Paiement biométrique : la Russie aussi fiche et chasse le cash

 

Les dissidents de la pensée unique qui ont fait leur demande « d’asile spirituel » en Russie à la suite du récent appel de Poutine feraient bien de se méfier. En expérimentant le paiement biométrique à Kazan, quatre ans après un premier essai à Moscou, leur idole participe au totalitarisme insidieux mené de conserve par l’Orient et l’Occident. Ce système, qui permet à un client de payer en faisant reconnaître par un appareil spécialement adapté ses empreintes digitales, sa rétine, ou son visage afin d’effectuer sans autre formalité le paiement, est dangereux pour au moins deux raisons. D’abord, il suppose que l’œil, la main, etc., soit enregistré dans une base de données : une fiche de la personne peut donc être conservée. Ensuite, si l’expérimentation réussit, elle est présentée unanimement (la France, les Etats-Unis et d’autres s’y sont mis) comme plus pratique et plus sûre. Et le public suit peu à peu. Dans un registre analogue, le paiement sans contact conquiert sans cesse du terrain, il atteint la moitié des paiements de proximité : le biométrique va accentuer le mouvement et accélérer la chasse au cash.

 

La Russie choisit James Bond pour son paiement biométrique

La science-fiction n’est souvent qu’une anticipation et les ingénieurs russes qui ont conçu l’expérience de Kazan sont probablement fans de James Bond : leur système de reconnaissance demande qu’on présente son visage, dont l’usager aura au préalable pris un selfie par l’application biométrique d’Etat, alors que les banques françaises demandent des empreintes digitales, ou Amazon, aux Etats-Unis, la paume de la main. Les Kazanais peuvent pour l’instant prendre le métro, s’y font reconnaître et passent « en un clin d’œil ». D’ici peu de temps, la chose sera étendue aux banques, restaurants et boutiques en nombre croissant qui s’y adapteront, et bien sûr d’ici à 2025 à d’autres grandes villes, Nijni Novgorod, Ekaterinbourg, Saint-Pétersbourg, Samara, Novossibirsk, bien que le peuple russe y soit traditionnellement réticent. L’opération est menée conjointement par le NSPK, le système national russe de paiement par carte, et le CBT, centre de techniques biométriques, qui est l’opérateur du système biométrique unifié de Russie. Pour accélérer ce mouvement, Sverbank, qui est en Russie la banque pionnière du biométrique avec son « paiement en un sourire » est en train d’organiser un paiement biométrique interbancaire.

 

Grâce au biométrique, la Chine fiche et chasse le déviant

Victor Dostov, qui préside un conseil de réflexion sur l’argent électronique et les transferts d’argent dans la fédération de Russie, note que ce genre d’innovations se heurte à une forte méfiance des Russes, ce qui explique qu’on soit passé par la niche des transports. Si l’on regarde le développement du paiement biométrique dans le monde, on note qu’il s’est généralisé dans un grand pays, la Chine – qui est aussi celui du crédit social, de la reconnaissance faciale ordinaire, du fichage et du flicage. Aux Etats-Unis, où l’expérience est ancienne, elle a donné lieu à des protestations politiques, notamment en 2021 quand trois sénateurs ont exigé que soit évalué Amazon sous ce rapport : quelle utilisation l’entreprise fait-elle des données biométriques des consommateurs que son système de paiement collecte ?

 

Au nom du bien, on chasse trafics et cash – et la liberté aussi

En France, où les banques se mettent de plus au paiement biométrique, celui-ci est universellement présenté comme très positif : plus rapide, plus simple, plus sûr, plus efficace, plus d’arnaque, plus d’oubli de code, etc. Il suffit d’être soi-même. Or, en dehors du fichage, duquel, même dans les sociétés occidentales dites libérales, il est difficile de se prémunir, le risque majeur d’un paiement sans contact, simple et sans risque aucun est de faire disparaître le cash. Sans doute pas au marché où le marchand de salade et le volailler feront de la résistance, mais dans l’immense majorité des cas. Or la disparition du cash, c’est la traçabilité à tout moment de tous les paiements et de tous les mouvements, c’est-à-dire la police totalitaire de la société. Naturellement, la propagande en est faite sous l’étendard du mieux, du plus efficace, du plus juste, du plus sûr. La chasse au cash vise la corruption, le trafic des armes, des femmes et de la drogue. Imparable : qui peut approuver trafics et corruption ? Au nom du progrès, on élimine peu à peu les libertés.

 

Pauline Mille