Si le symposium sur l’extinction biologique de l’Académie pontificale des sciences s’est déroulé à huis-clos, l’intervention conjointe de Paul Ehrlich et de Partha Dasgupta est pour sa part connue, du moins dans sa version de travail, puisqu’elle a été confiée à Environmental Health News par les auteurs et publiée avant l’ouverture des conférences. C’est un document doublement intéressant : d’une part, il révèle ce qui peut se dire tranquillement aujourd’hui devant une institution pontificale, par des ennemis déclarés de la vie et de l’enseignement traditionnel de l’Eglise. D’autre part, il met au jour les vrais objectifs des écologistes : contrôle de la population et baisse du niveau de vie dans les pays développés.
La longue intervention – dans sa version publiée par EHN et qui a pu être modifiée lors de son prononcé au Vatican, mais certainement pas sur le fond – s’intitule : « Pourquoi nous sommes au cœur de la sixième grande extinction et ce que cela signifie pour l’humanité ». La source d’informations écologiques renvoie vers le papier en le qualifiant d’« appel à une révolution morale ». Les mots ne se trouvent pas dans le texte mais l’idée y est bien, appuyée d’emblée sur une citation de Laudato si’ où le pape François écrivait que l’humanité n’a pas le droit de provoquer l’extinction de « milliers d’espèces qui ne glorifieront plus Dieu par leur existence même ».
Le pape François parlait de « conversion écologique ». Ehrlich et Dasgupta ont élaboré un code moral pour mettre son appel en œuvre.
Partha Dasgupta et Paul Ehrlich dans les pas du pape François
Leur texte est long et serré, et comporte de longs passages sur l’interdépendance entre l’homme et le monde animal et végétal, les menaces qui pèsent de manière apocalyptique selon sur les espèces – du jamais vu depuis 66 millions d’années, disent-ils – et sur les raisons de cette catastrophe. La surexploitation est la première visée, que ce soit celle des plantes, des espèces animales ou des énergies fossiles. Viennent s’y ajouter la pollution qui affecte les « ressources » agricoles en les dégradant, et même l’agriculture en tant que telle, puisque l’utilisation des terres pour faire pousser la nourriture détruit des habitats. N’oublions pas le fameux « changement climatique » (le réchauffement, lui, est déjà « oublié » puisque non confirmé par les faits !) Et peut-être, à l’avenir, la guerre nucléaire. La guerre conventionnelle, elle, est présentée comme ambivalente, puisqu’elle peut porter atteint à la biodiversité « mais rend la surexploitation plus difficile ».
On passera sur tous les détails de ces 15 pages pour retenir quelques éléments particulièrement révélateurs dans ce discours de malthusiens assumés.
« Traduit en termes de capital, l’énorme succès de l’humanité au cours des décennies les plus récentes n’aura probablement pas été autre chose qu’un acompte sur l’échec futur. L’échange se fait entre le niveau de vie d’aujourd’hui et le niveau de vie de demain. Notre succès immédiat, l’augmentation à la fois du nombre des êtres humains et du niveau de vie moyen a créé un conflit entre nous-mêmes et nos descendants. Cependant le succès actuel est de loin le plus présent dans le discours public. Si vous vous faites du souci à propos de la dégradation de l’environnement, on vous dira que la nature ne représente pas beaucoup plus de 5 % de la richesse globale (une valeur tirée de la part des revenus agricoles dans la production globale au prix du marché dans les pays riches) et que ce capital naturel peut être déplacé, dans le monde contemporain, de manière à ce que des ressources en baisse dans un endroit puissent être compensées par l’importation venue d’ailleurs. Intellectuels et commentateurs ont recours aux termes de “globalisation” et de “terre plate” pour suggérer que la localisation n’a aucune importance. Cette vision met l’accent sur les perspectives offertes par le commerce et l’investissement et proclame que si ceux-ci ne suffisent pas, on peut faire confiance au progrès technique pour résoudre les problèmes nés de la dégradation de l’environnement. Aujourd’hui, Malthus, le “pasteur pessimiste”, est considéré comme un “faux prophète” qui a toujours autant tort ».
