Ayahuasca, drogue psychédélique : un jeune financier de Londres tué lors d’une « retraite spirituelle » au Pérou

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Oeuvre digitale d’Andrew « Android » Jones – qui a participé à la réalisation du spectacle « Fiat Lux » – , consommateur d’Ayahuasca (« corde des cadavres » en quechua), liane hallucinogène.

 
Unais Gomes, 26 ans, après de brillantes études à Cambridge, est devenu financier à la City de Londres. Comme beaucoup de ses semblables, jeunes urbains à qui la chance sourit, il a organisé avec un ami, le Canadien Joshua Andrew, une « retraite spirituelle » dans un centre « ayahuasca » près d’Iquitos, aux sources de l’Amazone au Pérou. Il n’est pas revenu. Après avoir absorbé ensemble de l’Ayahuasca – c’est le but de ces « retraites » de dix jours à 1.200 dollars au centre Phoenix – les deux amis ont eu un « high » grâce à cette drogue psychédélique. Gomes s’est alors saisi d’un couteau dans la cuisine du « centre de santé alternatif » et s’est jeté sur Andrew. Andrew a réussi à s’en emparer et a poignardé son ami qui est mort de ses blessures.
 
Tout cela ne relèverait que du triste fait divers s’il n’y avait là le signe de l’état d’esprit qui peut sévir parmi les jeunes professionnels hyper-diplômés qui recherchent dans les nouvelles spiritualités des raisons de vivre et la guérison de leur mal existentiel.
 

L’Ayahuasca, une porte vers le monde des esprits recherchée par les jeunes professionnels

 
Tel est en effet le bienfait promis par les vendeurs de séances d’Ayahuasca qui organisent des stages dans les zones encore habitées par des tribus aborigènes dans la forêt amazonienne en Equateur ou au Pérou : curieux mélange d’imagerie chrétienne et de chamanisme, d’adulation de la nature et de Gaia, la Terre mère, et d’hallucinations recherchée pour dépasser des problèmes passés ou pour arriver à une « conscience supérieure ».
 
Mort de coups de couteau à la poitrine et à l’estomac pour s’être laissé embrigader dans ces pratiques aux symboliques infernales, Unais Gomes était connu par son cercle d’amis à Londres comme « un être très spirituel, c’était très important dans sa vie et il s’y dévouait beaucoup ». On apprend ainsi que Gomes recevait un « groupe de méditation » dans son appartement de St. John’s Wood, zone résidentielle très huppée du nord-ouest de la capitale.
 

Les financiers s’adonnent à la méditation en pleine conscience

 
La « méditation en pleine conscience » est en effet à la mode parmi les grands de ce monde – il y a des séances lors des réunions du Forum économique mondial à Davos. La tendance à renforcer l’expérience par la prise de substances hallucinogènes comme l’Ayahuasca, préparée traditionnellement avec des lianes et des plantes contenant du dimethyltryptamine (DMT) en décoction par des tribus amazoniennes sous la conduite d’un chamane, pour entrer en communication avec les esprits, est elle aussi en plein essor. Nombreux sont les jeunes Européens ou Américains qui font le voyage de l’Equateur ou du Pérou pour sy essayer, malgré de multiples incidents et des morts, la drogue étant tout sauf anodine.
 
Désaxés, cherchant un sens à leur vie, dépressifs, les consommateurs peuvent être des gens ordinaires sans lien avec les proches du psychédélisme. Mais il y a aussi des artistes, des toqués du New Age qui cherchent à vivre l’expérience d’une transformation selon le « messianisme » particulier à cette secte adepte du syncrétisme et de l’écologie.
 

