En Tchétchénie, Poutine a embrassé le Coran

Tchétchénie Poutine embrassé Coran
 

Ainsi donc, flanqué de Ramzan Kadyrov et du mufti de la République tchétchène, Salah-Hadzhi Mezhiev, Vladimir Poutine a embrassé le Coran… Le président russe était en visite de travail impromptue cette semaine en Tchétchénie pour « inspecter » et encourager les volontaires de ce pays qui s’entraînent actuellement à l’université des Forces russes spéciales à Goudermes afin de se rendre sur le front en Ukraine, prenant la suite des 47.000 Tchétchènes déjà envoyés depuis le début de la guerre, dont quelque 19.000 volontaires. « Tant que nous avons des hommes comme vous, nous sommes absolument, absolument invincibles », a-t-il lancé.

Mais Poutine a également rendu visite à la capitale Grosny où il a inauguré la nouvelle mosquée du Prophète Issa, celui dont on nous explique qu’il s’agit du « prophète Jésus » dans l’islam, mais qui est en fait, dans le Coran, le fils de Myriam, sœur de Moïse et d’Aaron, et non Yeshoua, fils de Dieu, né de la Vierge Marie dont les parents sont Anne et Joachim…

C’est à cette mosquée que Poutine a offert en cadeau un précieux Coran doré et incrusté de pierres précieuses. Selon le site grozny-inform.ru, après avoir ouvert le Coran, le mufti de la République tchétchène a lu le verset ci-dessous en arabe, puis l’a traduit pour le dirigeant russe : « Si vous visez, alors Allah Tout-Puissant vous aidera à atteindre votre objectif. » Et Kadyrov d’ajouter : « Nous ne pouvons pas être vaincus ! »

 

Poutine courtise l’islam en Tchétchénie

Mais si le site officiel du Kremlin a fait référence à l’événement en publiant quelques photos, le baiser que déposa Poutine sur Coran à la suite de ces paroles n’y est pas évoqué. C’est le site grozny-inform qui a publié une vidéo de cette vénération du « livre incréé » de l’islam par Poutine si prompt par ailleurs à se mettre en scène comme orthodoxe. On y voit le président russe se saisir du Coran et l’embrasser avec de le tenir contre lui, tout en « remarquant la beauté des saintes écritures », toujours selon le site grozny-inform.

On dira que d’autres l’ont fait avant lui… Mais en l’occurrence, outre que la Russie a aujourd’hui cruellement besoin d’hommes pour sa guerre en Ukraine, il faut bien comprendre que les liens de Poutine avec l’islam s’inscrivent dans une politique délibérée. La « multipolarité » qu’il vante passe par une reconnaissance des « droits » des religions traditionnelles là où elles dominent des régions dans le monde ; l’islam en fait partie. Mais dans sa version « restructurée », compatible avec le relativisme religieux moderne et traquant l’« extrémisme ».

Ainsi, « une conférence sur l’islam s’était tenue à Grozny en Tchétchénie du 25 au 27 août 2016, en présence de plusieurs centaines de “savants” islamiques venant d’Egypte, de Russie, de Syrie, du Soudan, de Jordanie et de l’Europe, mais aussi de Vladimir Poutine et du président-maréchal al-Sissi d’Egypte. Peu répercuté par les médias, l’événement était en réalité d’une grande importance puisqu’il démontait l’implication de la Russie dans la volonté de créer un islam “compatible” avec le relativisme moderne, ce qui passe nécessairement par la réinterprétation du Coran. Et plus largement, la restructuration de l’islam », écrivions-nous alors.

 

Poutine embrasse le Coran – et cela n’a rien d’étonnant

Ce relativisme religieux servi par le « dialogue interreligieux » implique fortement la Russie à travers les congrès des responsables des religions mondiales et traditionnelles au Kazakhstan, dont l’initiative avait été prise en 2003 par Noursoultan (ou Nursultan) Nazarbeïev, membre du parti communiste depuis ses 22 ans en 1962 alors que son pays faisait partie de l’URSS. Il en fut premier ministre en 1984, puis y devint chef du PC en 1989 et président du Soviet suprême en 1990 avant d’être recyclé comme premier président du Kazakhstan après la « chute du communisme » dont on perçoit les limites dans cette continuité de pouvoir. Nazarbeïev y resta accroché jusqu’à sa démission en 2019, ayant entre-temps présidé à la construction de la capitale aux monuments les plus évidemment inspirés de la maçonnerie du monde entier, Astana, et favorisé l’écoute et le dialogue entre toutes les religions sur un plan d’égalité. Bien entendu, ces congrès d’Astana sont toujours fréquentés par des représentants de l’orthodoxie russe et de l’islam de Russie – y compris lors du 7e congrès en 2022, que le pape François, cosignataire de la Déclaration sur la Fraternité humaine, honora lui aussi de sa présence…

En mai dernier, avec le souci de s’assurer la loyauté de l’importante minorité musulmane de la Fédération de Russie (soit 15 % de la population, majoritairement sunnites), la Russie de Poutine organisait la XVe édition du Forum de Kazan pour la coopération avec le monde islamique, lancé en 2009. Non content de promouvoir la bonne entende avec les musulmans, cette édition aura été marquée par la recherche de liens renforcés avec l’Organisation de la Coopération islamique qui œuvre à la consolidation de la « solidarité islamique ». Tout cela s’inscrit dans la vision eurasiste pluriethnique et pluri-religieuse qui s’accommode tout aussi bien du chiisme puisque les liens entre la Russie et l’Iran sont forts et incontestables.

 

Quand Poutine dénonçait l’« islamophobie » de l’Occident

Sans doute la Russie réprime-t-elle islamisme politique et djihadisme, voulant voir en l’islam (à l’instar de l’approche des gouvernements occidentaux !) une simple religion et non son caractère éminemment politique.

Quand Poutine embrasse le Coran, son acte n’a en réalité rien de surprenant : il se comprend à travers la double réalité du besoin d’alliés en temps de guerre et d’une idéologie fondamentalement relativiste sur le plan religieux, comme nous le soulignions notamment ici.

Cela prend parfois des tournures surréalistes : recevant en octobre dernier les représentants de différentes communautés religieuses au Kremlin, Poutine leur assurait ainsi que l’Occident fomente l’islamophobie et utilise les « armes » de la « haine religieuse » pour « diviser et régner » afin d’entraver la mise en place de la multipolarité dans le monde.

Il accusait même : « En Europe, on ferme les yeux sur les blasphèmes et les actes de vandalisme visant des sanctuaires musulmans. » Et ce alors que la majorité des actes de haine antireligieuse en Europe frappent des églises et des chapelles chrétiennes, dans une grande indifférence des pouvoirs publics, et que le moindre tag sur une mosquée en France mobilise au minimum un ministre…

Poutine, rempart du monde chrétien face à l’islam ? Il faudrait être fou pour y croire.

 

Jeanne Smits