Najat Vallaud Belkacem, ministre de l’Education nationale, a présenté jeudi aux côtés de Manuel Valls son plan pour la laïcité à l’école. Effet d’annonce, pour certains : Sophie Coignard, du Point, assure pour s’en lamenter que le ministre « réinvente l’eau tiède ». Il est vrai que le discours sur la laïcité obligatoire et la mise au pas républicaine des enfants de France n’a guère varié depuis la création de « la laïque » et que nous n’en sommes pas (encore) à la fermeture des écoles confessionnelles qui poserait des problèmes politiques et matériels certains. Mais lorsque Najat Vallaud-Belkacem renchérit sur Hollande en matière de laïcité, prenant prétexte de l’attentat contre Charlie Hebdo, c’est en vue de changer les esprits où qu’ils soient. Un plan finalement plus subtil et donc plus dangereux. Pour tous.
Les « onze mesures » de Najat Vallaud-Belkacem visant une « grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République » s’imposeront explicitement à l’école sous contrat : c’est le premier point à souligner. L’école sous contrat est le plus souvent catholique. Le plan ministériel annonce une schizophrénie accentuée pour ceux de ces établissements qui affirment clairement leur identité confessionnelle : n’y apprend-on pas déjà, en « instruction civique », que l’instruction religieuse n’a pas sa place à l’école ?
Menaces sur l’école à la maison et la liberté d’enseignement
A noter d’emblée : la 9e mesure, « une action en faveur des publics les plus fragiles » (pauvres, délinquants, mineurs détenus, radicalisés) propose de mieux repérer « les risques de repli chez les jeunes, pouvant représenter un danger pour eux-mêmes et pour la vie collective ». Sont visés, notamment… ceux qui bénéficient de l’école à la maison :
« L’instruction à domicile fera l’objet d’un contrôle renforcé, impliquant des équipes pédagogiques en appui aux corps d’inspection effectuant actuellement les contrôles. À cette fin, des professeurs seront missionnés pour venir en appui aux corps d’inspection effectuant actuellement ces contrôles. Des repères seront donnés afin de mieux évaluer la progressivité des apprentissages. »
Autrement dit, l’Etat se dote d’un droit de regard direct sur ce qui est enseigné dans le cadre de l’école à la maison, et la manière dont cette instruction est donnée : méthodes, vocabulaire des pédagogies nouvelles, programme d’enseignement de l’histoire, cours d’éducation sexuelle, théorie du genre… Les domaines d’intervention de ces équipes de surveillance rapprochées se devinent multiples et inquiétants.
Vallaud-Belkacem veut 1.000 formateurs au formatage laïc
La mesure que la presse a le mieux retenu du plan Vallaud-Belkacem est celle de la mise en place d’ici à juin de 1.000 formateurs qui seront formatés pour à leur tour transmettre la doctrine laïque aux professeurs de tous les établissements. C’est la mesure numéro un (« Renforcer la transmission des valeurs de la République »). Une goutte d’eau par rapport à l’armée d’enseignants que compte l’Education nationale, mais le symbole est fort. Et surtout, on verrouille l’avenir : « La capacité des candidats “à expliquer et à faire partager les valeurs de la République” sera évaluée systématiquement dans les concours de recrutement » et les écoles de formation des professeurs devront assurer une « formation à la laïcité ».
Pour compléter le tableau, les nouveaux enseignants seront formés et tous recevront une documentation augmentée sur « l’enseignement laïque du fait religieux ». Qui suppose de présenter le fait religieux non comme vrai, mais comme relevant de la subjectivité humaine et devant à ce titre être relégué dans la sphère privée.
Journée de la laïcité pour fêter la séparation de l’Eglise et de l’Etat
Passons sur les leçons de politesse souhaitées par Najat Vallaud Belkacem. Au cœur de la Mesure 2 (« Rétablir l’autorité des maîtres et des rites républicains ») l’annonce de la célébration d’une Journée de la laïcité dans toutes les écoles et tous les établissements, le 9 décembre, vient répondre à la même annonce faite la veille par François Hollande. Pourquoi le 9 décembre ? Ni le Président, ni Mme le ministre ne l’ont précisé, mais la raison en est évidente : c’est le jour de l’adoption de la loi maçonnique de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Qu’on ne nous parle pas de « laïcité apaisée ». Dans le parfait sillage de Vincent Peillon, c’est une laïcité de combat contre l’Eglise et contre la religion qui s’installe.