L’Académie pontificale des sciences, théâtre d’un discours sur le contrôle de la population
Pour Ehrlich et Dasgupta, les choses sont donc claires : Malthus avait raison, et c’est la population humaine qui doit être réfrénée pour éviter des conséquences néfastes à la fois pour les hommes et pour la nature. Ainsi parlent tous ceux qui veulent mettre en place le contrôle de la population. Humanae vitae mettait déjà en garde contre les risques de voir ce contrôle s’imposer de manière tyrannique, et nous avons vu cela à l’œuvre en Chine, au Pérou, en Inde…
La solution proposée au Vatican par ces deux scientifiques est la décroissance. Écoutons-les : « Que le PIB n’inclue pas la dépréciation du capital explique pourquoi l’expression “PIB vert” est impropre, et pourquoi la recherche d’une croissance indéfinie du PIB en même temps qu’on demande le développement durable consiste à viser des objectifs incompatibles ».
Tout cela amène Ehrlich et Gupta à appeler de leurs vœux une baisse du PIB mondial, en vue de réduire « l’empreinte écologique » de chaque homme, mais en priorité des hommes « riches », avec une valeur de 1 équivalant à l’exploitation sans excès des ressources de la planète.
« Pour simplifier, nous supposerons que la pression exercée sur la biosphère est proportionnelle aux revenus. Le revenu global en 2015 était d’approximativement 110.000 milliards de dollars internationaux. Vu les technologies actuelles et les arrangements institutionnels contemporains, une empreinte de 1 exigerait que le revenu global atteigne approximativement les 70.000 milliards de dollars internationaux », expliquent les auteurs, rappelant que les 110.000 milliards actuels correspondent à une empreinte écologique de 1,6 par être humain, soit l’exploitation de plus d’une fois et demie plus importante que ce que la planète est supposée pouvoir supporter.
Malthusiens de la population et baisse du revenu
Ils poursuivent : « Pour dire les choses le plus crûment possible, 70.000 milliards de dollars internationaux représentent aujourd’hui la limite la plus élevée à imposer à l’activité économique globale si la biosphère doit être protégée de dommages supplémentaires. Nous utiliserons ce nombre par la suite pour estimer ce qui peut être fait pour y parvenir sans imposer une tension excessive sur la communauté globale ».
Pour cela, affirment-ils plus loin, il importe que les parents tiennent compte du bien de leurs enfants – mais ils précisent que cela ne suffira pas. « Nous étudions ici les raisons systématiques pour lesquelles les choix faits même par des parents réfléchis ne reflètent pas un engagement suffisant par rapport aux descendants des autres », écrivent Ehrlich et Dasgupta, car ces choix ne tiennent pas compte de toutes les « externalités », c’est-à-dire les conséquences non recherchées et délétères pour autrui des actes que l’on pose. « En tant que symptômes d’un échec institutionnel, les externalités ne peuvent pas être réduites de manière substantielle sans une action collective réfléchie. C’est pourquoi la paternité et les décisions de consommation responsables au niveau individuel peuvent tout de même aboutir à un échec collectif ».
A lire entre les lignes, on comprend qu’il s’agit bien de prôner une socialisation des décisions de paternité et de consommation dont seule la collectivité, finalement, peut déterminer si elles sont réellement « responsables »…
Ehrlich et Dasgupta veulent une révolution morale au service de la Planète
Cela passe bien sûr, par l’endoctrinement. Ehrlich et Dasgupta ne le contestent pas, bien au contraire : « Les externalités auxquelles donnent lieu notre utilisation des ressources en libre accès sont néfastes. Les réduire exigerait une combinaison convenable de taxes et de règles environnementales, de normes sociales du comportement, et surtout du développement d’un système éducatif qui nous enseigne la valeur de la biodiversité – à la fois innée et fonctionnelle ».
Il s’agit donc bien de changer le regard et les comportements, la fameuse « révolution morale » exactement décelée dans le document par EHN, et qui ne vise pas la croissance du bien spirituel, la sanctification des âmes, mais le bien de la matière.
Ehrlich et Dasgupta signalent en passant que dans le cadre de sa contribution au symposium, un autre intervenant, le dépopulationniste John Bongaarts du Population Council, devait « présenter des projections de population régionale et globales » : « Il évoquera les droits reproductifs des femmes et à quel point leur désirs responsables continuent de pas être satisfaits ». Les termes de « droits reproductifs », dans la bouche des malthusiens, désigne tout autant la contraception artificielle que l’accès à l’avortement.
