L’agacement monte en mayonnaise entre la chancelière Merkel et le président turc Erdogan. Celui-ci a convoqué l’ambassadeur d’Allemagne après que la chaîne régionale NDR l’a chansonné, puis porté plainte pour une satire lue sur ZDF, la seconde chaîne nationale. Derrière la comédie de la liberté de la presse se dessinent la volonté de puissance d’Ankara et les contradictions de l’UE.
Tout a commencé le 14 mars lorsque NDR, Norddeutscher Rundfunk, la plus grosse chaîne régionale du nord de l’Allemagne, a passé une parodie politique de la chanson « Irgendwie, irgendwo, irgendwann » (N’importe comment, n’importe où, n’importe quand), intitulée « Erdowie, Erdowo, Erdogan ». Elle montre Erdogan en autocrate musclé, se satisfaisant de manifestants brutalisés par la police et de journalistes jetés en prison. Aussitôt, colère à Ankara, l’ambassadeur d’Allemagne est convoqué. En contrecoup, les médias allemands se déchaînent au nom de la liberté de la presse. Pour les éditorialistes, Erdogan a « fait une sortie de route », il a « complètement perdu les pédales ».
Après NDR, ZDF attaque Erdogan sous la ceinture
Malgré tout, l’affaire semblait commencer à se tasser quand le présentateur d’une émission tardive de la seconde chaîne nationale allemande, ZDF, Neo Magazine Royale, l’a relancée. Le 31 mars en effet, Jan Böhmermann, c’est son nom, a lu à l’antenne un petit poème assez violent. Il y accuse notamment Erdogan d’aimer : « b… les chèvres, opprimer les minorités, écraser les Kurdes, cogner les chrétiens et regarder en prime des pornos pédophiles ». Naturellement le président turc n’a pas apprécié et porte plainte. En vertu de l’article 103 du code pénal allemand qui punit l’insulte contre les chefs d’Etat étrangers.
A quoi les collègues de Böhmermann et notamment ZDF, qui maintient son émission et le soutient, opposent l’article 5 de la loi fondamentale allemande, lequel garantit la liberté de la presse et celle des artistes. En lisant son petit factum, Böhmermann avait pris soin en effet de préciser qu’il entendait donner une leçon à Ergogan : puisque celui-ci entendait empêcher de dire ce que le loi allemande permet sur NDR il allait dire « ce qu’elle ne permet pas » sur ZDF pour le défier.
Merkel coincée entre liberté de la presse et politique étrangère
Etrange raisonnement, qui embête bien Angela Merkel : d’un côté elle a sur son sol plusieurs millions de Turcs, et le président Erdogan est son interlocuteur principal dans l’affaire des migrants, de l’autre elle ne peut donner l’impression de limiter si peu que ce soit la liberté de la presse : déjà attaquée sur sa droite depuis Cologne, elle serait fusillée sur sa gauche. L’affaire a d’ailleurs déjà franchi les frontières, puisque l’ancien premier ministre belge, l’humaniste Guy Verhhofstadt, l’a adjurée de « défendre la liberté de la presse ». On se croirait presque dans un remake des caricatures de Mahomet. Cependant la chancelière louvoie pour l’instant. Elle a téléphoné au premier ministre turc Ahmed Davutoglu pour lui passer du baume, reconnaissant que le texte de Böhmermann était « sciemment blessant ». C’est un pléonasme, inutile comme tous les pléonasmes, puisque l’intention de la satire et de l’insulte est d’être blessante. Avec cela, Angela Merkel n’a pas encore pris de décision : car c’est au gouvernement fédéral d’autoriser – ou non – le parquet à engager les poursuites demandées par Erdogan.