Voyages au Pérou pour la retraite spirituelle : le cas Android Jones

 
On ne s’étonnera pas de trouver parmi ces derniers un artiste digital comme Andrew « Android » Jones qui a participé à la réalisation du spectacle « Fiat Lux » sur la façade de la basilique Saint-Pierre de Rome le 8 décembre dernier parmi les consommateurs d’Ayahuasca. Jones explique sur son site les effets de la drogue qu’il a consommée lors de cérémonies rituelles en 2008 pour découvrir des « esprits » qu’il représente dans ses œuvres. Il décrit la création d’une œuvre digitale contenant un aigle et un colibri en ces termes : « Je peux dire avec confiance que cette image est venue à travers moi et non de moi… »
 
Toutes ses œuvres semblent inspirées de ces hallucinations colorées et bizarres où rêve et réalité se rencontrent sur fond de symbolique noire.
 
Internet abonde d’expériences racontées par des consommateurs d’Ayahuasca qui décrivent leurs incroyables sensations de bien-être et de « conscience » renforcée, couplée avec des souvenirs horribles et des visions d’enfer, et des vomissements qui font pleinement partie du « rituel ». Le but est d’atteindre une meilleure compréhension du monde – c’est la dimension gnostique –, une purification : beaucoup parlent de la manière dont ils sont entrés dans le « grand tout ».
 

Le remède des financiers et des jeunes urbains de Londres à Berlin

 
Interdit en France et en Allemagne, l’Ayahuasca est toléré dans d’autres pays européens et se consomme de manière rituelle, parfois dans des « églises » organisées selon les principes syncrétiques de sectes sud-américaines. Des réunions clandestines sont organisées en Allemagne comme le raconte un participant, recrutant notamment par le biais des clubs de yoga. On encore grâce aux psychiatres qui y envoient leurs riches clients pour venir à bout de leurs problèmes.
 
Conor Creighton, qui raconte cette séance par le menu, explique comment il faut à la fois jeûner sur tous les plans pendant une semaine avant de se rendre à un rendez-vous dont le lieu est tenu secret jusqu’au dernier jour. Pour lui l’Ayahuasca ressemble aux autres drogues « comme le fait de voler ressemble au fait de marcher avec les bras étendus ». Cela commence bien, avec des visions lumineuses, des fractales aux couleurs psychédéliques et une sensation extrême de bien-être, raconte cet habitué des raves et des drogues qui s’y consomment : il n’avait jamais rien vécu de tel.
 
« C’était comme si l’univers m’enveloppait dans d’immenses bras mutants en me remplissant d’amour. Je voyais Dieu, et j’étais Dieu, et tout était Dieu », décrit-il.
 
Voilà qui est signé.
 

Les drogues psychédéliques comme l’Ayahuasca aboutissent à la dépersonnalisation

 
D’ailleurs cette vision marquée par la confusion du sujet et de l’objet qui est la marque du panthéisme oriental devait vite céder la place à une expérience d’horreur.
 
L’auteur décrit cela comme une expérience qui lui a permis d’assumer tout ce qu’il y avait eu de mal et de triste dans sa vie : la « levée des blocages » et un nouveau départ qui allait le laisser en grande forme, sans angoisse, revenu à la « nature originelle ».
 
On retrouve dans tout cela les thématiques obligées du jour, telles qu’elles se déclinent aussi bien dans la littérature pour enfants (on pense aux romans de Philip Pullman ou de J.K. Rowling où les être humains sont accompagnés d’animaux symboliques) que dans l’écologisme qui exige des sacrifices pour la Planète – ou, un pas plus loin, la « pleine conscience » qui annonce la grande mutation spirituelle de l’humanité.
 
Que ce monde des spiritualités inversées existe n’a rien d’étonnant : on y retrouve bien des symboles et des images propres aux cultes pré-chrétiens des indigènes d’Afrique ou d’Amérique, où la sorcellerie ou le sacrifice humain était au centre des rituels. Ce qui est bien plus inquiétant, c’est que ces adeptes soient des gens ordinaires coupés de leurs racines chrétiennes, si nombreux qu’on en trouve jusque parmi des équipes accueillis à bras ouverts par le Vatican.
 

Anne Dolhein