Mardi, le Musée d’Etat Pouchkine de Moscou a accueilli la réunion inaugurale du Mouvement international des russophiles (MIR), en présence de près de 90 personnalités représentant 42 pays. Vladimir Poutine, le patriarche Kirill et bien d’autres firent part de leur soutien et de leur bénédiction, tandis que l’oligarque « pro-famille » Konstantin Malofeev et le penseur de la « Quatrième théorie politique », Alexandre Douguine, participèrent en personne. L’objectif de ce réseau lancé à l’initiative du Bulgare Nicolay Malinov – homme politique socialiste bulgare sous le coup de poursuites dans son pays pour espionnage en faveur de la Russie – est de susciter et de manifester un soutien international à la Russie par la promotion de la culture russe, de favoriser l’émergence d’un monde « multipolaire » face à « la civilisation occidentale « obsédée par son exceptionnalisme » et par la « conservation de son illusoire domination ».
Les mots sont de Serguei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères qui s’est distingué à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie par son discours radical et ses allusions au recours à l’arme nucléaire. Il faisait partie des nombreuses personnalités russes présentes lors du lancement de ce mouvement « culturel », qui propose certes de mettre sur pied un concours Intervision pour faire pièce à l’Eurovision – l’idée est de Malinov, élu président du MIR au bout de quinze minutes de réunion – mais dont l’une des principales recommandations, en ce jour inaugural, fut de proposer le lancement d’une pétition internationale pour annuler les sanctions en cours contre la Russie. On vise un million de signatures, qui devront illustrer le manque de confiance des gens ordinaires face à leurs gouvernements.
Un message de Poutine salue l’inauguration du Mouvement international des russophiles
Alors que la Russie mène depuis plus d’un an sa guerre en Ukraine, et que lors du lancement du MIR, il était connu de tous qu’elle allait participer à des manœuvres militaires maritimes ce jeudi avec la Chine et l’Iran, rien moins, l’intention purement pacifique et culturelle de la réunion peut sembler douteux. Certes il ne s’agit pas de dire que chacun des invités était là pour participer à l’effort de guerre de Poutine. Mais le justifier indirectement, et dénoncer l’Occident comme l’ennemi à abattre, ça oui !
Lavrov a lu à la tribune le message de Poutine, publié sur le site du Kremlin, dont voici la traduction :
Chers amis !
Je vous salue cordialement à l’occasion de l’ouverture du premier congrès du Mouvement international des russophiles.
Au cœur de votre mouvement social naissant se trouvent de longues traditions d’amitié et de respect mutuel qui relient les Russes aux autres peuples. Ces traditions glorieuses ont été préservées même aux tournants les plus abrupts de l’histoire. Ils sont vivants aujourd’hui, malgré le fait que dans de nombreux États l’hystérie antirusse est délibérément attisée, nos compatriotes et ceux qui sympathisent avec eux sont opprimés, des interdictions et des restrictions sont introduites même sur les œuvres des grands classiques russes appartenant au trésor de la culture mondiale.
Les participants au congrès sont unis par un amour sincère pour la Russie, son histoire et sa culture, et un intérêt pour tout ce qui touche à notre pays. Nous apprécions hautement votre ferme détermination à résister à la campagne russophobe, votre désir de développer le dialogue et une coopération humanitaire mutuellement bénéfique.
Il ne fait aucun doute que votre forum se déroulera de manière constructive et lancera des projets et des initiatives communs prometteurs visant à renforcer l’amitié, la confiance et la compréhension mutuelle.
Je tiens à remercier sincèrement les organisateurs du congrès pour le travail accompli, et souhaite bonne chance à ses participants.
Vladimir Poutine
Plutôt lisse, on en conviendra, mais que penser de ces « tournants abrupts de l’histoire » derrière lesquels se cachent tout de même 70 ans de communisme flamboyant, et une expansion soviétique de diverses variétés, visant un « globalisme » tout à fait unipolaire ?
Pour ce qui est d’aimer la culture russe, avec ses racines chrétiennes, pourquoi pas. Mais en l’occurrence, en application d’une dialectique bien rodée, faudrait-il dénoncer la culture occidentale qui a porté la civilisation chrétienne aux extrémités de la terre ? Faudrait-il oublier que la destruction de la famille, la licence des mœurs et l’affirmation de la liberté sexuelle que la Russie identifie aujourd’hui avec « l’Occident » ont d’abord été théorisées par les marxistes, mises en place par les bolcheviques et répandues par l’extrême-gauche ? Faudrait-il diaboliser tout « l’Occident » ?
