Avec d’autres prélats et prêtres allemands, le cardinal Reinhard Marx a appelé lors d’une conférence qui s’est tenue du 6 au 8 décembre à des changements fondamentaux au sein de l’Eglise catholique, afin de mettre pleinement en œuvre le concile Vatican II, ont-ils affirmé. Le cardinal Karl Lehmann, ancien président de la conférence des évêques d’Allemagne, a pris la parole dans le même sens.
Un événement sous l’égide du cardinal Reinhard Marx
C’est un événement qu’on ne peut qualifier de marginal puisque le cardinal Marx, archevêque de Münich, est un membre du « G9 » du pape François : son cercle restreint de conseillers pour la réforme de la curie et du gouvernement de l’Eglise, et il est réputé avoir une forte influence sur le souverain pontife. En outre, la conférence était organisée par l’archidiocèse de Münich où se sont rassemblés quelque 200 théologiens.
La conférence, sur le thème « Ouvrir le Concile – théologie et Eglise à la lumière du Concile Vatican II », a abouti à une déclaration où les participants proposent une liste de réformes qu’il a selon eux « impulsées ».
Des changements fondamentaux dans l’Eglise
Les voici dans leur intégralité, tant elles forment un programme cohérent qui montre le plan d’ensemble des partisans d’un aggiornamento complet :
• « Tant que la liberté de conscience, la liberté d’expression et les droits des laïques à la participation ne sont pas pleinement reconnus au sein de l’Eglise catholique, le caractère de la Foi en tant qu’acte du libre arbitre ne sera pas pleinement pris en compte. »
• Par conséquent, les Droits de l’homme restent à mettre en œuvre pleinement au sein de l’Eglise.
• La théologie doit pouvoir revendiquer une entière liberté.
• La théologie – parallèlement au magistère des évêques – doit désormais devenir « au même sens que la tradition, un magistère universitaire indispensable dans l’Eglise ».
• « Le Concile Vatican II a mis en œuvre, d’une manière exemplaire, la tâche d’un magistère des évêques pastoralement défini en vue de modérer le processus d’interprétation de la Tradition et de l’expérience vivante de la Foi. La théologie joue un rôle important au sein de ce processus, qui implique lui-même une auto-relativisation – afin d’inclure le courage nécessaire à la révision des déclarations du magistère. »
• La discussion entre le magistère des évêques et la théologie – qui entraîne une certaine tension – à propos de l’interprétation de la Foi doit être « conduite de manière ouverte par rapport à l’issue éventuelle de la discussion ».
• La voix du Peuple de Dieu doit être entendue dans toute sa diversité.
• Dans une « herméneutique attentive aux droits de l’homme », l’image d’une « Eglise en tant que Peuple de Dieu » et la « collégialité » doivent être remises au centre de l’attention. De plus, « la synodalité doit de nouveau devenir le principe structurant au sein de l’Eglise ». Cette synodalité « doit être mise en œuvre de manière juridique et s’imposer de manière fiable, et elle doit également être pratiquée à tous les niveaux ecclésiaux » ». (Suit une référence explicite au discours du pape François du 17 octobre sur la décentralisation de l’Eglise.)
• Le Concile Vatican II a été l’occasion de développements étonnants par rapport à l’œcuménisme. L’Eglise s’est ainsi ouverte au dialogue avec les autres « églises », « une fois abandonnée sa conception exclusiviste d’elle-même ». « Cette prise de conscience s’est également mise en œuvre elle-même puisqu’il ne s’agit plus d’établir l’unité, mais plutôt de préserver la séparation. » Les différences confessionnelles « ne jouent plus un rôle important ».
• L’ouverture œcuménique doit aussi influencer plus pleinement la liturgie et le droit canonique.
• La Conférence prend explicitement ses distances par rapport à « n’importe quelle forme de fondamentalisme ou d’auto-isolement religieux ».
• Une liturgie vivante exige « une forte participation des Eglises locales » ainsi qu’une « réflexion continue appuyée sur une théologie inculturée ».
Le relativisme doctrinal et moral
Il s’agit, pour le dire de manière plus synthétique, de relativiser la foi et la morale de l’Eglise, leur expression étant laissée de plus en plus aux évêques maîtres dans leurs diocèses et dans leurs regroupements régionaux, de telle sorte que l’Eglise ne prétende plus être dans la vérité mais accepte que celle-ci se décline diversement parmi les chrétiens. (Mais pourquoi s’arrêter aux chrétiens ?)
Parmi les signataires, ont retrouve des participants au Synode de l’ombre conjointement organisé à Rome le 25 mai par les conférences épiscopales de France, d’Allemagne et de Suisse pour mettre en avant les idées les plus progressistes en vue du synode d’octobre, tel le Pr Eberhard Schockenhoff dont on retrouve l’empreinte dans certains paragraphes du rapport final. Et aussi le professeur jésuite allemand, Michael Sievernich, l’un des invités personnels du pape au synode de 2015 et défenseur de l’accès des divorcés remariés à la Commission. L’un des organisateurs, le Pr Stephan Goertz, a quant à lui défrayé la chronique lorsqu’il a publiquement déclaré qu’une relation homosexuelle pouvait être considérée comme possédant un caractère « sacramentel ».
La conférence de Münich s’est déroulée dans une atmosphère de « liberté synodale » pour les évêques dont le cardinal Lehmann, président honoraire de l’événement, a remercié le pape François, ajoutant qu’aujourd’hui l’extension de ce principe de synodalité est aujourd’hui plus important que la tenue d’un concile Vatican III.
Selon la source américaine de gauche National Catholic Reporter, le cardinal Lehmann a dénoncé ce qu’il appelle la plus importante défaillance de l’Eglise qui n’a selon lui pas assez sérieusement « pris en compte les changements sociétaux survenus à la suite de Vatican II, et plus particulièrement ceux de 1968, ainsi que leurs profonds effets sur les personnes ». Lui-même – faut-il le rappeler – faisait partie du groupe de Saint-Gall qui militait pour le changement moral et doctrinal dans l’Eglise.
Le même journal rapporte que le cardinal Marx, actuel président de la conférence épiscopale, a affirmé au cours d’une homélie que les textes du Concile doivent « impulser » la réforme de l’Eglise : « Ils poussent à penser plus loin et à reprendre le fil », a-t-il expliqué. Autant de « nouveaux départs » à prendre aujourd’hui. « L’Eglise n’est pas seulement enseignante mais apprenante. Elle est ouverte à l’histoire et aux signes des temps », a-t-il ajouté.
Le travail de sape des termites
Voilà qui rejoint tout un courant de résistance à l’enseignement pérenne de l’Eglise : Dieu et la vérité ne changent pas. Cette forme de modernisme consiste à donner au contraire à l’histoire un rôle de source d’autorité et d’objet de foi, où le changement historique de l’homme le conduit vers un état de perfection toujours plus grand.
Cette vision dialectique de la foi repose sur une tension, puisqu’il y a nécessairement conflit entre la fidélité à Dieu et celle au changement incessant qui serait propre au développement humain, et donc compromis, et changement de ce qui est « moral » d’une époque à l’autre.
Cette conception est au cœur de ceux qui ont prôné des modifications de la pastorale lors du synode sur la famille, et qui continuent donc leur travail de sape.