L’aviation iranienne bombarde les positions de l’Etat islamique dans la province de Diyala, dans l’est de l’Irak frontalier de l’Iran. Alors que ce dernier pays est officiellement engagé dans un bras de fer avec Obama et ses alliés sur le nucléaire. Stratégie illisible, ou indice que les USA organisent un chaos toujours plus complexe au Proche Orient ?
Héritiers de la Grande Bretagne après la seconde guerre mondiale en tant que gendarme du monde et du Proche Orient en particulier, les USA y organisent depuis un chaos favorable à leurs vues impériales et à leurs intérêts particuliers. Tout respire le chaos dans l’opération en cours. D’abord les contradictions sur l’information elle-même. « L’Iran bombarde l’Irak », vient d’affirmer le contre-amiral John Kirby, porte-parole du pentagone. Selon lui, tandis que les USA « effectuent des missions aériennes au-dessus de l’Irak » après s’être concertés avec Bagdad, il revient au seul gouvernement irakien de « gérer son espace aérien ». Et d’ajouter, pour que chacun s’en persuade : « Rien n’a changé dans notre politique, nous ne coordonnons pas nos activités avec les Iraniens ». Donc, il n’y a rien de rien entre l’Iran et les USA. Et pour que nul doute ne subsiste, un dirigeant irakien anonyme a déclaré à l’agence Reuters : « Toute coopération avec l’Amérique dans de tels bombardements est hors de question pour l’Iran. » C’est beau comme un plafond repeint, mais c’est un mensonge vide de sens : depuis que l’armée et le gouvernement irakiens se sont littéralement effondrés sous les coups de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, les USA ont pris les opérations en main pour éviter que Badgad ne tombe. Même si Obama ne téléphone naturellement pas tous les jours au guide suprême de la révolution islamique à Téhéran, rien d’important ne se fait en Irak sans que les USA ne soient au courant et ne donnent leur feu vert. Or, dès avant que l’Iran ne bombarde l’Irak, il a engagé des troupes au sol au côté de l’armée irakienne et des milices chiites contre l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Des rumeurs non confirmées mais persistantes affirment même que, pour remédier à la désintégration de l’armée irakienne purgée de ses cadres saddamistes, une partie de l’aviation irakienne serait pilotée par des Iraniens.
Chaos entre les USA et l’Iran
Le chaos caractérise aussi les relations entre les USA et l’Iran. Ce dernier pays se signale entre autres par deux propriétés : il est riche en pétrole et proche de la Russie, hier de l’URSS. On se souvient du contentieux entre l’Etat iranien et la British Petroleum, qui avait débouché sur le débarquement brutal du premier ministre Mossadegh dans les années mil neuf cent cinquante. Puis du désordre semé par la révolution islamique de l’ayatollah Khomeyni, que les Etats-Unis ont laissé faire, ce qui a permis à la fois de geler le pétrole iranien et de prévenir toute avancée soviétique en Iran. Depuis, la stratégie de Washington oscille entre sanctions et commerce, avec des scandales (Irangate) et des accès de tension. La controverse sur le nucléaire militaire iranien et la capacité des centrifugeuses capables de produire le plutonium nécessaire a permis de continuer le gel diplomatique de l’Iran et, longtemps, de satisfaire Israël qui dispose lui de la bombe atomique depuis que la France lui en a donné la technologie dans les années 1950. Cela dit, les ponts n’ont jamais été totalement coupés entre les USA et l’Iran, on vient d’en voir une preuve dans le ciel d’Irak : l’aviation iranienne qui bombarde l’Etat Islamique en Irak et au Levant utilise des F4 Phantom américains.
Le chaos des USA bombarde l’Irak
Le chaos gouverne aussi, en apparence, la stratégie des USA en Irak. Après avoir armé le pays et l’avoir poussé à faire la guerre à l’Iran dans les années quatre-vingt, les Etats Unis ont commencé à l’agresser dans les années quatre-vingt-dix avec le piège du Koweït qui s’est terminé par la guerre du golfe en 1991, suivie de dix ans de blocus meurtrier et par la guerre d’Irak qui a chassé du pouvoir Saddam Hussein et son parti Baas. Le parti Baas professait et pratiquait un socialisme laïc théorisé au début du vingtième siècle par un chrétien syrien, Michel Aflak. Saddam Hussein garantissait d’une main de fer l’unité de l’Irak où cohabitaient chi’ites, sunnites, Chrétiens de différentes confessions, et d’autres minorités religieuses, de même qu’y cohabitaient Arabes, Kurdes et Mésopotamiens de diverses ethnies. L’éviction du Raïs provoqua un éclatement de fait de l’Irak et une désintégration de l’Etat, épuré de ses cadres baasistes. Le pouvoir fut ramassé à Bagdad par la majorité chi’ite, les Kurdes prirent dans le nord une autonomie bien proche de l’indépendance, les sunnites demeurèrent désemparés, pleins de rancœur, et les Chrétiens baissèrent la tête et commencèrent à fuir quand ils le pouvaient : le temps de la guerre civile et des attentats commençait, pimenté d’une intolérance croissante. Car les chi’ites d’Irak, fiers des lieux saints de Najaf et Kerbala, sont des extrémistes fondamentalistes, tentés depuis toujours par le terrorisme. On notera aussi que l’Iran, chi’ite à 95% a toujours tendu la main à ses frères chi’ites d’Irak (cela fut une des causes de la guerre Iran Irak entre 1980 et 1983).
