Chrétiens, Syriens, même combat !
De notre envoyé spécial

syrie guerre
 

Qu’ils aient été à l’origine opposants ou partisans du régime, les chrétiens syriens voient aujourd’hui dans Bachar El Assad le seul moyen réaliste de maintenir l’unité de la Syrie et de ramener la paix. En cela ils ne diffèrent pas de la plupart des musulmans. Tel est l’enseignement d’une guerre qui dure et dont l’Europe découvre tout juste le vrai visage. Notre envoyée spéciale Charlotte d’Ornellas a recueilli sur place l’opinion des chrétiens syriens.

 

« La question ne se pose plus pour nous et nous soutenons désormais le gouvernement. Avant je ne me la posais pas, parce que nous vivions bien. Très honnêtement quand les premières manifestations ont commencé il y a trois ans, je n’ai pas compris de quelles libertés manquantes ces Syriens voulaient parler » confie Nada, chrétienne syrienne originaire de Maaloula. Les ralliements au régime de Bachar el Assad se multiplient au fil de cette guerre interminable. Tony est chrétien syrien également. Opposant politique au régime de Bachar el Assad depuis de nombreuses années, il confirme : « ce n’est pas une question politique mais de survie. Il est évident que dans l’état actuel des choses la Syrie ne pourra se reconstruire qu’avec le maintien temporaire du président ».

L’état actuel des choses, c’est un pays ravagé par une guerre sans fin, que beaucoup de Syriens ne considèrent plus comme civile. Pour ce jeune sunnite venu de Homs, « certains Syriens sont dans l’opposition c’est évident, mais cette guerre est largement alimentée par l’extérieur, les djihadistes viennent de partout, comme leurs armes… on entend des saoudiens, des turcs, des jordaniens, mais aussi des australiens et beaucoup d’européens ». Sana est sunnite elle aussi. Elle a participé aux premières manifestations il y a trois ans. Aujourd’hui son discours a changé : « je croyais que nous pourrions avoir plus de liberté, mais quand je regarde ou nous en sommes arrivés je réalise que c’était une erreur énorme. Nous vivions heureux, même avec une liberté de parole restreinte… aujourd’hui notre quotidien c’est la mort. A Alep ils ont installé des tribunaux islamistes, interdisent les écoles mixtes, égorgent et tuent ceux qui refusent la charia, c’est-à-dire une large majorité ». A côté d’elle, Ahmad confirme : « l’urgence pour la Syrie c’est de nous débarrasser de ces terroristes, et pour cela nous devons faire une alliance temporaire avec le régime, c’est absolument nécessaire ».

 

Quelle libération ?

Leur discours est le même que les chrétiens, et la raison est simple, comme l’explique Antoine, quinquagénaire syriaque catholique : « dans cette guerre nous mourrons d’abord parce que nous sommes syriens, ces terroristes menacent la Syrie et tout le peuple syrien sans exception. Nous vivions parfaitement bien ensemble. Il est vrai que les chrétiens sont visés par la destruction de nos églises, par des enlèvements de prêtres, d’évêques ou de religieuses parce que c’est symbolique, mais lors des attaques de village, c’est le peuple syrien qui est visé, sans distinction ». La Syrie était effectivement une exception dans la région, et la coexistence pacifique était réelle, sans doute permise par un pouvoir fort et autoritaire, comme ce fut le cas précédemment en Irak.

L’exemple de l’attaque du bourg de Maaloula, situé à 56 kilomètres au nord de Damas est significatif. Le 4 septembre dernier, des djihadistes s’en emparaient en criant « Allah Akbar », affirmant « avoir libéré le village du régime ». Mohammad, réfugié sunnite, comme un quart de la population de Maaloula, n’en revient pas : « ils affirment nous libérer mais tuent trois chrétiens qui refusent de se convertir, brûlent nos maisons, détruisent et pillent les couvents du premier siècle qui faisaient la fierté de notre village. Quel genre de libération est-ce ? ». Comme l’intégralité des habitants majoritairement chrétiens il a fui le village pour Damas : « en entrant ils se sont attaqués aux croix et à une famille chrétienne, mais nous nous sommes tous sentis visés, nous vivions parfaitement bien avec les chrétiens ».

 

D’horribles scènes de massacre

Au patriarcat grec orthodoxe de Damas, Maria est réfugiée depuis un an et demi depuis la prise de son village, Harasta, par les djihadistes : « quand ils sont entrés dans le village nous avons tous fui, druzes, alaouites, sunnites ou chrétiens. Nous sommes au courant de ce qu’ils font ailleurs et nous n’avons pas attendu qu’ils s’en prennent à nous. Evidemment que nous soutenons l’armée et le président, croyez-vous que nous avons le choix ? » Non loin d’elle, une autre femme chrétienne raconte l’horreur vécue le 11 décembre par les habitants d’Adra, une ville proche de Damas principalement habitée par des fonctionnaires d’Etat sur lesquels les « rebelles » avaient décidé de se venger : « ils ont décapité des hommes, coupé les mains des fonctionnaires d’Etat, traîné des femmes derrière leurs voitures, et brûlé des habitants dans le four de la boulangerie du village. Ces horreurs sont étrangères à la Syrie, et l’urgence est de les stopper par tous les moyens ».

Une immense majorité des Syriens rencontrés à Damas soutient désormais le régime de Bachar el Assad, que ce soit par conviction comme Fadi, entré dans une milice d’autodéfense « afin de soutenir l’armée qui est la seule chance de victoire pour la Syrie »  ou par réalisme comme Antoun : « nous vivions correctement avant la guerre, il y avait des erreurs comme dans tout gouvernement mais Bachar avait considérablement ouvert le pays sur le monde en dix ans de gouvernance. Désormais nous pleurons chaque jour tout ce que nous risquons de perdre ».

Les chrétiens syriens, comme leurs compatriotes musulmans, n’espèrent qu’une chose : la paix. Beaucoup ne l’envisagent plus avec une victoire de l’opposition, gangrenée par l’extrémisme.

 

Pour des questions de sécurité, les prénoms ont été changés.