C’est ce qu’a suggéré le fondateur-président, Nicolay Malinov, en proclamant : « Être russophile signifie être patriote de son propre pays. Parce que c’est la Russie qui personnifie les valeurs traditionnelles, l’idée d’un État fort et le désir d’un monde multipolaire – tout ce que nous voulons voir dans nos propres pays. L’antipode de la Russie est le monde du satanisme, qui veut nous détruire. Nous ne sommes ni de droite ni de gauche. Nous sommes pour le raisonnable, le bon, l’éternel. Et c’est pourquoi nous sommes russophiles. »
Konstantin Malofeev et Alexandre Douguine aux premières loges
La « multipolarité », en somme, c’est l’adhésion des pays » russophiles » et de l’Eurasie chantée par Douguine (gnostique auto-proclamé) au « pôle » russe, pour affronter le « pôle » américain. Quitte à faire alliance avec l’islam, comme l’ont exprimé à diverses reprises Malofeev et Douguine – mais c’est une autre histoire.
Le Manifeste des fondateurs du MIR, adopté à l’unanimité, affirme que la Russie, « pour des raisons historiques, civilisationnelles et culturelles suscite une sympathie, un respect et même un amour sincères bien au-delà de ses frontières ». « De nombreuses personnes dans le monde, guidées par des sentiments chaleureux pour la Russie et le peuple russe, s’intéressent à sa langue et à sa culture, s’efforcent de communiquer et de mieux s’entendre avec le peuple russe, recherchent des informations fiables et idéologiquement dégagées sur la vie économique et politique de la Russie. »
Exprimant « la conviction que sans un dialogue actif et bien intentionné avec la Russie, notre monde global est moins bon et instable », les russophiles de différents pays ont décidé de créer le MIR et, par son renforcement et son expansion constants, de « favoriser la diffusion de la culture russe », de « soutenir la diffusion d’informations fiables sur la Russie et son attitude face aux questions d’actualité de notre temps », de « résister à la russophobie dans toutes ses manifestations », et de « renforcer la diplomatie populaire pour la défense d’un monde multipolaire, pacifique et harmonieux ».
Au Mouvement international des russophiles, on a lancé l’idée d’une pétition mondiale contre les sanctions frappant la Russie
« Diplomatie populaire » : on voit là l’objectif d’une telle réunion, dont on pourrait penser, même en adoptant le point de vue russe, qu’elle mobilise des forces insignifiantes. Il s’agit de faire de l’agit-prop, d’activer un réseau d’influence, de peser sur le cours des choses en utilisant la culture, façon Gramsci.
Les participants n’étaient donc pas des chefs d’Etat ou des hommes de pouvoir, mais plutôt des « influenceurs ». Parmi eux, l’acteur américain Steven Seagal, fils d’un émigré juif russe, sympathisant du bouddhisme (certaines franges du bouddhisme le tiennent pour la réincarnation d’un lama du XVIIe siècle), dont il faut bien admettre qu’il incarne plutôt la culture hollywoodienne à travers de bons gros blockbusters ultra-violents que la pensée de Dostoïevski ou de Gogol.
Etait également présents le journaliste brésilien pro-russe Pepe Escobar, qui vient tout récemment de saluer la dernière rencontre du groupe Valdaï à Moscou où les liens entre la Russie et le monde islamique et le rôle anti-occidental de la Russie en Afrique étaient fortement mis en avant. Son compte Twitter lance des avertissements à la Pologne, et salue la diplomatique chinoise qui remodèle le monde.
A défaut de liste exhaustive des participants à la réunion de mardi, il faut citer aussi Souleymane Anta Ndaye, ancien conseiller à l’ambassade du Sénégal à Moscou, qui a assuré qu’en Afrique « la plupart des gens adorent la Russie ». Et de rappeler qu’ayant fait ses études en URSS, il est devenu ce qu’il est grâce à la Russie. Sa famille vit aujourd’hui en France.
Mais encore : Pierre De Gaulle, petit-fils du général. En tant que banquier, a-t-il confié à la presse, il espérait notamment rencontrer des gens à la recherche de « contrats financiers et de contrats d’investissements ». La présence française était encore renforcée par la participation des Français résidant en Russie, Xavier Moreau et Fabrice Sorlin.
La princesse Vittoria Alliata di Villafranca, septuagénaire italienne aux cheveux rouge vif, est montée à la tribune pour qualifier la « russophobie » de « nouvelle forme du colonialisme ».