La création d’un « nouveau parcours citoyen » (Mesure 3) qui couvrira l’ensemble du parcours scolaire ne fera que renforcer le matraquage actuel sur la « lutte contre le racisme, contre l’antisémitisme, contre les préjugés et contre toutes les formes de discrimination, les notions de droits et de devoirs, le principe de laïcité ». De tout cela nous avons parlé à propos des vœux de François Hollande au monde éducatif. Notons simplement que tous les établissements devront s’y engager : « Les actions relatives à la formation du futur citoyen et à la promotion des valeurs de la République et de la laïcité seront inscrites systématiquement dans les projets d’école et les projets d’établissement. Ces actions seront particulièrement valorisées et explicitées auprès des parents d’élèves. Toutes les écoles et tous les établissements devront, d’ici la fin de l’année scolaire, réécrire leurs projets d’école et d’établissement pour y intégrer ces éléments. Ces projets détailleront également les modalités du parcours citoyen. »
Renforcer les échanges avec les parents d’élèves, multiplier les partenariats avec les collectivités publiques et les associations antiracistes font l’objet des Mesures 4 et 5.
Un plan pour accentuer le décervelage au service de la laïcité
Au nom de la lutte contre les inégalités, les mesures 6, 7 et 8 annoncent de nouvelles études sur l’enseignement du français et de la lecture dont on imagine qu’elles ne s’écarteront pas du pédagogisme qui aboutit à enseigner la lecture de manière à annihiler la pensée et le raisonnement. C’est un mouvement continu depuis les années 1960 surtout, que rien n’arrête : les plans pour la lecture qui se sont succédé n’ont jamais abouti à autre chose qu’à la régression de la formation des intelligences. Allons-y, on continue !
Retenons surtout la Mesure 8 : « Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux. » L’annonce par Najat Vallaud-Belkacem d’une « politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges » au moyen de nouvelles lois et de nouveaux règlements annonce de nouvelles atteintes aux droits des parents et aux droits des établissements sous contrat, expressément visés. Un « état de lieux » de la mixité sociale établi d’ici à 2016 s’intéressa en effet à ces derniers comme aux écoles publiques. Dans sa rédaction actuelle les actions subséquentes, avec le placement de jeunes d’autorité par les pouvoirs publics, semblent réservées aux établissements publics, mais pourquoi évaluer les collèges privés si c’est pour ne rien faire ?
Mixité sociale dans toutes les écoles
Si la coopération de l’école avec les entreprises peut paraître comme un bon élément de cette Mesure 8, on n’en est pas encore à la réhabilitation de l’apprentissage, ne rêvons pas. En revanche, on reconnaît bien la « patte » socialiste dans cette phrase : « Les partenaires sociaux et les branches professionnelles sont mobilisés pour intensifier les initiatives citoyennes en faveur de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. » Surtout lorsqu’elle est complétée par ces mots : « L’information sur les formes et les effets des discriminations dans l’accueil des jeunes en stage et en alternance sera développée. Le secteur associatif agissant sur l’inclusion et l’intégration sera soutenu. »
La Mesure 9, nous l’avons dit, vise notamment l’instruction à domicile mais annonce également des actions et des crédits pour l’Aide sociale à l’enfance et pour la scolarisation des enfants de moins de trois ans, vieux dada des partisans de l’école de la République qui préfèrent endoctriner les enfants dès le berceau.
Les Mesures 10 et 11 encouragent à la mise en place d’études et de projets dans l’enseignement supérieur pour étudier la laïcité républicaine et son contraire, ainsi que pour recruter davantage les plus défavorisés. On note avec intérêt que l’étude des « mondes musulmans » est une « discipline rare » qui mérite des créations d’emplois. Pourvu que ces études respectent le strict cadre que les pouvoirs publics ont imposé à la pensée en ce domaine !