Sus au mariage : l’amour de soi dévoyé de la sologamie toujours en vogue

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La sologamie, ce sont presque toujours des femmes qui la pratiquent. Et elles ont beau n’être pas nombreuses, le phénomène est si insolite que psychologues et journalistes s’empressent de s’en faire l’écho et de réfléchir au processus d’une telle démarche qui confine à l’absurde. Un mariage avec soi-même… quelle désespérance ou quelle rébellion cachent une telle détermination ? Narcissisme vicieux ou subi ? Orgueilleux pied-de-nez au patriarcat marital ?

Les quatre profils évoqués par une émission de CNN évoquent, à l’origine, une déception ou une blessure. La volonté de « s’engager pleinement » avec son moi simule une guérison alors qu’il pointe en réalité, et d’une, le vide de la solitude moderne, et de deux, la tromperie contemporaine sur l’amour de soi.

 

Heureux avec et seulement avec soi

Elles expriment leur engagement devant un grand miroir – preuve, déjà, qu’il faut être au moins deux, même en se mentant. Un reportage de CNN, à la fin mai, évoquait le parcours de quatre femmes qui ont décidé de se marier à elles-mêmes, dont une femme de 77 ans et un « coach en image corporelle » obèse qui a dépensé 4.000 dollars pour sa cérémonie de sologamie, devant un petit parterre d’invités.

Quelle est l’idée ? Porter une robe de mariée et un bouquet, accepter sa propre proposition, s’offrir une belle bague tant qu’à faire et partir en voyage de noces solitaires ! Les Japonais, on l’avait vu il y a quelques années dans ces pages, ont parfaitement compris l’enjeu financier, et offrent des packs tout compris à plusieurs milliers d’euros.

Premier degré ? Deuxième degré ?

La première personne à avoir célébré sa sologamie, Linda Baker, une Californienne de 40 ans, en 1993, s’en justifia par un grand sens de l’humour et une envie de faire les choses pour soi sans attendre les autres. Et les médias s’en étaient emparés. Mais le phénomène a pris de l’ampleur, s’est répandu au Canada, aux Etats-Unis, puis en Europe. Et lorsque le « mariage homosexuel » a été légalisé en France, les sologames n’ont pas hésité à faire entendre leur voix, pour obtenir en particulier les mêmes avantages fiscaux qu’un couple marié… (sic). Le très officiel Oxford English Dictionnary a, lui, officialisé en 2022 le terme de « sologamie ».

 

La sologamie n’évince pas le mariage

Des femmes qui souhaitent, in fine, rester célibataires, il y en a eu de tout temps. Mais le processus est là tout différent, car ces sologames ne tournent pas le dos à l’éventualité d’une rencontre ! Elles ne renoncent pas à l’idée d’un futur conjoint potentiel. Pour preuve, deux des quatre femmes dans l’émission de CNN se sont mariées peu après (après avoir décalé d’un doigt la première bague, cadeau de « elle à elle »…).

Avec ces « mariages » en solo, elles se tournent vers elles-mêmes dans ce qu’elles appellent « une expression symbolique de l’amour-propre », fruit d’un travail intérieur, souvent chapeauté par un suivi psychologique. Elles y voient une consécration, celle de la guérison de traumatismes divers et variés, d’un problème d’estime de soi, celle de la revanche sur une vie maritale malmenée… dans la droite ligne du fameux « développement personnel » dont on nous rebat les oreilles.

Ça plaît beaucoup aux psychologues : « Ce qui me frappe dans cette tendance, c’est que de plus en plus de gens réalisent qu’ils doivent assumer la responsabilité de leur propre bonheur – qu’ils peuvent avoir une vie satisfaisante et pleine de sens sans être en couple », explique John Amodeo, thérapeute, et auteur de Dancing with Fire : A Mindful Way to Loving Relations.

 

Amour de soi, amour des autres, amour de Dieu

Il parle d’une forme saine de narcissisme. Sans amour-propre, explique-t-il, les gens dépendent des autres pour se sentir dignes et précieux : « Nous avons alors constamment besoin de la validation des autres pour combler notre vide intérieur. » La remarque est intéressante dans le sens où l’on s’aperçoit à quel point la société moderne de l’individualisme roi, à travers la jouissance égoïste, a poussé, paradoxalement, les gens à ne plus s’aimer eux-mêmes, de manière vraie. Alors qu’elle prétendait faire l’inverse.

Les sologames tentent de réparer ce manque en s’aimant davantage. Mais leur amour-propre n’a pas évolué, recelant toujours la présomption folle de pouvoir tout trouver en soi, de ne rien devoir à autrui, et encore moins à Dieu. Il tourne au narcissisme qui est un amour-propre dévoyé, un désordre de l’âme. Nous n’avons pas à nous aimer pour nous-mêmes. Nous avons le devoir de nous aimer, parce que nous avons été créés à l’image de Dieu, parce que Dieu nous aime, et que nous haïr reviendrait à haïr l’œuvre divine. Nous aimer, oui, mais en vue de coller à cette ressemblance. Et c’est aussi par là que nous aimons autrui : l’amour de soi est la racine de l’amour du prochain, dit la doctrine augustinienne.

Après, le fait que les médias se ruent tant sur ce genre de phénomène, c’est qu’il participe, même malgré lui, aux attaques contre l’union naturelle d’un homme et d’une femme et à la dévaluation du mariage. Avec la sologamie que certains rapprochent fatalement de « l’autosexualité », ils pourraient rajouter une lettre de plus au fourre-tout extra-ordinaire du lobby LGBTQIA+…

 

Clémentine Jallais