La Chine ne manque jamais une occasion de vanter les mérites du libre-échange mondial et en réclame volontiers le bénéfice. Mais en fait de libre-échange, elle bénéficie d’une liberté assortie d’avantages multiples, notamment par le biais des dispositions de la « plupart » des traités environnementaux internationaux, qui faussent radicalement le jeu de la concurrence à l’égard de ses partenaires supposément égaux, ainsi que le rappelle un rapport publié mercredi par le Competitive Enterprise Institute, un think tank américain qui milite pour l’allégement du carcan règlementaire et le respect de la propriété privée aux Etats-Unis – et la liberté d’entreprendre qui va avec.
Libre de toute subvention et de tout contrat public, le CEI fournit des études et mène des combats judiciaires destinés à contester la constitutionnalité de règles qui pèsent par trop sur l’activité économique. Dans son enquête sur la Chine, elle montre comment les contraintes écologiques imposées aux Etats-Unis et à l’ensemble des pays développés ont doté la Chine de privilèges dont l’effet d’aubaine est visible à l’œil nu : toute communiste qu’elle est, elle est devenue la deuxième économie mondiale en termes de PIB, et la première pour les volumes exportés.
Le secret de l’avantage concurrentiel de la Chine réside dans son classement persistant en tant que « pays en développement ». Celui-ci l’exonère de nombreuses obligations qui pèsent en revanche sur les pays développés, qui non seulement font face à des coûts de production plus élevés pour rester ou se mettre en conformité avec les objectifs « durables » imposés notamment par les traités de l’ONU, mais qui doivent également financer les efforts en ce sens – beaucoup moins contraignants – fixés pour les pays en développement.
Un rapport du Competitive Enterprise Institute dénonce l’avantage concurrentiel de la Chine
Le rapport du CEI, signé Ben Liebermann, ne va pas jusqu’à dire que les traités si désastreux pour les Etats-Unis et l’Occident en général ont été conçus à cette fin, ni que le « développement durable » inscrit dans les ODD des Nations unies vise précisément à redistribuer la richesse mondiale comme n’importe quel programme socialiste – seulement là, c’est à l’échelle mondiale. Mais il décrit la situation telle qu’elle est, et met en exergue l’avantage consenti depuis des décennies à la Chine communiste, avec la complicité, comprend-on, des administrations américaines successives.
Voilà qui met à mal le discours sur l’hégémonie américaine et occidentale si répandu de nos jours : bien trop simpliste, puisqu’il passe sous silence le fait que les Etats-Unis et l’Occident en général ont lourdement favorisé l’émergence de la Chine comme grande puissance.
Liebermann écrit ainsi : « Lors de ses délibérations de septembre 2022 sur la ratification d’une disposition du traité des Nations unies appelée “amendement de Kigali”, le Sénat américain a fait savoir qu’il en avait finalement assez de ce marché déloyal. Il a ratifié la disposition du traité, mais en y ajoutant l’obligation pour le département d’Etat de demander à l’ONU de reclasser la Chine parmi les pays développés. »
L’amendement de Kigali fait référence à une renégociation du protocole de Montréal de 1987 sur les substances qui appauvrissent la « couche d’ozone » – dont on parlait avant d’avoir inventé la nocivité du CO2. Ce protocole visait à l’origine une catégorie de composés appelés chlorofluorocarbones (CFC, ou fréon, largement utilisé alors comme réfrigérant). On en organisait le remplacement par des hydrofluorocarbures (HFC) dans les nouveaux équipements de climatisation et de réfrigération et dans de nombreux processus industriels.
Couche d’ozone, CO2 : les traités environnementaux avantagent la Chine
A cette époque, la Chine, désignée par l’ONU comme pays en développement, était désignée par l’article 5 du protocole comme bénéficiant d’une « attention particulière » : traduisez, elle ne subissait pas les mêmes contraintes que les pays développés.
