Les vengeurs d’Auschwitz : “Holocaust : The Revenge Plot” raconte le complot de survivants pour tuer six millions d’Allemands

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Samedi, la chaîne de télévision publique britannique Channel 4 diffusera pour la première fois, à l’occasion de la journée de la mémoire d’Auschwitz, l’histoire d’une cinquantaine de survivants des camps de Birkenau et ailleurs qui ont décidé, après la fin de la guerre, de faire payer les Allemands pour ce que leurs semblables avaient subi. Réalisé par Avi Merkado-Ettedgui, le documentaire repose sur des enregistrements audio des témoignages de plusieurs comploteurs au cours des années 1980, et évoque ce fait ahurissant : ils avaient pour but de tuer 6 millions d’Allemands. Ils s’étaient donné le nom de Nakam : « les vengeurs ».
 
Leur premier plan a été ourdi rapidement après la fin de la Seconde guerre mondiale. Vivant de la revente de faux billets réalisés dans les camps de concentration, ils voulaient introduire du poison dans les systèmes de distribution d’eau de Munich, Nuremberg, Hambourg et Francfort, pour faire mourir le plus possible de civils innocents. Ils affirment avoir disposé pour cela d’une certaine complicité de la part des premiers dirigeants d’Israël, ou qui allaient le devenir.
 

Les vengeurs d’Auschwitz préparaient un massacre de grande envergure

 
Nous sommes en 1945 : Abba Kovner, sous le coup de l’horreur de ce qu’il vient de vivre, à l’instar de beaucoup de juifs qui sont partis pour la Terre Sainte rejoindre Israël, réunit en Europe des hommes et des femmes déterminés à mettre en œuvre une vengeance « impersonnelle ». Ils se rencontrent à Bucarest, évoquent la possibilité d’une attaque « œil pour œil ». L’idée du poison surgit : ils solliciteront un biochimiste juif, Chaim Weizmann – qui deviendra bientôt le premier président d’Israël – sans lui dire l’étendue de leur plan : ils annoncent simplement vouloir tuer « 50.000 officiers SS ». Son rôle consistera à aller aiguiller vers un autre chimiste, Ephraïm Katzir. C’est ce dernier qui, selon le récit de certains survivants, leur fournit la substance mortelle. Lui aussi est connu : il est devenu le quatrième président d’Israël en 1973. Les préparatifs mèneront les comploteurs dans divers pays.
 
Cette histoire de vengeance s’est essentiellement arrêtée là, et c’est une des raisons pour lesquelles on n’en parle guère – surtout dans les manuels scolaires. Si le plan était parfaitement préparé, Kovner n’a pu le réaliser parce que, sans doute trahi, il a été intercepté par la police militaire britannique sur le bateau qui l’amenait d’Israël avec le poison, dont il a pu se débarrasser cependant avant d’être arrêté. Il a été emprisonné pendant quatre mois, d’abord à Toluène en France, puis en Egypte.
 
Ses compagnons ont alors décidé de se rabattre sur leur « plan B » : infiltrer les boulangeries des camps de Nuremberg et de Dachau où étaient retenus d’anciens officiers SS. L’introduction d’arsenic dans le pain qui leur était servi a provoqué l’empoisonnement de 2.283 prisonniers de guerre allemands à Nuremberg, selon un article du 23 avril 1946 du New York Times, entraînant 207 hospitalisations. Selon l’un des « vengeurs », Joseph Harmatz, il y eu entre 300 et 400 décès, mais cette affirmation est aujourd’hui disputée.
 

Abba Kovner a déclaré au cours des années 1980 avoir voulu tuer « six millions Allemands »

 
Abba Kovner, qui serait plus tard poète en Israël et dont le fils affirme que c’était un pacifiste, un homme de gauche très « nationaliste », laisse à celui-ci le souvenir d’un homme qui n’a jamais voulu parler de ce complot mais s’est senti justifié dans sa conscience pour l’avoir envisagé. Le documentaire d’Avi Merkado-Ettedgui le présente de manière sensible, s’appuyant sur les témoignages que Kovner a voulu enregistrer avant de mourir à la fin des années 1980 sur des bandes qui ont été découvertes lorsque son petit-fils a déménagé. Le chef des « vengeurs » y reconnaissait que le plan était « quelque chose d’horrible et de nouveau, voulant rendre la pareille aux Allemands dans un acte non conventionnel de vengeance et les faire payer pour les 6 millions de juifs ». Tellement horrible d’ailleurs que seule une poignée de personnes s’était ralliées à son initiative.
 
Aucun des « vengeurs » n’a jamais été inquiété par la justice – hormis le bref emprisonnement de Kovner – et tous sont restés étroitement liés entre eux au fil des ans. A ce jour, il n’en reste plus que six, tous nonagénaires qui « se comportent comme une famille et restent en contact quotidien » selon le réalisateur israélien Avi Merkado-Ettedgui.
 

“Auschwitz Holocaust Revenge Plot” : un documentaire pour rappeler une tentative de vengeance oubliée

 
Au total, huit heures d’enregistrement réalisées par différents « vengeurs » ont été retrouvées, comme s’ils avaient voulu transmettre leur histoire le plus exactement possible. Peut-être pour dire que les juifs ne sont pas restés sans rien faire face à l’Holocauste.
 
Mais peut-on, doit-on répondre au mal par le mal ? C’est justement le propre de la civilisation que de mettre fin à cette spirale infernale, celle qui veut ajouter toujours plus d’horreur à l’horreur, celle qui sévit lorsque les hommes se font justice à eux-mêmes. Selon le réalisateur, les « vengeurs d’Auschwitz » ont éprouvé une certaine déception devant leur échec, mais le nombre, voire l’absence de victimes ne les a pas affectés, l’essentiel ayant été la volonté d’agir pour vivre en « paix » avec leur conscience. Aki Merkado-Ettedgui avoue à leur égard une certaine « empathie ».
 
Mais il reconnaît qu’une des raisons pour lesquelles ce plan n’a guère été mis en avant dans les livres d’histoire, en Israël comme ailleurs, est « notamment qu’il difficile de parler de la vengeance, et que les frontières morales ne sont pas toujours aussi nettes qu’on le voudrait, en particulier en relation avec des événements sans précédent comme l’Holocauste ».
 

Anne Dolhein