Le 24 février 2014, en la première année de son pontificat, le pape François, par son motu proprio Fidelis dispensator et prudens, établissait un Conseil pour l’économie « ayant pour tâche de surveiller la gestion économique et de veiller sur les structures et sur les activités administratives et financières des Dicastères de la Curie romaine, des Institutions liées au Saint Siège, et de l’État de la Cité du Vatican » (§ 1), et un Secrétariat pour l’économie, nouveau dicastère de la Curie romaine, dont la tâche sera de répondre « directement au Saint-Père [et de mettre] en œuvre le contrôle économique et la vigilance sur les Organismes dont il est question au [§ 1], de même que les politiques et les procédures relatives aux acquisitions et à l’attribution adéquate des ressources humaines, dans le respect des compétences propres à chaque Organisme. La compétence du Secrétariat s’étend par conséquent à tout ce qui d’une manière ou d’une autre entre dans le domaine en question. » Le cardinal australien George Pell fut nommé, dans la foulée, préfet de ce nouveau dicastère qualifié de « secrétariat », un titre partagé avec un seul autre organisme du Saint-Siège : le secrétariat d’État…
L’audit de PricewaterhouseCoopers suspendu
Le 5 décembre 2015, le cardinal Pell, moyennant les coquets honoraires de 3 millions de US$, faisait appel aux services du célèbre cabinet d’audit international PricewaterhouseCoopers (PwC) pour vérifier que les comptabilités particulières des quelque 120 organismes du Saint-Siège et du Vatican étaient en règles et tenues conformément aux critères comptables internationaux, et il appelait tous ces organismes à coopérer avec PwC. Dans l’idée de Pell et de ses collaborateurs, tous les éléments comptables seraient rassemblés par PwC d’ici au mois de mars 2016, étudiés entre mars et mai et un bilan du travail serait exposé devant le Conseil pour l’économie lors de sa réunion du mois de juin. L’affaire semblait bien ficelée et le cardinal maître de la manœuvre que lui avait confiée le pape… Patatras…
Le cardinal Parolin à la manœuvre contre le cardinal Pell et le Secrétariat à l’économie
Si réformer la Curie est une tâche indispensable – n’est-ce pas surtout à cette fin que le pape François a été élu par le conclave ? –, elle s’apparente aussi aux… travaux d’Hercule et ne fait sans doute pas que des heureux ! Le secrétariat d’État, dirigé par le cardinal Parolin, n’a pas vu d’un très bon œil la montée en puissance de ce secrétariat pour l’économie animé, qui plus est, par une personnalité non issue du sérail romain : Crocodile Dundee dans les palais apostoliques… Inquiet de cette amputation progressive de ses attributions, le cardinal Parolin s’en était ouvert auprès du pape qui l’avait rassuré le 14 octobre 2015, lui précisant que tant que la réforme de la Curie n’était pas achevée, on conserverait le “statu quo” et la prééminence du secrétariat d’État. Conforté au plus haut niveau, le cardinal Pietro Parolin allait faire tirer un double coup de semonce. On ne l’apprit que le jeudi 21 avril, mais dès le 12 précédent le cardinal Parolin et son substitut pour les Affaires générales, l’archevêque Giovanni Angelo Becciu, adressaient deux lettres à tous les départements du Saint-Siège et du Vatican annonçant que l’audit de PwC était suspendu et que l’on devait cesser toute collaboration avec cette entreprise.
Le pape François lâche-t-il Pell ?
Pour le substitut, la procédure de recrutement et d’accréditation de PwC n’avait pas été convenablement menée et le contrat n’avait pas été signé par l’autorité compétente à savoir, selon le substitut, le Conseil des cardinaux – le fameux C9 créé le 28 septembre 2013 par le pape François. Dans un communiqué du lendemain, 22 avril, le Secrétariat pour l’économie contestait l’affirmation du substitut : « Le contrat avec PwC a été passé par la Conseil pour l’économie qui, comme c’est clairement précisé dans ses statuts, est l’organisme compétent pour nommer des responsables extérieurs d’audit […], non le secrétariat d’État et encore moins le C9 qui n’est qu’un corps de conseillers du Saint Père et opère sans aucun rôle formel dans la gouvernance du Saint-Siège […] Le contrat de PwC a été signé par le président de la commission d’audit du Conseil et consigné par le préfet du Secrétariat pour l’économie à la suite d’une résolution unanime du Conseil pour l’économie de nommer PwC ». Or, à la tête du Conseil se trouve, en qualité de coordinateur le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Münich et Freising, lequel soutient n’avoir jamais eu connaissance du texte du contrat avec PwC et ferait désormais cause commune avec le cardinal Parolin et le substitut Becciu lesquels ne se sont pas lancés dans la bataille sans l’aval du pape François dont on ignore ce qu’il pense de cette cacophonie et de ce spectacle désolant qui, à certains égards, décrédibilise la volonté affichée de réforme de la Curie…
Une impossible réforme de la Curie ?
Les rumeurs vont désormais bon train à Rome. Contrairement à ce que laissait entendre le cardinal Pell, le pape n’a pas souhaité le rencontrer pour mettre à plat cette affaire et s’est contenté d’une courte visite surprise au Secrétariat pour l’économie le 28 avril dernier. Le cardinal Pell est-il sur le départ ? Certains l’avancent à Rome, et il entraînerait dans sa disgrâce ses plus fidèles collaborateurs comme le financier français Jean-Baptiste de Franssu, président de l’Institut pour les œuvres de religion depuis juillet 2014. Nous n’attendrons guère longtemps pour le savoir. Le 8 juin prochain, Pell fêtera ses 75 ans. Il remettra alors formellement sa démission au pape, même si, officiellement, son mandat à la tête du Secrétariat courait jusqu’à 2019. Sera-t-elle acceptée ? Pell sera-t-il au contraire prorogé ? Pour des observateurs attentifs, cet incroyable imbroglio, exposé en pleine lumière, révèle crument un déficit de gouvernance au Vatican et fait s’interroger sur la possibilité réelle de réforme de l’institution.