Officiellement, en signant le « socle européen des droits sociaux », les pays de l’UE ont voulu mettre fin à ce que les pays de l’ouest de l’Europe qualifient de dumping social et que les pays de l’est du continent appellent la libre concurrence par les salaires pour compenser une moindre productivité héritée du communisme. Il suffit cependant de lire le document du « socle européen des droits sociaux » à partir de sa page 10, c’est-à-dire après un préambule comme toujours long et pompeux, pour se rendre compte que ce document n’est qu’une litanie de généralités qui n’engagent personne. Outre le fait que ce texte n’a officiellement aucune valeur légale, c’est sans doute ce qui explique qu’il a pu être signé sans rechigner par tous les Etats membres. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’a aucune importance.
L’histoire récente de l’Union européenne montre que c’est avec ce type d’accords censés n’engager personne que les eurocrates de Bruxelles arrivent ensuite à justifier de nouvelles ingérences dans la vie démocratique des Etats membres de l’UE. La Charte des droits fondamentaux ne devait s’appliquer qu’au fonctionnement de l’UE et à ses administrations, or aujourd’hui le commissaire chargé du respect de l’état de droit et de la Charte des droits fondamentaux a développé l’argumentation suivante pour s’immiscer dans les affaires intérieures de la Hongrie et de la Pologne : pour que le respect du droit européen soit garanti dans les Etats membres, il faut que l’état de droit et l’indépendance des tribunaux y soient respectés, et le commissaire chargé de faire respecter le droit européen a donc un droit d’ingérence dans tous les domaines du droit des Etats membres de son choix, que ce soit pour interpréter leur constitution ou se prononcer sur le fonctionnement de leur pouvoir judiciaire.
Le « socle européen des droits sociaux » ne mettra pas fin au dumping social, mais il incitera la Commission européenne à se mêler de tout
Il en ira donc de même de ce socle social européen. D’autant plus que l’on y affirme des choses telles que :
« Toute personne a droit à l’égalité de traitement et à l’égalité des chances en matière d’emploi, de protection sociale, d’éducation et d’accès aux biens et aux services offerts au public, sans distinction fondée sur le sexe, l’origine raciale ou ethnique, la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. L’égalité des chances des groupes sous-représentés doit être encouragée ».
« Les femmes et les hommes doivent avoir accès à des congés spéciaux sur un pied d’égalité afin de s’acquitter de leurs responsabilités familiales, le recours équilibré à ces formules de congés devant être encouragé ».
Pire encore, la Commission européenne sera chargée d’évaluer le respect de cette déclaration, et on peut lui faire confiance pour l’interpréter à la mode LGBT, immigrationniste (« L’égalité des chances des groupes sous-représentés doit être encouragée ») et féministe (« le recours équilibré à ces formules de congés devant être encouragé »).
Les institutions de l’UE vont pouvoir étendre au domaine social leurs ingérences dans les affaires intérieures de certains États membres
La résolution adoptée mercredi par le Parlement européen, pour soutenir la Commission européenne dans ses conflits avec la Pologne, montre bien que l’absence de contrainte légale dans un domaine donné n’empêche pas les institutions bruxelloises de faire pression sur les Etats membres qui ne respectent pas les critères libéraux-libertaires de la majorité, en allant jusqu’à les menacer de sanctions.
Le premier ministre polonais Beata Szydło ne s’y est pas trompé quand elle a appelé à Göteborg les dirigeants européens à plus de respect mutuel entre membres de la famille européenne. Dans le même esprit, le Premier ministre hongrois Viktor Orbán a prévenu à Göteborg qu’il n’avait pas l’intention de changer un modèle économique hongrois qui marche. Quant au chancelier allemand Angela Merkel, trop occupée à monter une improbable coalition gouvernementale en Allemagne après la claque électorale du 24 septembre, elle n’avait même pas fait le déplacement en Suède.
Le « socle social européen » a aussi une fonction de propagande
Bien entendu, ce texte a aussi une utilité immédiate : celle de faire croire que l’on se soucie des laissés-pour-compte du Marché unique européen et de la mondialisation. La Commission des Episcopats de la Communauté Européenne (COMECE) semble s’y être laissée prendre, puisqu’elle a salué la proclamation de ce « socle européen des droits sociaux », le qualifiant même de « pas décisif vers l’Economie Sociale de Marché européenne ». Pour une fois, c’est le journal Le Monde qui voyait juste en parlant d’une « Europe sociale restée largement à l’état de slogan ».