Trois personnages en quête de comédie démocratique
Considérée à froid, toute cette affaire peut être tenue pour une vaste comédie à trois personnages. D’un côté l’Etat allemand, dont la seule religion est depuis 1945 la démocratie. Pour ne pas porter ad vitam aeternam les péchés de son prédécesseur, il doit se conformer religieusement aux convenances du politiquement correct. Le mythe de la liberté de la presse et de la libre expression artistique en fait partie. D’un autre côté, la Turquie, pilier de l’OTAN, pays en forte croissance démographique et en voie d’islamisation après la laïcisation du maçon Kemal Ataturk, avoue sous son président mégalomane Erdogan son désir de puissance. Elle sait qu’elle tient l’Union européenne en main tant par l’immigration déjà présente que par la « crise des migrants ». Troisième personnage enfin, la presse allemande, qui est comme sa consœur française férue de liberté en paroles et serve en actes. On se souvient que très récemment encore, lors des viols de la Saint Sylvestre à Cologne, elle a reçu, et suivi, l’instruction de minimiser les faits : l’ancien patron de la ZDF, Wolfgang Herles, a donné en février dernier une interview où il accusait les grands médias de faire où le gouvernement leur dit de faire, parlant du « Regierungjournalismus ».
Ni Merkel ni Erdogan ne posent la vraie question : le mondialisme
Si Erdogan tient très proprement son rôle dans la comédie politique qui se joue, les protagonistes allemands paraissent assez minables. Angela Merkel, qui n’hésite pas à bâillonner la presse lorsqu’il s’agit d’empêcher le sentiment populaire de s’exprimer, se pique ici d’élégance et joue les indécises. Si c’était un dirigeant soucieux des intérêts de son pays, elle laisserait le parquet poursuivre, car il y a évidemment insulte à chef d’Etat étranger. Et en même temps elle enverrait Erdogan balader dans les négociations sur les migrants en lui disant : gardez-les tous, gratuitement, aucun n’entrera sur mon sol, et s’il le faut l’UE aidera la marine grecque à rejeter leurs radeaux vers vos eaux territoriales. Mais on conçoit bien qu’elle ne le fera jamais, parce qu’elle est imbibée d’idéologie mondialiste et que des millions de Turcs installés en Allemagne tienne celle-ci pour ainsi dire en otage. La question fondamentale, dont personne ne parle, est dans cette affaire l’ouverture des frontières et la fin de l’indépendance nationale.
Les tartuffes de la comédie de la liberté de la presse
Les médias allemands ne valent pas plus cher. Ils invoquent la liberté de la presse avec des trémolos dans la voix. Les plus critiques avec Jan Böhmermann invoquent à tout le moins la liberté artistique des « créateurs » (glissement sémantique révélateur). Le grand débat en Allemagne sur l’article 5 de la loi fondamentale, qui fait hésiter Merkel, tourne autour de ce qui est « acceptable » ou « inacceptable ». A partir de quand un mot, une image, deviennent-ils « inacceptables » ? Plongé en pleine comédie, les journalistes allemands font mine de se poser la question alors que leur comportement donne la réponse. Pour le « Regierungsjournalismus », ce qui est inacceptable, c’est, dans les cas extrêmes, ce que le gouvernement signale comme tel, et, dans le cas général, ce que le système a défini comme tel par sa législation. Nous avons en France des lois désignées par le nom des ministres qui les ont portées, Pleven, Gayssot, Taubira, Perben, qui « encadrent » (c’est-à-dire qui nient) la liberté de la presse. L’Allemagne a les mêmes, en plus sévères, mais orientées de la même façon : en un mot comme en cent, on a le droit de faire pipi sur le Christ, mais pas d’être islamophobe, antisémite, ou de dire ce que l’on voit de l’immigration. Tels sont les nouveaux blasphèmes de la religion démocratique.
Dans la comédie qu’on nous joue, il est significatif que ni NDR avec Erdowie, Erdowan, Erdogan, ni ZDF avec le passage sur la zoophilie et la pédophilie alléguées du président turc n’ait lancé la moindre pique contre l’islam : Erdogan est attaqué en tant que pervers antidémocrate, pas autre chose. La presse allemande, même dans ses « pires dérapages », demeure politiquement correcte.