L’avocat franco-libanais Elie Hatem, ancien conseiller du Secrétaire général de l’ONU, Boutros Boutros-Ghali dont il se dit même « disciple », monarchiste membre du comité directeur de l’Action française, mais aussi interlocuteur du couple Macron, était là également.
Le Mouvement international des russophiles, un instrument d’agit-prop mondiale
Sur l’une des photos de l’événement on reconnaît facilement au premier rang la religieuse Mère Agnès-Mariam de la Croix, qui s’était fait connaître lors du conflit syrien par son soutien au président Assad (proche de Moscou, bien sûr). Etrange carmélite, qui se déplace décidément beaucoup !
Enfin, confirmant son adhésion à la politique russe dans le monde d’aujourd’hui, l’ancien nonce à Washington Mgr Carlo Maria Viganò, qui vit caché depuis ses révélations sur l’affaire McCarrick, et qui au début de l’invasion russe en Ukraine qualifia Moscou de « troisième Rome », a adressé un long vidéo-message à l’assemblée.
A l’écouter on pourrait penser que l’Eglise d’Occident a perdu depuis bien longtemps sa catholicité face à l’orthodoxie, puis à Moscou qui a pris sa place :
« Lorsque l’Empire romain d’Occident a perdu son rôle politique sous la pression des invasions barbares, le relais a été pris par Constantinople. Et lorsque l’Empire romain d’Orient tomba à son tour avec la conquête de Byzance par Mahomet II, c’est Moscou qui sauva son héritage religieux et politique. Avec ses saints et ses rois sacrés. La crise actuelle nous montre l’effondrement d’un Occident corrompu, dans lequel il n’y a pas de Pape Léon le Grand pour sauver son destin, mais qui a encore un destin s’il redécouvre sa propre mission providentielle et reconnaît ce qu’il a en commun avec la mission de la Russie. »
Dénonçant l’apostasie de l’Occident, le rôle des mondialistes comme Bill Gates et Klaus Schwab, il a ajouté :
« La Fédération de Russie représente indéniablement le dernier bastion de la civilisation contre la barbarie et rassemble autour d’elle toutes les nations qui n’entendent pas se soumettre à la colonisation de l’OTAN, de l’ONU, de l’OMS, de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de ce fatras de fondations dont le but est l’endoctrinement des masses, la manipulation de l’information et la création de “printemps colorés” pour déstabiliser les gouvernements légitimement élus et semer le chaos, les guerres et la misère comme instrumentum regni. »
Et plus loin :
« Vos efforts devraient certainement promouvoir les relations amicales de la Russie avec tous les peuples, selon ce principe de multipolarité qui, dans une vision politique sage à long terme, est le meilleur moyen de lutter contre l’unipolarité mondialiste. Mais cette amitié, ces relations de concorde et de coopération mutuelle, ne peuvent être séparées de la dénonciation du coup d’État perpétré contre l’humanité par de dangereux subversifs dont le but avoué est l’instauration d’une tyrannie infernale où règnent la haine de Dieu et de l’homme créé à son image, la maladie, la mort, l’ignorance, la pauvreté, la violence, l’égoïsme et la corruption. C’est le règne de l’Antéchrist. Ce Léviathan doit être identifié et combattu, par une action impliquant tous les peuples libres, tout d’abord en rejetant les points programmatiques de l’Agenda 2030 et de la Grande Réinitialisation par des initiatives communes. Il faut une Alliance Antimondialiste qui rende aux citoyens le pouvoir qui leur a été retiré, et aux nations la souveraineté érodée et cédée au lobby de Davos. À cet égard, le rôle de la Fédération de Russie sera décisif, tout comme le message que le Mouvement international des russophiles apportera aux peuples d’un Occident qui doit redevenir fier de sa foi et de la civilisation à laquelle les saints Cyrille et Méthode ont également contribué. »
On retrouve ici la dialectique qui est au cœur même de la praxis communiste : il faudrait choisir la Russie, toute bonne, contre les fossoyeurs de l’Occident, comme s’il y avait cette seule alternative, en oubliant que la Russie reste l’alliée du communisme et du socialisme international, avec son réseau où s’inscrivent Chine, Cuba, Venezuela, Nicaragua, Corée du Nord, et aujourd’hui le Brésil qui avec Lula, n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de promouvoir le nihilisme du « genre ». En oubliant aussi que la Russie de Poutine a elle-même fait la promotion de l’Agenda 2030 de l’ONU.
Jeanne Smits