Qui en Europe ou de par le monde ose lui-même, de nos jours, se traiter de « populiste » ? Pratiquement personne. Pour la bonne raison que le mot entre désormais dans la catégorie des injures, de ces injures politiques qui vous excommunient manu militari, hors la sacro-sainte démocratie, hors même le cénacle des sains d’esprit, par un consensus moralo-politique défini. Ce qui fait du panier du populisme, un pot-pourri aux partis hétéroclites. Et ils n’ont rien à rétorquer, du parti autrichien d’Haider au FN de Marine Le Pen. Dans Populisme, les demeurés de l’histoire, Chantal Delsol se penche sur leurs points communs mais tout particulièrement sur ce que ce geste d’exclusion signifie de notre démocratie moderne. « Le populisme serait (…) le sobriquet par lequel les démocraties perverties dissimuleraient vertueusement leur mépris pour le pluralisme »…
Populisme : sa toute neuve acception péjorative
En Grèce antique, l’« idiotès » n’était pas le parfait imbécile de nos jours. C’était l’homme du peuple, le particulier qui envisageait le monde de son propre regard, se méfiant de l’universel et privilégiant ses propres intérêts. Alors que le vrai citoyen se caractérisait par sa capacité à regarder la société du point de vue du commun. On ne pouvait tenir compte des avis des « idiotès », forcément immatures et contradictoires. Et surtout, l’on craignait par-dessus tout l’irruption du démagogue, c’est-à-dire de celui qui va s’appuyer sur ces intérêts, ces enracinements multiples pour prendre le pouvoir.
Ainsi, aujourd’hui, le populiste a remplacé le démagogue d’antan. Mais la différence majeure est que si les Grecs s’interrogeaient de manière continuelle pour cheminer vers ce Bien toujours imparfaitement accessible, les Modernes ont déclaré avoir trouvé en la Raison le Bien absolu et surtout indiscutable. Les « idiotès » sont, dès lors, devenus des idiots : « l’insuffisance culturelle » antique s’est mue en « récusation idéologique ».
« Si l’opinion du peuple ne correspond pas avec le discours des droits de l’homme envisagés d’une manière spécifique, cette opinion est identifiée à une dispersion de caprices et de passions, et celui qui lui prête attention, à un démagogue. »
« Populisme » a pris cette acception péjorative au tournant du XXIe siècle. Tout simplement parce que « le mouvement émancipateur des Lumières a en grande partie perdu l’appui populaire ». Et qu’il lui fallut dès lors, pour asséner ses idées, coiffer du bonnet d’âne ses seuls adversaires. Les Lumières n’emportent plus toute l’adhésion, portées aux nues par une élite de plus en plus éloignée du peuple, ce peuple qui en voit l’imposture et adopte les chefs dont le charisme élèvera sa propre voix.
« Le populisme met à nu les problèmes de la démocratie » Chantal Delsol
Ces « ennemis majuscules d’un régime qui prétend n’en pas avoir », ces adversaires impensables, quels sont-ils ? Ce sont ceux qui s’enracinent dans le particulier, « critiquent l’individualisme moderne et défendent les valeurs communautaires de la famille, de l’entreprise, de la vie civique (…), défendent le travail comme valeur ». Sans tabous, leur combat moral est réel. Ils valorisent l’identité de la nation et sont anti-mondialistes, pour la différenciation et non l’uniformisation prônée par notre post-modernité.
Parce que ce que demande notre XXIe siècle à ses citoyens, c’est de dépasser « l’intérêt de sa société pour la mettre au service du monde ». Le bien public, commun de la cité qu’il faut rechercher en politique tous les jours dans un ajustement permanent, a disparu, au profit d’un système tiré des Lumières, « un système avec ses dogmes et ses grands-prêtres » : l’idéologie émancipatrice, en marche permanente, le Progrès. Et l’enracinement, ce qui rattache à un territoire et à une culture, est précisément son ennemi. Lénine avait forcé la main de son peuple en prétextant qu’il n’était pas encore prêt. La démocratie d’aujourd’hui fait de même : elle défend « une sorte de despotisme éclairé où le peuple n’a point sa part ».
Les demeurés de l’histoire : les irréductibles de la démocratie
Les populistes sont donc jugés, et à l’aune d’une des « meilleures » perversions historiques de l’enracinement : celle d’Hitler – dont on tait, au demeurant, le financement par les banques internationales new-yorkaises. L’on pardonne évidemment davantage au « péché par impatience » de Lénine, qui, malgré son « excès » d’universalisme a néanmoins voulu participer à cette longue marche vers l’Universel… Et l’on sort derechef de l’Histoire ces absolus régressifs, uniquement occupés de leur pré carré. Un adversaire semblable n’est digne que de l’injure. Et le mépris est alors élevé, écrit l’auteur, au rang de vertu…
Chantal Delsol défend dans ses pages l’idéal d’un équilibre entre ces deux pôles de l’enracinement et de l’émancipation, binôme indispensable à un bon fonctionnement démocratique. Mais ce désamour s’est étendu aujourd’hui à tous les niveaux et se révèle aussi profondément dans la dichotomie capitale/province, centre/périphéries. Et ce fossé entre le peuple et l’élite, entre le réalisme et l’idéologie, le processus mondialiste le creuse chaque jour toujours plus, en le bardant de barbelés.
C’est « l’aspect le plus pernicieux de la pensée contemporaine. Le mépris de classe est aussi odieux, dans son genre, que le mépris de race ; pourtant, en Europe, pendant que le second est un crime avéré, le premier est un sport national ».
Populisme, les demeurés de l’histoire : Chantal Delsol ; Éditions du Rocher, 2015, 267 pages.