Mort d’une icône. Le Pen  contre Michel Rocard : le totalitarisme convenable

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Dans le concert de louanges qui a suivi la mort de l’ancien premier ministre Michel Rocard, un seul couac, Jean Marie Le Pen a rappelé son passé de traître. La presse a jugé cet écart peu convenable. La vérité ne compte pas face au caractère intouchable d’une icône du totalitarisme mou qui se construit aujourd’hui en France.
 
Ils sont venus, ils sont tous là réciter leur hommage, apporter leur pierre au panégyrique à la mémoire de Michel Rocard, Macron, Valls, Cambadélis, Mélenchon, pour une fois unis, et les anciens, Lionel Jospin, Élisabeth Guigou. La gauche est en larmes, le centre ému, Jacques Chirac égrotant est sorti de son silence pour saluer son « ami de jeunesse » qui avait tenté de l’inscrire au PSU, le parti socialiste unifié, et qui était devenu pour lui un « homme d’État ». La classe politique à l’unisson chante la louange du mort, y compris Florian Philippot et Marine Le Pen, sauf Le Pen père qui a sauté sur son compte tweeter comme il sautait dans les djebels : « On oublie de dire qu’il fut un combattant de la guerre d’Algérie : dans le camp de l’ennemi ». Et d’ajouter dans un second tweet que Michel Rocard se vantait « d’avoir porté des valises ».
 

Michel Rocard porteur de valises ?

 
Pour les plus jeunes lecteurs, expliquons d’abord ce que cela veut dire. Le FLN ayant ouvert contre la France une guerre terroriste qui ne disait pas son nom (on a parlé longtemps des événements d’Algérie, ce qui mettait l’armée française, du point de vue juridique, en porte-à-faux), certains intellectuels de gauche lui offrirent leur soutien. En particulier le « réseau Jeanson » logea, transporta, des agents ennemis, et porta des valises pleines de billets de banque et de faux papiers à l’usage des terroristes. Cet argent, issu du racket des populations, était utilisé pour acheter des armes et des bombes qui servaient à tuer des civils et militaires français, de toute origine, de souche ou maghrébine, musulmans, juifs, chrétiens, athées. Le chef de ce réseau qu’on appela « les porteurs de valise », Francis Jeanson, fut condamné en 1960 par la justice de la république française, Charles De Gaulle étant président et Michel Debré premier ministre, à dix ans de réclusion criminelle pour « haute trahison ». Beaucoup de personnalité de la gauche intellectuelle, dont l’ancien ministre Georgina Dufoix, le comédien Serge Reggiani, l’historien Pierre Vidal Naquet, le conseiller d’État Brébant, etc… firent partie de ce réseau. Et Michel Rocard ? A-t-il réellement porté des valises, ou s’est-il contenté d’actes moins dangereux ? Il est difficile de le dire avec certitude, près de soixante ans après. Ce qui est sûr, c’est qu’il ne s’en défendait pas, et se flattait de l’engagement correspondant.
 

Le Pen en position d’accusé pas convenable

 
Ce qui est surtout frappant dans la réaction de la presse (journaux et radios confondus), c’est qu’elle ne se pose pas la question du fait. Elle pourrait dire : Jean-Marie Le Pen se trompe, ou nous trompe, il n’est pas sûr que Michel Rocard ait porté des valises, il serait laid de calomnier un mort, etc. Mais ce n’est nullement son approche. Pour France Info, pour le Parisien, pour RTL au contraire la « lutte » de Michel de Rocard «  contre la guerre d’Algérie » fait partie des titres de gloire du mort et contribue à en faire une icône, au même titre que l’invention du RMI ou de la CSG, ou son admiration pour l’autogestion yougoslave.
 
Et le crime que commet Jean Marie Le Pen à son égard est de n’être pas convenable. Un impair dû à de vieilles rancunes personnelles, rancunes de reître non repenti. Pour Orange, « le fondateur du FN ne digère visiblement toujours pas la farouche opposition dont fit preuve Michel Rocard contre la guerre d’Algérie ». Pour le Parisien, il « s’en prend à son engagement contre les exactions commises pendant la guerre d’Algérie ». Exit la trahison, Michel Rocard devient un ange politique dressé contre les abus supposés de l’armée française.
 

Une icône peut-elle trahir ?

 
Le renversement dialectique est caractéristique. Le coupable devient accusateur. Cependant, que diraient les mêmes si un réseau d’intellectuels alternatifs, d’extrême gauche ou d’extrême droite se mettait à fournir Daech en valise de billets pour financer ses ceintures d’explosifs ? Les méthodes d’action du FLN et de l’État islamique sont assez proches, bien que Daech n’ait pour l’instant pas commis de massacre comparable à celui de Melouzza. Quant aux motivations alléguées par les uns et les autres, ceux qui se disent résistants ou combattants d’Allah, ceux que l’on nomme terroristes, il est bien difficile de les peser avec exactitude, chacun peut relever ici ou là des injustices dont il se fera une raison de tuer. A cet égard, on louera la sagesse du pape François : qui suis-je pour juger ?
 
Pour prendre un autre point de comparaison, reportons-nous à un moment sensible de notre histoire, la seconde guerre mondiale, et singulièrement la collaboration en France. Il semble que le cas de beaucoup de collaborateurs était moins grave que celui des porteurs de valise, pour deux raisons au moins : la France n’était plus en guerre active, à cause de l’armistice, et le gouvernement légal s’était engagé dans la collaboration. Ce qu’on peut reprocher aux collaborateurs est donc d’avoir dépassé les consignes de Pierre Laval et du Maréchal Pétain ; mais quant aux porteurs de valises, ils ont aidé l’ennemi qui tuait des Français, civils et militaires, sans la moindre circonstance atténuante.
 

