Wanda, la société du milliardaire Wang, achète des morceaux d’Hollywood. L’usine à rêves mondiale passerait-elle des mains de la haute finance juive et américaine au pouvoir d’un Chinois formé dans l’armée populaire de Mao-Tse-Toung ?
Ils en rêvaient depuis longtemps, Wang Jianlin l’a fait. Le plus riche des Chinois (sa fortune personnelle approche 33 milliards de dollars gagnés dans l’immobilier : il estime le succès de Donald Trump moyen et le jugera sur pièces s’il est élu), joue patiemment sa partie de go à Hollywood. En alternant avancées brutales et petits achats depuis l’acquisition surprise en 2012 d’AMC pour 2,6 milliards de dollars. Principales étapes : les productions Dick Clark (1 milliard), les studios Legendary Entertainment à Burbank (3,5 milliards), la construction des plus vastes studios de cinéma sur la côte nord-est de la Chine (8,5 milliards). En prime : circuits de distribution, cinémas, parcs à thème, et tous les produits dérivés, numérique inclus. En ce moment Wang prend des participations dans les six principaux studios de production américains.
Nicole Kidman dans les rêves du milliardaire Wang
Bref, à défaut d’avoir pu s’acheter l’une des Majors américaines, la Paramount, (un de ses rêves, avec une soirée avec Nicole Kidman, son idole), Wang s’en est constituée une sur les deux rives du Pacifique, Wanda productions. Un mammouth : ses revenus sont passés de 15,6 milliards de dollars en 2011 à 43 milliards en 2016. Ses 130.000 mille employés parlent de « vitesse Wanda ». Présent sur les cinq continents, Wang possède plus de salles de cinéma qu’aucune autre compagnie dans le monde. Ce qui lui manque encore : la production en amont, le haut de gamme, c’est pourquoi il vient de passer un accord avec Sony Pictures. Un nouveau petit pas de son interminable Blitzkrieg au ralenti.
Hollywood prend acte de son succès. Au raout organisé par Wanda le 17 octobre, les directeurs de la Warner, d’Universal, les stars comme Harrison Ford, lui ont fait leur cour. Un directeur exécutif anonyme a soupiré : « Sous-estimer Wanda serait une erreur. »
Hollywood reste la grande usine à rêves mondiale
Ce qui est vrai pour les hommes de cinéma l’est encore plus pour les hommes de pouvoir. Hollywood demeure, bien avant l’indien Bollywood, la grande usine à rêves mondiale. Celle qui formate les esprits du village global, le principal moyen d’éducation des jeunes et des moins jeunes, donc l’un des vecteurs principaux du pouvoir, au même niveau d’influence que le pouvoir financier. Ce n’est pas pour rien que, pour préparer le plan Marshall, les négociateurs américains des accords Blum-Byrnes ont imposé à la France un contrat léonin en matière de cinéma, sans rapport avec l’importance proprement économique qu’avait la chose : c’était une question de pouvoir. Un pouvoir symbolique et idéologique, un pouvoir dont les Etats-Unis entendaient s’assurer le monopole. Les parlementaires américains d’aujourd’hui ne sont pas moins jaloux de ce pouvoir.
Seize parlementaires US défendent le pouvoir culturel américain
Seize membres de la chambre des représentants ont écrit une lettre commune au gouvernement américain pour qu’il examine les acquisitions de « l’entertainment » américain par les Chinois selon les critères utilisés en matière de sécurité nationale. Citant nommément Wanda, ils ont exprimé leur « inquiétude à propos des tentatives de la Chine en vue d’exercer sa censure et sa propagande sur les médias américains ».
Cette formulation fait sourire dans les studios, où l’on dépeint Wang en capitaliste intéressé surtout par le « résultat financier ». Et un Stanley Rosen, professeur de sciences politiques, remarque : « Hollywood fait déjà des films à la sauce Chinois-friendly pour conquérir le marché là-bas, il n’y a pas besoin de Wanda pour ça (…) Vous imaginez quelqu’un de chez Sonny envoyer un courriel, nous subissons des pressions de Wanda pour faire des films prochinois ? Wang est assez intelligent pour étendre son empire sans trop effrayer les gens ».
Un cheval de Troie nommé Wanda
Wang, Wanda et les Chinois agrandissent leur empire tout en étendant ce que les Américains nomment leur « soft power », c’est-à-dire qu’ils disposent les mentalités dans le monde de manière à pouvoir exercer leur pouvoir. En s’adaptant à ces mentalités pour ne pas les effaroucher. En 2010, Wang suggérait que la croissance de Wanda outre-mer augmenterait l’influence de la Chine, aujourd’hui, il assigne un « objectif purement commercial » à ses achats. Et pour mieux amadouer ses proies, il se fend de compliments sur les professionnels américains, disant qu’il lui faudra du temps pour rattraper la créativité et la technique d’Hollywood, « plus de temps que pour l’acheter ». Ces paroles n’en effacent pas de plus anciennes : « L’ère où l’on suivait aveuglément Donald Duck et Mickey Mouse est terminée ». Désormais, les rêves que produira l’usine mondiale des images ne sortiront plus des têtes placées à Hollywood par la haute finance juive américaine, mais de la tête de Wang Jianlin, patron de Wanda. C’est beaucoup plus important que de produire quelques films prochinois à Hollywood.
Le leader chinois de l’immobilier à la conquête du pouvoir culturel
En quelques années, Wanda, qui était à l’origine le leader chinois de l’immobilier, a opéré une révolution pour se reconvertir dans les biens culturels. Une révolution comparable à celle que Sony a réussie en vingt ans, mais à une plus grande échelle. C’est Wang qui l’a voulue. Jonathan Garrison, ancien de Goldman Sachs qui a travaillé chez Wanda de 2012 à 2015 l’affirme : « La culture est vraiment un soucis du président Wang ». La culture, en d’autres mots le pouvoir. Peut-être les maîtres traditionnels de Hollywood seront-ils tentés de faire de la résistance, avec l’aide du gouvernement américain, mais Wang dispose d’un atout maître dans ses négociations, et il l’étale sans complexe : « En 2026, le marché chinois du cinéma atteindra trente milliards de dollars, soit 40 à 50 % du total mondial ». A comparer avec les 11 milliards du marché nord américain en 2015.
Hollywood, le pouvoir, l’argent, le communisme
Wang n’est pas seul à la conquête d’Hollywood. Derrière lui se tient un monde chinois que l’Occident perçoit mal. La biographie de Wang en donne peut-être une clé. Né en 1954 dans le Se-chuan de deux parents officiers dans l’armée de Mao-Tse-Toung, il a interrompu ses études à douze ans à cause de la révolution culturelle. Suivent seize ans de formation souvent très dure dans l’armée populaire, où il termine patron d’un régiment. Sans doute fait-il aujourd’hui l’éloge de la « liberté de choisir offerte à ceux qui ont une volonté et une ambition », mais il conçoit cette liberté de grimper les échelons dans un cadre très strict – même au regard des critères chinois. Chez Wanda, la culture d’entreprise règle la façon dont les employés se vêtent et se comportent : ne pas porter son imperméable plié sur le bras dans l’ascenseur provoque un blâme. Des faits encore plus graves sont punis d’amende ou de renvoi, y compris pour les cadres. A Hollywood, ça ferait tâche. Pire que l’usine, la caserne – et la caserne chez les Chinois. A se demander si avec l’honorable Wang et sa baleine nommée Wanda la machine à rêve mondiale ne va pas tomber au pouvoir d’un communiste chinois – version communisme de marché, la plus souriante.