Ehrlich et Dasgupta se sont, eux, davantage intéressés à la consommation. Ils indiquent que selon la Banque mondiale, les habitants des pays riches, soit 1,4 milliards d’êtres humains, jouissent d’un revenu par tête de 40.700 dollars internationaux : « Ainsi, les 19 % les plus riches de la population mondiale consomment plus de 51 % du PIB mondial ». « Partant du principe que l’impact des êtres humains sur la biosphère est proportionnel aux revenus, 51 % de cet impact peuvent donc être attribués à 19 % de la population mondiale. Si les objectifs du développement durable de l’ONU (les ODD) doivent être atteints, les habitudes de consommation de ces pays vont devoir changer de manière substantielle », préviennent-ils.
Baisse du niveau de vie global, ODD et socialisme international
Et d’expliquer que nos habitudes de consommation nous viennent de notre volonté d’entrer en compétition avec les autres et en même temps celle de nous conformer à eux. « Ces deux moteurs provoquent des externalités de consommation ; par conséquent le coût psychologique pour une personne de la réduction collective de la consommation sera probablement bien moindre que ce qu’il serait si elle devait réduire sa consommation de manière unilatérale. Le coût agrégé pourrait même être négatif, spécialement si les travailleurs pauvres étaient moins pauvres relativement aux travailleurs riches, étant donné que les premiers sont bien plus nombreux », expliquent les auteurs.
Traduisons : on se sent d’autant plus pauvre que l’on a des riches à qui se comparer, et la misère partagée est moins pénible que le sentiment d’être pauvre au milieu de gens aisés.
Entre alors en scène la notion de « bonheur déclaré », ou une réflexion sur le fait que l’argent ne fait pas le bonheur. Selon une étude citée par Ehrlich et Dasgupta – ce dernier étant spécialiste de la chose – « dans les pays où le revenu par tête dépasse les 20.000 dollars internationaux, les revenus additionnels ne sont pas statistiquement liés à un bonheur déclaré plus important ». La suite est logique : « Imaginez que les 1,4 milliards d’hommes vivant aujourd’hui dans les pays à hauts revenus réduisent leur consommation moyenne (ou leurs revenus) à 20.000 dollars internationaux. La perte de 20.700 dollars internationaux (40.700 – 20.000) par personne dans une population de 1,4 milliards équivaut à un total de 31.000 milliards de dollars internationaux. Toutes choses étant égales par ailleurs, le revenu mondial atteindrait alors 79 (c.-à-d. 110 – 31) milliards de dollars internationaux, un montant pour l’activité économique globale qui n’est pas beaucoup plus élevée que les 70.000 milliards de dollars que nous avons retenus comme estimations approximatives d’un revenu global soutenable avec la technologie actuelle et dans le cadre des institutions sociales contemporaines ».
Ils ne précisent pas quelles institutions sociales pourraient remplacer celles que nous connaissons aujourd’hui, mais leur idée est claire : il s’agit d’obtenir que les habitants des pays riches renoncent à leur richesse et à leur niveau de consommation. Sans tenir compte des besoins divergents, de la propriété honnêtement acquise, de la juste récompense du travail, et surtout, surtout, de la liberté dont le pouvoir économique est une composante non négligeable.
Aligner tout le monde sur un modèle unique : il s’agit de rapprocher les riches des pauvres et de gommer les inégalités par voie institutionnelle. Cela s’appelle le socialisme : ce socialisme à la Procuste qui nivelle par le bas et de préférence, dans notre contexte politique actuel et même si les auteurs ne disent pas, par l’accès universel aux mêmes soins, aux mêmes écoles gratuites – et obligatoires -, et pourquoi pas à un revenu universel qui est le rêve des collectivistes aujourd’hui.
En ce début de carême – la coïncidence est-elle fortuite ? – c’est au cœur du Vatican qu’on a pu prêcher l’ascèse et l’abstinence pour rendre gloire à un nouveau dieu : la biodiversité, le développement durable, la Terre Mère, Gaïa – appelez-le comme vous voulez !