Michel Rocard, précurseur de la mort de la nation, et du totalitarisme

 
Constater cela revient à relever une évidence, pour quelqu’un qui vit et raisonne dans un cadre politique traditionnel, où les États et les nations ont une valeur. Mais, comme l’a dit fort bien François Hollande en prononçant l’éloge du mort à la Pitié Salpêtrière, « son horizon était la planète ». La deuxième gauche dont Michel Rocard était l’inspirateur sautillant a commencé tiers mondiste, elle finit mondialiste, et son progressisme éclairé l’a détachée de la nation. Pour un maçon sans tablier comme l’était l’ancien patron du PSU, la nation n’étant rien, la trahir ne veut pas dire grand-chose. C’est ce qu’exprimait naïvement Orange en attribuant les accusations portées par Jean Marie Le Pen à « un vieux litige idéologique ». Et c’est ce que confirme l’hommage particulièrement indécent qui sera rendu par l’armée aux Invalides à Michel Rocard, humiliation comparable aux gambades des enfants entre les tombes de Verdun pour le centenaire de la nation : si l’histoire ni la nation ne sont rien, allons-y gaîment. On voit par là que le pouvoir prend plaisir à piétiner cyniquement la tradition française. Voilà pourquoi il n’est pas convenable de ne pas aduler l’icône : c’est demeurer attaché à une vision du monde inacceptable. Le totalitarisme ne saurait le tolérer, puisqu’il exige le tout de l’homme, du mort, du vivant, du monde.
 

Michel Rocard affabulateur, manipulateur et traître

 
Dans leur défense et illustration de Michel Rocard contre l’odieux Jean Marie Le Pen, les médias mettent en avant un rapport qu’il a rendu en 1959 à Paul Delouvrier, délégué général du gouvernement en Algérie, alors qu’il était lui-même jeune inspecteur des finances. Ce document portait sur les regroupements par l’armée d’une partie de la population paysanne d’Algérie pour la soustraire aux attaques du FLN. Le jeune Michel Rocard s’y montre totalement inapte à l’étude des faits et à l’évaluation des nombres, ce qui est dommageable pour un inspecteur des finances. Tout y est faux. Les chiffres. Il parle de « la moitié de la population paysanne » et de « deux millions », alors qu’il n’y en eut que 400.000 sur 7 millions soit six pour cent environ. Le motif : il s’agissait de protéger cette population, non de la déporter. Et le résultat : il parle de « mauvais traitement » et de 200.000 morts, ce qui est un pur fantasme que ne confirme nullement la démographie de l’époque. Michel Rocard n’était pas seulement un traître mais un affabulateur et un manipulateur politique.
 

Les pépés du totalitarisme ont l’âge des Tricheurs de Marcel Carné

 
Alors ? Pourquoi tant d’amour des médias ? Pourquoi un éloge unanime (moins une voix, celle de Le Pen) de la classe politique ? Pourquoi, puisqu’il n’a en outre jamais rien fait de positif pour le pays qui l’a vu naître, la France ? Pourquoi la réputation de parler vrai chez quelqu’un ni jamais rien de formulé d’audible et compréhensible ? Pourquoi cette réputation d’homme d’État chez un homme qui, favori des sondages, n’a jamais vraiment gouverné, se contentant d’être, pendant moins de deux ans, le premier ministre le plus terne d’un François Mitterrand qui le méprisait ouvertement, et le reste du temps, un homme de rapports, de causeries, de couloirs, de plateaux ?
 
La réponse n’est pas compliquée : parce qu’il était un ennemi de la France et un ami du « progrès ». Sans doute n’était-il pas maçon, mais il était affilié à tout une kyrielle de machins bien-pensants, administrateur du think tank  Les Amis de l’Europe , cofondateur du club A gauche en Europe, président du conseil scientifique de Terra Nova, membre fondateur du Collegium éthique, politique et scientifique « qui réfléchit aux transformations urgentes qu’imposent les désordres actuels dans le monde », une usine à gaz où ont travaillé aussi Stéphane Hessel, Jürgen Habermas, Edgard Morin, la fine fleur du mondialisme de gauche. Sans oublier l’ADMD 89, l’association pour le droit de mourir dans la dignité, officine pro-euthanasie dont il illustrait le comité d’honneur. Car la deuxième gauche n’est pas seulement une idéologie, c’est aussi un réseau de réseaux.
 
L’hommage de Chirac à Michel Rocard mort rappelle la persistance dans notre vie politique de la vieille mentalité de la gauche estudiantine des années cinquante, Saint Germain des prés, les flippers, le manifeste des 121, la génération des Tricheurs. François Hollande en est l’héritier joufflu. Il est significatif que la dernière entrevue entre le président de la république et Michel se soit passée dans un cadre très convenable, c’était lors de la remise de la légion d’honneur au peintre Pierre Soulage, l’un des manitous de l’art contemporain, et l’un des amis de Michel Rocard. Les congratulations d’une nullité reconnue et de deux fausses valeurs. Un sommet de l’imposture, un des rendez-vous cynique du totalitarisme bobocratique.
 

Pauline Mille