Le rapport du CEI explique : « Des décennies plus tard, le champ d’application du protocole de Montréal a été élargi. Bien que les HFC aient été initialement salués comme des alternatives écologiques aux CFC, ils ont ensuite été considérés comme contribuant au changement climatique. Lors d’une réunion du protocole de Montréal qui s’est tenue en octobre 2016 à Kigali, au Rwanda, un amendement a été ajouté au protocole de Montréal afin d’éliminer progressivement les HFC. »
Les obligations des pays développés étaient alourdies – il fallait encore changer de système, mais le traitement favorable accordé à la Chine et à d’autres pays en développement désignés dans le cadre du protocole de Montréal initial ont continué de s’appliquer dans le cadre de l’amendement de Kigali. Comme si personne n’avait constaté qu’en quarante ans, le statut de la Chine avait considérablement évolué…
A l’heure de la ratification constitutionnelle de l’amendement de Kigali par le Sénat américain en 2022, le CEI s’est mobilisé pour faire changer cet état de choses. Mais « de nombreuses entreprises à la recherche d’avantages – au premier rang desquelles les grands producteurs de produits chimiques qui ont breveté une série de substituts coûteux aux HFC – ont trouvé une cause commune avec les défenseurs de l’environnement en soutenant la répression mondiale de ces produits chimiques », affirme aujourd’hui le CEI.
Les traités environnementaux font payer des millions de dollars à la Chine par l’Occident
Celui-ci avait notamment fait observer lors de sa campagne auprès du Sénat américain : « Les pays en développement se sont vu accorder une décennie supplémentaire pour réduire progressivement leur production de HFC, de sorte que la Chine disposera encore d’approvisionnements abondants pour son usage domestique longtemps après les Etats-Unis. En outre, la Chine et d’autres pays en développement pourront bénéficier d’une aide financière des Nations unies par l’intermédiaire d’un fonds multilatéral spécial créé dans le cadre du protocole de Montréal et applicable à l’amendement de Kigali. Les Etats-Unis sont le principal contributeur à ce fonds. »
Ben Liebermann constate aujourd’hui : « En vertu de l’amendement de Kigali, la Chine gagne sur les deux tableaux : elle peut continuer à produire en masse et à utiliser des HFC moins chers sur son territoire pendant des années après que l’approvisionnement aura commencé à se tarir aux Etats-Unis, y compris à travers leur utilisation dans des processus industriels qui lui donnent un avantage déloyal par rapport à ses concurrents américains. Dans le même temps, la Chine recevra des millions de dollars d’aide financière des Etats-Unis et d’autres pays développés pour l’aider à se conformer à l’amendement de Kigali. »
Le Sénat avait néanmoins voté par 69 voix contre 27 la ratification de l’amendement de Kigali, mais en y ajoutant un amendement inédit, dit Sullivan-Lee, et adopté à l’unanimité exigeant que le statut de la Chine en tant que pays en développement soit remis en question, par le jeu d’une demande du Département d’Etat auprès de l’ONU.
Que s’est-il donc passé depuis lors ? Le rapport du CEI détaille : « La 35e réunion des parties au protocole de Montréal s’est tenue à Nairobi, au Kenya, du 23 au 27 octobre 2023. Il s’agissait de la première réunion de l’ONU où la demande des Etats-Unis de modifier le statut de la Chine était à l’ordre du jour. Aucun progrès sur la question n’a été signalé, et la Chine a même vivement protesté contre l’idée d’en discuter. Les parties se sont accordées sur une reconstitution du Fonds multilatéral d’un montant record de 965 millions de dollars pour les trois prochaines années, les Etats-Unis devant contribuer à hauteur d’environ 20 % de cette somme. »
La Chine s’accroche au statut de pays en développement avec une énergie qui en illustre l’importance
Autrement dit, rien ne change ; au contraire, la Chine s’accroche au statut qui l’avantage si fortement et selon le CEI, « il y a de nombreuses raisons de penser que le département d’Etat n’est pas enclin à poursuivre de manière agressive la reclassification de la Chine ». « Après tout, poursuit le rapport, l’inadéquation du statut actuel de la Chine en tant que pays en développement est manifeste depuis un certain temps, mais le département d’Etat n’a jamais cherché à soulever la question de son propre chef lors d’une réunion antérieure du protocole de Montréal, jusqu’à ce qu’il y soit contraint par l’amendement Sullivan-Lee. »
Qu’il s’agisse là d’une expression de la volonté de l’administration américaine se constate dans les explications de son représentant : « Interrogé à ce sujet lors d’une audition sur l’amendement de Kigali devant la commission sénatoriale des affaires étrangères le 6 avril 2022, le secrétaire d’Etat adjoint John Thompson s’est efforcé de minimiser l’importance du statut de pays en développement de la Chine. “Nous ne pensons pas que cela leur donne un avantage concurrentiel”, a-t-il déclaré, estimant que les HFC deviendront bientôt obsolètes au profit de substituts fabriqués aux Etats-Unis et que le ralentissement de la réduction des HFC pour les pays en développement n’a donc pas d’importance », rapporte Ben Liebermann.
