Allemagne : Merkel et Schulz vers une grande coalition pour mater le vote populaire

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Voilà deux mois en Allemagne, le vote populaire donnait une claque à la grande coalition au pouvoir : la CDU d’Angela Merkel obtenait son plus mauvais résultat depuis 1949 et le SPD de Schulz le pire depuis 1933. Aujourd’hui, ils pensent à se remettre ensemble pour contrer le populisme de l’AfD.
 
On est tranquille avec les prestidigitateurs. Quoi qu’il arrive, le public sait que la femme sciée en deux fera son plus beau sourire à la fin du numéro et que la colombe qu’on croyait perdue sortira du chapeau. C’est la même chose avec les dirigeants européens depuis le non des Danois au referendum sur la ratification du traité de Maastricht en 1992 : quelques soient les péripéties des votes qui leur sont contraires, ils parviennent toujours à contourner la volonté populaire pour imposer leur propre volonté. Dès 1993, par exemple, un nouveau referendum permettait au Danemark dûment chapitré de voter oui. Douze ans plus tard, les Français votaient non à la constitution européenne : en 2007, le traité de Lisbonne la leur imposait sous un autre nom, avec l’aval du parlement français.
 

La grande coalition de Merkel et Schulz écrasée en septembre

 
Revenons à l’Allemagne.Le 26 septembre 2017, la CDU d’Angela Merkel recueillait avec son alliée bavaroise la CSU 32,93 % des voix pour 246 sièges, une perte en voix de 8,6 % et de 65 sièges, le pire résultat des conservateurs depuis la fondation de la république fédérale. Pour le SPD de Martin Schulz, la situation était encore plus mauvaise : lui qui s’était flatté, sur la foi des premiers sondages, de battre Merkel, se retrouvait à la dérive avec 20,51 % des votes et 153 sièges. Tout juste derrière venaient les populistes de l’AfD, 94 sièges, les libéraux du FDP, 80 sièges, l’extrême gauche die Linke, 69 sièges, et les Verts, 67 sièges. Malgré son revers il revenait à la chancelière sortante de former le nouveau gouvernement, mais avec quelle majorité ? Martin Schulz, voulant préserver son avenir politique, et conscient que la grande coalition à laquelle il venait de participer avait mécontenté l’Allemagne populaire, nuisant à son parti encore plus qu’à celui d’Angela Merkel, déclara qu’il préférait faire une cure d’opposition.
 

Marchandages de boutiquiers et d’idéologues en Allemagne

 
Que restait-il comme partenaire potentiel à Angela Merkel ? L’AfD, certainement pas, c’est pour elle la peste brune à éviter à tout prix. Die Linke ? En Allemagne, l’extrême gauche ne veut pas participer à un gouvernement de coalition avec les conservateurs. Il ne restait plus que le choix de la coalition Jamaïque, ainsi nommée à cause de la couleur signalant les partis : noire pour la CDU, jaune pour le FDP, verte pour les Verts. Arithmétiquement, cela collait, la somme des sièges atteignant 393 et la majorité à l’assemblée étant à 355. Politiquement, c’est autre chose. Les Verts n’étaient pas trop fans des demandes économiques du FDP et surtout ils avaient eux-mêmes des exigences en matière « d’accueil » des migrants tout à fait mirobolantes. L’idéologie fut plus forte que leur désir d’accéder au pouvoir et la négociation fut rompue la semaine dernière. On parla de la « crise la plus grave », du point de vue institutionnel, qu’ait connue l’Allemagne depuis 70 ans. Et Angela Merkel sembla se résoudre à retourner aux urnes pour que le vote populaire tranche ce problème insoluble.
 

De peur du populisme, Merkel renonce au vote populaire

 
Depuis, elle a fait ses comptes et le risque d’une progression du vote populiste lui a fait faire machine arrière. En effet, son échec et celui du SPD, la progression spectaculaire à l’inverse de l’AfD et du FDP, sont la sanction de la politique trop à gauche menée par la grande coalition CDU/SPD, en matière sociétale notamment avec le mariage gay, et en matière d’immigration. Un retour aux urnes n’aurait pu qu’exaspérer les électeurs. Voilà pourquoi Angela Merkel a modifié sa position première lors d’une réunion de son parti en Mecklembourg-Poméranie-Occidentale : « Les électeurs ont voté. Et je ne soutiens pas du tout la demande de certains de revoter  (…) L’Europe a besoin d’une Allemagne forte, il est souhaitable d’avoir un gouvernement en place rapidement ». Samedi dernier, elle s’est carrément dite prête à s’entendre à nouveau avec le SPD, à condition que les pourparlers se déroulent dans le respect mutuel. « Nous avons bien travaillé ensemble », a-t-elle ajouté, faisant référence aux années 2013-2017. Elle semble ainsi renoncer à une autre possibilité, théoriquement possible mais politiquement très risquée, le gouvernement de minorité.
 

La grande coalition revient en novembre ?

 
C’est le président de la république fédérale d’Allemagne, Frank-Walter Steinmeier, qui a pris l’initiative de remettre le SPD dans le jeu en demandant à Martin Schulz de rentrer dans la discussion pour participer au nouveau gouvernement, ce que Schulz a accepté. Il sait qu’Angela Merkel sort très affaiblie de son tour de piste avec le FDP et les Verts, il lui offre en quelque sorte le moyen de sa survie politique, et il le lui fera payer. D’où le paradoxe suivant : le peuple allemand a exprimé par son vote le rejet de la grande coalition à cause de sa politique trop à gauche, avec un score historiquement bas pour le SPD et la CDU, et il est probable que la grande coalition va être reconduite, sur une ligne tout aussi à gauche, voire un peu plus. Comme refus du vote populaire, on ferait difficilement mieux – car c’est encore au conditionnel.
 

En Allemagne comme ailleurs les élites se moquent du vote populaire

 
Si Martin Schulz entre au gouvernement, vraisemblablement avec le rang de vice-chancelier, ce sera le pompon : député européen de 1994 à 2017, président du parlement européen de 2012 à 2017 dans le cadre d’un accord de grande coalition passé entre le PPE (droite) et le PS, lauréat du prix Charlemagne et membre de la section allemande de l’union des fédéralistes européens, Schulz est le parangon de l’apparatchik socialiste, européiste et mondialiste, en pointe contre les nationalistes polonais, partisan de l’accueil des migrants à tout va. Bref, tout ce que le vote de septembre a rejeté.
 
On ne saurait faire plus cynique ? Si : Emmanuel Macron. Et lui, ce n’est pas au conditionnel : il est là. Aux régionales de 2015, la gauche s’est suicidée dans deux régions pour empêcher que le vote populaire ne porte au pouvoir les populistes du FN. En retour, à la présidentielle, la droite s’est suicidée en appelant à voter pour celui qui succédait à un Hollande en faillite. Avec le même but, refuser la volonté populaire exprimée par le vote du premier tour. Et le même effet : imposer la politique rejetée, imposer l’européisme mondialiste et l’immigration qu’il préconise. La grande coalition est l’ultima ratio des élites pour mater les peuples.
 

Pauline Mille