poutine en mars dernier.

Les raisons de cet appel – très circonspect – adressé aux « conservateurs » vivant dans les pays vivant sous la coupe d’une idéologie dont les origines se retrouvent dans le « marxisme culturel » et qui fonctionne selon les ressorts de la dialectique n’ont pas été données. Il y a fort à parier qu’il ne s’agisse pas d’altruisme pur…

En se présentant comme un refuge, voire une arche de salut pour demandeurs d’asile conservateurs, la Russie de 2024 joue en quelque sorte la revanche après les années du communisme et du Goulag qui voyait les persécutés prendre le chemin de la liberté vers l’Occident.

 

La propagande contre les idées néo-libérales n’assure pas le renouveau démographique de la Russie

Le site anti-communiste latino-américain PanamPost se demande si l’opération n’a pas pour objectif réel de compenser les pertes en population causées par la guerre menée par la Russie en Ukraine : morts et blessés russes sont évalués (par l’Ukraine ; la Russie ne communique pas à ce sujet) au nombre de 600.000, et c’est sans compter les jeunes Russes qui ont préféré chercher abri à l’étranger pour éviter d’être appelés au front. Attirer du sang nouveau pourrait aussi avoir « un rapport avec le déficit de recrues dans les Forces armées, et le besoin de remplacer » ceux qui ne combattront plus, spécule le média.

Il est à noter d’ailleurs quasiment au même moment où il annonçait la mise en place de ce droit d’asile temporaire d’un nouveau style, Poutine demandait l’augmentation des bonifications de bienvenue pour les nouvelles recrues, qui vont déjà de 400.000 roubles (environ 4.000 euros) dans les régions les moins riches à environ 20.000 dollars à Moscou. La pression inflationnaire de ces dépenses se fait déjà sentir, paraît-il : depuis juillet, la Banque Centrale de Russie a relevé ses taux à 18 %.

Dans le même temps, la Russie souffre d’une pénurie de main-d’œuvre. L’économie du pays manque de 4,8 millions de travailleurs, selon PanamPost, 6,8 % des emplois disponibles n’étant pas occupés à la mi-2023 (contre 5,8 % en 2022). Il est vrai qu’au bout d’une année de guerre, on comptait déjà un million d’émigrés.

La Russie a besoin d’hommes, des hommes que l’affichage de « valeurs traditionnelles » ne suffit pas à tirer du néant. Est-ce pour cela qu’elle se tourne vers les familles classiques, ouvertes à la vie, qui sont les plus en rupture avec les sociétés « progressistes » des pays post-chrétiens ?

Ce qui est sûr, c’est que sa chasse démographique ne s’arrête pas là. En juillet 2022, la Russie facilitait par décret l’accession à la citoyenneté russe pour les ressortissants ukrainiens. En décembre dernier, de pareilles dispositions étaient offertes aux personnes de nationalité biélorusse, kazakhe et moldave, sans considérations idéologiques. Ou l’art de combler les trous.

 

Jeanne Smits