« En définitive, il est peu probable que le département d’Etat fasse vigoureusement pression pour que la Chine soit reclassée, auquel cas la demande restera probablement lettre morte aux Nations unies », estime ce dernier.
Le cas de l’amendement Kigali n’est qu’une illustration particulière de l’avantage concurrentiel dont la Chine bénéficie par le truchement de l’ONU et la léthargie de l’exécutif américain. La situation est identique en ce qui concerne la CCNUCC de 1992, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques qui impose la réduction des gaz à effet de serre.
Avantage à la Chine : une constante des traités de libre-échange
Le même schéma se répète : en 1992, on pouvait arguer que la Chine était en effet un pays « en développement » (même si l’intégration d’un pays communiste bénéficiant d’une main d’œuvre esclavagisée dans le cadre libre-échangiste de l’OMC allait fatalement, à travers ses avantages concurrentiels, lui permettre de prendre le pas sur beaucoup de concurrents « développés » et conduire à leur désindustrialisation), mais cela ne peut être sérieusement soutenu aujourd’hui.
En tout cas, depuis 1992, les émissions de CO2 de la Chine ont été multipliées par quatre et elle est aujourd’hui « le premier émetteur mondial, et de loin », rappelle le CEI.
Qui constate : « Dans le cadre de la CCNUCC, l’administration Biden a engagé les Etats-Unis à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 à 52 % d’ici à 2030 et à parvenir à zéro émissions nettes d’ici à 2050. En revanche, la Chine s’est engagée à atteindre son pic d’émissions de GES au plus tard en 2030 (ses émissions de GES peuvent donc continuer à augmenter jusqu’à cette date) et à parvenir à zéro émissions nettes au plus tard en 2060. La Chine peut également bénéficier de l’aide financière offerte aux pays en développement dans le cadre de plusieurs programmes de la CCNUCC, tous financés par les Etats-Unis (c’est-à-dire les contribuables américains) et d’autres pays développés. »
Avantage gigantesque, si l’on considère que « le dioxyde de carbone est le sous-produit omniprésent de la combustion du charbon, du pétrole et du gaz naturel, qui fournit 80 % de l’énergie mondiale ». « L’impact économique de la CCNUCC est donc bien plus important que celui de l’amendement de Kigali, tout comme l’avantage concurrentiel dont bénéficie la Chine en raison de son accès relativement illimité au charbon à bas prix, conséquence de son statut de pays en voie de développement », note le CEI.
La conclusion que celui-ci en tire est à retenir : « Même si l’on peut sérieusement douter que les réductions d’émissions de GES dans le cadre de la CCNUCC aient des effets bénéfiques réels, les charges disproportionnées liées à la réalisation de ces réductions donneront incontestablement un avantage économique à la Chine par rapport aux Etats-Unis. »
Le CEI ne va pas jusqu’à dire que c’était le but recherché. Mais en attendant, il semble acquis que ni l’ONU, ni le gouvernement américain ne semblent vouloir mettre en œuvre le processus exigé par l’amendement Sullivan-Lee – bien tardif en vérité –, qui demande au fond une simple égalité de traitement. Contre laquelle la Chine se défend bec et ongles.