L’intervention américaine a donc semé la partition, le désordre, la guerre, et l’extrémisme. Il n’est pas inutile de rappeler qu’outre la recherche d’armes de destruction massive, les trois autres prétextes à l’attaque de 2003 étaient : 1. La violence du régime vis à vis des Kurdes. 2. Le rétablissement de la démocratie. 3. La lutte contre le terrorisme islamique, Saddam étant accusé d’entretenir des liens avec Al Qaïda. Quand on analyse les résultats obtenus, on doit conclure soit à l’échec complet de la stratégie des USA et à l’incompétence totale de leurs dirigeants, soit à l’existence de buts cachés derrière des prétextes de propagande. Ils pourraient être la partition de fait de l’Irak, le chaos entre factions musulmanes au Proche Orient et l’éviction de celui-ci des vieilles chrétientés. Un indice propre à confirmer cette hypothèse est la grande indolence avec laquelle les USA ont d’abord laissé croître et mûrir l’exaspération des sunnites de l’Irak central (Tikrit, Falloujah), ensuite permis la propagande qui a mené à l’Etat Islamique en Irak et au Levant. Les services américains, si prompts à inventer des armes de destruction massive et des réseaux Al Qaïda dans l’Irak de Saddam, n’ont pas pu ne pas voir s’installer et croître l’Etat Islamique dans le guêpier qu’ils avaient eux-mêmes produit.
Chaos entre les USA et la mouvance islamique
Un esprit épris de raison simple jurerait que le chaos règne aussi dans la politique des alliances passées entre les USA et les diverses puissances musulmanes et/ou les différentes versions de l’islam. On vient de le voir dans la volteface vis-à-vis des chi’ites et des sunnites en Irak et en Iran, mais ce n’est qu’une partie restreinte du problème. Depuis les années cinquante, l’Amérique a passé alliance avec l’Arabie Saoudite, menée par une monarchie wahhabite, c’est-à-dire du plus strict fondamentalisme sunnite, et le Pakistan lui aussi marqué par un autre fondamentalisme, le tabligh, proche des frères musulmans (le tabligh et les frères musulmans ayant d’ailleurs été protégés, financés et instrumentalisés à l’origine par les services anglais contre les militaires indépendantistes laïques, dans le sous-continent indien et en Egypte). Cette alliance présentait une particularité : tant le tabligh pakistanais que l’Arabie saoudite wahhabite finançaient et/ou appuyaient des mouvements extrémistes terroristes. Par exemple les Talibans, que les services des USA utilisèrent contre l’Union soviétique en Afghanistan, ou ce qui allait devenir Al Qaïda. On a vu au bout du compte les contradictions auxquelles cette politique a donné lieu. Et l’on a vu aussi le revirement de la stratégie américaine qu’illustrent aujourd’hui les bombardements de l’Etat Islamique en Irak et au Levant, qui est sunnite, par l’Iran chi’ite.
Il semble que désormais la diplomatie américaine procède au coup par coup : en Egypte elle soutient pour l’instant l’armée et ses cadres maçons contre la révolution islamique des frères musulmans sunnites, mais au Liban et à Gaza, soucieuse des revendications israélienne, elle n’a pas opéré un renversement d’alliances aussi net qu’en Irak avec le hezbollah chi’ite pro-iranien, trop opposé aux intérêts hébreux. Pour l’instant. D’autant que le double objectif de cet imbroglio est atteint : la carte du pétrole est maîtrisée, et le Proche Orient est divisé en tant d’entités ingérables qu’il devient très facile de le diriger par le chaos, en même temps que les horreurs de l’Etat Islamique constituent une pédagogie efficace en vue de justifier une grande coalition du bien formée par tous les modérés au service provisoire des USA, dans la perspective de la construction progressive d’une gouvernance mondiale. « Ordo » ab chao.