Ils sont 251 sénateurs sur 348 à avoir adopté, mardi, la loi sur le renseignement qui installe en France une sorte de « Patriot Act » à l’américaine. Pour voter cette loi qui permet une surveillance des métadonnées sur Internet en France, il s’est trouvé une majorité d’ex-UMP – les Républicains signent là l’une de leurs premières actions publiques, et de taille –, des socialistes et la moitié des centristes. Contre : les communistes, 19 centristes sur 43, 9 Républicains, quelques socialistes ; et les deux sénateurs FN, David Rachline et Stéphane Ravier. Les autres se sont abstenus. Le texte a été retouché, compliquant un peu la collecte de métadonnées à la manière du Freedom Act aux Etats-Unis qui fait désormais peser la responsabilité de la collecte et de la conservation des données aux opérateurs d’internet et des télécommunications.
Que sont-ces métadonnées ? La loi de 2013 répond : « Des informations ou documents traités ou conservés par leurs réseaux ou services de communications électroniques, y compris les données techniques relatives à l’identification des numéros d’abonnement ou de connexion à des services de communications électroniques, au recensement de l’ensemble des numéros d’abonnement ou de connexion d’une personne désignée, à la localisation des équipements terminaux utilisés ainsi qu’aux communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, la durée et la date des communications. »
« Républicains » ou socialistes, les sénateurs se mettent largement d’accord sur la surveillance généralisée
Les retouches apportées par les sénateurs français ne changent pas non plus fondamentalement la donne ; même si, en exigeant des autorisations individuelles pour l’investigation de données par « sondes », pendant deux mois et non quatre comme le prévoit le texte de l’Assemblée, la paperasserie s’en trouverait augmentée : en revanche le mode opératoire serait la même.
Les sénateurs ont également modifié le régime des « boîtes noires » – rebaptisées « algorithmes » en modifiant un peu la définition des données qui déclencheraient l’alerte à la faveur du balayage généralisé. Et pour aller plus loin – aspirer les contenus des échanges – les fameuses autorisations seront nécessaires.
Tout cela est justifié au nom de la « lutte contre le terrorisme », mais la loi porte sur le renseignement en général. La manipulation est évidente : voter contre, c’était prendre le risque de se voir accuser de vouloir désarmer la France face à une menace que l’attentat contre Charlie a rendue si « vivante », voter pour, c’est mettre en place la seule riposte efficace. En fait, il s’agit de laisser considérer chaque Français comme un suspect.
La loi sur le renseignement prend prétexte du terrorisme
Riposte efficace ? Voire. Les récentes affaires de terrorisme – de Merah à Charlie – ont montré que la surveillance déjà largement autorisée n’a pas permis d’empêcher des attentats sanglants, ni même le travail de terrain des « services ». Il faut pour cela autre chose : l’attitude politique qui permet de désigner plus clairement l’origine de la menace terroriste, et une volonté politique d’exploiter ce que les services de renseignement savent déjà. Sans quoi, au bout du compte, on se noie dans la surveillance des innocents. Comme le pouvoir sait tout cela aussi bien que quiconque, il faut en déduire que la surveillance des innocents constitue l’objectif de la loi.
Adoptée par l’Assemblée et maintenant par le Sénat, selon la procédure d’urgence qui permet une seule lecture par chambre, la loi va désormais passer devant une commission mixte paritaire de 7 députés et 7 sénateurs qui doivent unifier le texte en vue de son adoption définitive à marches forcées.