Alors que les bourses de Shanghai et de Shenzen ont dévissé sérieusement il y a une dizaine de jours pour atteindre un plus bas historique depuis 13 mois, le milliardaire « philanthrope » Georges Soros a déclaré jeudi dernier, en marge du Forum Economique Mondial, que l’économie chinoise connaîtra un atterrissage brutal qui accentuera la pression déflationniste au niveau mondial, entraînant la chute des actions et la valorisation des obligations du gouvernement américain. Le chantre de la haute finance américaine, accoutumé aux paris risqués et qui a fait « sauter la banque d’Angleterre » en 1992, serait-il tenté par une attaque contre le yuan et le dollar de Hong Kong ? S’il reste évasif à ce sujet, faisant simplement observer que la Chine a les moyens de juguler cette crise avec ses 3.000 milliards de dollars de réserve et une grande latitude politique pour effectuer les réformes nécessaires, le régime communiste de Pékin ne l’entend pas de cette oreille et met en garde les spéculateurs invétérés, par organe de presse interposé, contre toute tentative en ce sens.
La Chine communiste dans la tourmente des marchés
L’état de santé de la deuxième économie mondiale inquiète une bonne part des économistes de la planète entière. Les chiffres de la croissance chinoise, pour le quatrième trimestre, montrent un très net ralentissement. Selon les chiffres officiels, elle n’atteint que 6,8 % pour cette période, ramenant le taux de croissance annuel à 6,9 % pour 2015, soit le taux de croissance le plus faible de ces 25 dernières années.
Pékin se retrouve donc sous pression afin de restaurer la confiance des investisseurs échaudés par les « dérapages » du gouvernement, dont les décisions ont secoué les marchés financiers du monde entier. Dans ce contexte tourmenté, les médias officiels chinois jouent leur rôle à plein, assurant que les fondamentaux restent sains en dépit d’une moindre croissance, de la volatilité des marchés financiers chinois et de la relative dépréciation du yuan vis-à-vis du dollar.
C’est aussi dans cette optique qu’ils défient Georges Soros de parier contre le yuan et le dollar de Hong Kong, alléguant qu’un tel pari « n’a que peu de chances de réussir », à en croire la tribune de l’édition internationale du People’s Daily. L’agence de presse Xinhua titrait même le week-end dernier que « les spéculations inconsidérées et les ventes à découvert agressives subiront des coûts de transaction majorés, et des conséquences juridique qui pourront être sévères ».
Georges Soros spéculerait bien contre le yuan
Le spéculateur multimilliardaire aussi avisé que rusé ne partage pas l’avis des organes officiels, ni celui des experts des marchés qui expriment leur confiance dans l’économie chinoise. Convaincu que la crise économique chinoise retentira indirectement sur l’ensemble des économies mondiales, Georges Soros a déclaré parier sur la baisse du S&P500, contre les pays producteurs de produits de base et contre les monnaies asiatiques.
Il est vrai que l’ex-dirigeant de fonds spéculatifs a toujours fait preuve de lucidité, l’expérience en la matière parlant pour lui : n’a-t-il pas mis à genoux la Banque d’Angleterre en 1992, en pariant contre la livre sterling et en empochant un milliard de dollars net à cette occasion ? Selon lui, la croissance économique chinoise s’établirait de manière plus réaliste à 3,5 %. Il ajoute que le poids insoutenable de la dette et la fuite des capitaux – environ 843 milliards de dollars selon les estimations du Bloomberg Institute – sont les signes avant-coureurs d’un ralentissement économique brutal. Conjugué à un prix du pétrole bas et à des dévaluations concurrentielles des devises, le ralentissement économique chinois augmente le risque déflationniste à l’échelle mondiale.
La Chine veut prévenir l’attaque et avertit Soros contre toute spéculation contre le yuan
La rhétorique défensive de Pékin semble avoir joué dans le sens espéré selon un rapport de Bloomberg Business qui soulignait la stabilisation du yuan hors Chine. La presse financière internationale et les experts des marchés ont également exprimé leur confiance dans la détermination de Pékin à défendre sa monnaie, et dans sa capacité à y réussir.
Pour Sean Callow, stratège en opérations de changes chez Westpac Banking Corp à Sidney, « il pourrait y avoir quelques entorses supplémentaires aux limitations de flux de capitaux, mais à court terme, les principaux outils utilisés seront vraisemblablement de l’ordre des corrections stables agrémentées d’interventionnisme ». Pour Simon Wang, directeur financier chez Guoyuan Securities, « la restauration de la stabilité des marchés est devenue une question de volonté nationale ». La fermeté affichée par le gouvernement en la matière augure d’un bras de fer tendu avec les tenants d’un positionnement baissier. « La Chine ne plaisante pas du tout à propos de ce qu’elle peut faire à l’encontre des traders », note l’éditorialiste financier de Business Insider à propos des menaces brandies dans la tribune publiée par Xinhua.
Le disciple du philosophe anti-communiste Karl Kopper et de la London School of Economics réussira-t-il son pari face à Pékin ? Le match entre la haute finance et le communisme n’est pas terminé – mais c’est bien un jeu qui se joue délibérément à deux.