La Turquie ne veut pas se contenter de moins que l’adhésion pure et simple à l’UE

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Le secrétaire d’état turc aux Affaires européennes, Selim Yenel, l’a répété ce week-end, mais aussi le président Recep Tayyip Erdogan lui-même, vendredi en France, dimanche en Italie : la Turquie ne se contentera pas d’un partenariat, elle veut l’adhésion pleine et entière à l’Union Européenne. Alors même qu’elle n’arrive pas à remplir les derniers critères imposés par cette dernière pour la libéralisation des visas et la mise à jour de l’union douanière, tout cela paraît un peu fort. Mais c’est à l’image de la provocante Turquie, qui a dit oui aux millions de migrants, pour forcer l’entrée dans l’union rêvée…
 

Un quelconque partenariat avec l’UE ne convient pas à Erdogan

 
« Ils nous ont offert un partenariat, nous ne l’acceptons pas ; jusqu’à aujourd’hui, les négociations d’adhésion ont été bloquées pour des raisons politiques, la Turquie n’accepte pas cette approche qui empoisonne les relations avec l’UE » a déclaré Selim Yenel, lors d’un colloque organisé ce week-end à Istanbul.
 
« Nous avons satisfait à presque tous les 72 critères requis » pour la mise à jour de l’union douanière et la libéralisation des visas. Mais pour ce qui est des lois antiterroristes turques sur lesquelles s’arc-boute l’UE, Selim Yenel, tout comme le ministre turc des affaires étrangères il y a quelques jours, a renvoyé les dirigeants européens à leurs propres dispositions sécuritaires antiterroristes…
 
« La Turquie est un partenaire stratégique pour l’Europe et le seul pays démocratique de la région (…) Nous avons besoin l’un de l’autre ». En bref, 2018 doit être l’année de la reprise des bonnes relations. Entendez : l’Europe doit baisser sa garde.
 
Dans une interview à la Stampa, dimanche, Erdogan a fait une déclaration du même métal, soulignant que l’Europe « doit tenir les promesses faites à la Turquie ». Il la désigne fautive dans l’absence de progrès sur les négociations. « Nous désirons une pleine adhésion à l’Europe. D’autres options ne nous satisfont pas ».
 

Halte à l’appel européen au réalisme : place à l’adhésion

 
C’est le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel qui avait mis une nouvelle fois les pieds dans le plat en déclarant que Bruxelles devrait chercher de nouvelles façons de traiter avec Ankara, des moyens « alternatifs » de créer une coopération et des partenariats plus étroits avec la Turquie et l’Ukraine, car les deux pays ne rejoindront probablement pas le bloc de 28 membres dans un avenir prévisible.
 
Emmanuel Macron, chez nous, lui avait emboîté le pas en déclarant lui-même à Erdogan, lors de la visite du dirigeant turc à Paris vendredi dernier, que les « évolutions récentes » en Turquie dans le domaine des droits de l’homme excluaient toute « avancée » dans les négociations d’adhésion de ce pays à l’UE. Qu’un simple « partenariat » serait déjà souhaitable.
 
Marc Pierini, chercheur à Carnegie Europe et ancien ambassadeur de l’UE en Turquie, évoque tout de go une « rétrogradation de la relation » : on est passé « de deux alliés politiques à deux partenaires qui coopèrent sur un certain nombre de dossiers comme la lutte antiterroriste, le commerce et les réfugiés ».
 

Combien de jokers pour la Turquie ?

 
Autant de mots et de perspectives qui chiffonnent Erdogan. Pourtant, la libéralisation des visas promise à la Turquie lors de l’accord sur les réfugiés de mars 2016 entre Ankara et Bruxelles et la mise à jour de l’union douanière turco-européenne proposée par la Commission en décembre 2016, sont bien en cours de négociations. Le représentant de l’UE à Ankara, Gabriel Munera-Vinals y voit un bon début de processus global.
 
Mais ces carottes sont décidément trop petites pour le président turc. Ou, plutôt, ne les voyant pas assez rapidement advenir, il demande le niveau supérieur pour obtenir les échelons inférieurs…
 
Car il sait être dans une impasse : dans la liste de 72 critères pré-requis pour ces offres européennes, sept d’entre eux demeurent non atteints, en particulier la modification des lois antiterroristes que Ankara refuse de façon décidée. Il continue d’ailleurs de faire ce que bon lui semble en Syrie, comme le témoigne le lancement de l’opération « Rameau d’olivier », le 20 janvier, qui vise à éradiquer de l’enclave syrienne d’Afrine les Unités du peuple (YPG), accusées d’être la branche syrienne du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), classé terroriste par Ankara.
 
Des jokers, il lui en reste néanmoins, comme celui des migrants. Depuis mars 2016, la Turquie retient, selon l’accord turco-européen, les migrants que l’UE préfère ne pas voir en trop grand nombre à ses portes. Le nombre de ces réfugiés en Turquie dépasse les 3,7 millions de personnes, soit la plus vaste population de réfugiés dans un seul pays au monde. Et le chef de l’État n’a pas manqué de le rappeler à la Stampa dimanche : « Nous avons un rôle important à jouer pour arrêter les migrants qui de l’Orient se dirigent vers l’Europe, et aussi pour garantir la stabilité et la sécurité de l’Europe ».
 
Mais il reste évidemment le plus intéressé à l’adhésion, à tous niveaux.
 

Clémentine Jallais