Sommet de Malte sur les migrants : les impuissances européennes

Sommet Malte Migrants impuissances européennes
Des habitants et des secouristes viennent en aide à des migrants après leur naufrage au large de l’île de Rhodes (Grèce), le 20 avril 2015.

 
Alors que la Suède vient, à son tour, de rétablir provisoirement les contrôles aux frontières afin de gérer le flux ininterrompu de migrants qui « menace l’ordre public », les dirigeants européens se réunissaient jeudi à La Valette, capitale de l’île de Malte, pour examiner, une nouvelle fois, les mesures à envisager, et convenir de se réunir bientôt pour un nouveau sommet, avec notamment le président turc. Quand on se réunit pour dire qu’il faudrait se réunir, on finit surtout par souligner les impuissances européennes sur ce dossier.
 
L’Union européenne est engagée, a déclaré le président du Conseil européen Donald Tusk, dans une « course contre la montre » pour sauver l’espace Schengen, et mettre en place un contrôle renforcé des flux migratoires à ses frontières extérieures.
 
Première décision prise par les dirigeants européens, celle d’inviter prochainement le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à un sommet, fin novembre ou début décembre, afin d’examiner les moyens d’enrayer ce flot de migrants qui déferle vers l’Union européenne. Malgré l’urgence affichée, la date n’a pas été fixée, le président français François Hollande ayant récusé la date du 22 novembre avancée par le numéro deux de la Commission européenne, Frans Timmermans, chargé des négociations avec Ankara. Trop près de la COP21 sans doute…
 

Sommet de Malte sur les migrants

 
La question d’une solution turque n’est pas sans poser de sérieux problèmes, et divise donc les dirigeants européens. La cause en est, au premier chef, les revendications grandissantes d’Ankara pour accepter de suivre les demandes de Bruxelles sur ce dossier.
 
Concernant le volet économique, qui a été fortement discuté à La Valette, la Commission européenne a proposé d’accorder à la Turquie une subvention de trois milliards d’euros sur les deux prochaines années afin de s’occuper des deux millions de réfugiés syriens actuellement sur son sol. Selon la répartition envisagée par elle, cinq cents millions proviendraient du budget de l’Union européenne, et le reste des vingt-huit Etats-membres, au prorata de leur richesse nationale.
 
On comprend que certains pays, dont l’économie est en panne depuis de longs mois, aient tiqué. Mais à Berlin, le vice-chancelier Sigmar Gabriel a déclaré que l’Allemagne financerait seule cette aide à la Turquie si les pays de l’Union n’arrivaient pas à se mettre d’accord : « Si les Européens ne peuvent assurer qu’une partie du projet, je juge raisonnable que l’Allemagne consente à faire une avance ou qu’elle paye elle-même. »
 

Le cumul des impuissances européennes

 
A suivre. Car, quoi qu’il en soit, ce recours turc pose également un problème turc. Si le premier ministre grec Alexis Tsipras, dont le pays est directement à la porte de l’Anatolie, « il est évident que la seule chance de stopper ce flot, c’est de parvenir à un accord avec la Turquie ».
 
Une évidence qui n’a pas eu l’heur de frapper l’ensemble de ses pairs. Ainsi le premier ministre hongrois Viktor Orban a-t-il manifesté quelques doutes quant à l’intérêt politique de cette démarche. « Nous ne voulons pas, a-t-il clairement affirmé, nous asseoir pour des discussions avec les Turcs en leur laissant penser qu’ils sont notre dernière chance pour nous sauver. »
 
Quelle qu’en soit la date, le sommet annoncé risque fort de n’être pas de tout repos…
 
Deuxième décision prise jeudi, au cours d’une réunion avec les représentants de pays africains, celui de lancer un fonds pour aider l’Afrique à lutter contre les « causes profondes » des migrations. Bruxelles a d’ores et déjà mis sur la table 1,8 milliard d’euros afin de financer des projets destinés à freiner les arrivées d’Africains sur le Vieux Continent. Et elle exhorte les Etats-membres à y ajouter leurs propres contributions pour doubler la mise.
 
Mais les promesses des pays européens n’ont atteint, pour l’heure, qu’un total de quelque 78 millions d’euros. C’est « loin d’être suffisant », a estimé jeudi le président nigérien Mahamadou Issoufou, qui se faisait l’écho de plusieurs de ses homologues.
 

Payer pour calmer les Africains ?

 
Il est vrai qu’il faudra davantage pour fléchir des pays africains agacés de l’insistance européenne pour renvoyer chez eux davantage de migrants irréguliers. Les migrants africains vers l’Europe « ne sont pas aussi nombreux qu’on le dit. Pourquoi toute cette énergie sur les migrants africains ? », s’est ainsi interrogé le président sénégalais Macky Sall. « On ne peut pas insister à réadmettre les Africains chez eux pendant qu’on parle d’accueillir les Syriens et d’autres. C’est un traitement différencié que nous condamnons, parce que c’est discriminatoire », a-t-il ajouté, montrant que les Africains sont désormais passés maîtres dans l’usage de la dialectique par laquelle les Européens se sont interdits tout moyen de répondre !
 
Sûrs de la justesse de leur position, les représentants africains en ont profité pour demander un renforcement de l’immigration légale vers l’Europe, qui constitue, pour nombre de leurs pays, une nécessité économique. Jusqu’au jour, sans doute plus très lointain, où l’économie européenne ne sera plus qu’un souvenir…
 
On comprend que plusieurs Etats-membres de l’Union européenne n’apprécient que modérément la gestion bruxelloise de la crise migratoire. Au point que la Pologne n’avait même pas fait le déplacement de Malte. En cause, assure-t-on, un défaut de communication entre le président polonais Andrzej Duda et le premier ministre sortant Ewa Kopacz.
 
Mais pourquoi se seraient-ils déplacés ? La Pologne ne partage en rien aujourd’hui la vision européenne, notamment dans ce dossier. Et, comme le soulignait Ewa Kopacz, son point de vue y était défendu par le premier ministre tchèque Bohuslav Sobotka…
 

François le Luc